C'est cent fois moins que ce qu'il faut pour produire de l'énergie rentable, mais les physiciens américains qui cherchent à déclencher une fusion nucléaire contrôlée, alternative à la fission d'aujourd'hui, ont réussi à produire plus d'énergie que leur combustible n'en a absorbée. Cet exploit inégalé a été réalisé à deux reprises l'automne dernier dans le laboratoire gouvernemental du National Ignition Facility (NIF), en Californie, grâce à la chaleur produite par 192 lasers occupant la surface d'un terrain de football. Certes, il a duré moins d'un milliardième de seconde et n'a produit au finish qu'une énergie correspondant à celle stockée dans deux piles AA (17 000 joules au maximum), alors que les chercheurs ont dû injecter à l'entrée du système l'équivalent d'une batterie de voiture. Grosso modo, on doit obtenir un rendement cent fois meilleur avant d'arriver au seuil d'ignition, le point où la réaction nucléaire se suffit à elle-même. Ça semble modeste, et ça l'est. Mais nous nous en sommes approchés plus que quiconque par le passé, a déclaré à la presse Omar Hurricane, responsable des essais du NIF. Malgré ce succès, des obstacles majeurs restent à franchir pour espérer, un jour lointain, produire de l'énergie à une échelle industrielle grâce à la fusion nucléaire contrôlée. On ne peut pas vous dire honnêtement quand nous atteindrons le seuil d'ignition. Nous pensons que si nous poursuivons nos efforts, nous avons une chance, mais on ne peut vraiment rien promettre. Nous travaillons dans un laboratoire de recherche, pas dans une centrale électrique, souligne le Dr Hurricane. La fusion nucléaire, c'est l'autre façon de libérer l'énergie contenue dans les atomes. La première, déjà utilisée depuis des décennies dans les réacteurs des centrales, est la fission, qui consiste à casser les liaisons des noyaux atomiques lourds (uranium et plutonium par exemple) pour en récupérer l'énergie sous forme de chaleur. La fusion est le processus inverse: on marie deux noyaux atomiques légers pour en créer un lourd.
L'énergie idéale Au cœur des étoiles, ce sont deux noyaux d'hydrogène qui fusionnent pour donner un noyau d'hélium. Sur Terre, les scientifiques ont opté pour la fusion de deux isotopes (variantes atomiques) de l'hydrogène, le deutérium et le tritium, une réaction qui donne elle aussi naissance à de l'hélium. Pour de nombreux experts, la fusion serait l'énergie idéale: son combustible est abondant à l'état naturel (le deutérium peut être extrait de l'eau de mer), elle ne produit pas de déchets radioactifs de longue durée, ne présente pas de risque d'emballement nucléaire et n'a aucune application militaire directe. Seul problème, pour y parvenir, il faut atteindre des conditions de température et de pression extrêmes, comme à l'intérieur d'une étoile. Le réacteur expérimental international Iter, dont la construction a débuté en France sur le site de Cadarache, piègera les atomes grâce à des champs magnétiques colossaux, les faisant chauffer longuement pour les porter au point de fusion à une température d'au moins 100 millions de degrés. D'autres projets, dont le NIF américain, misent quant à eux sur l'action conjuguée de puissants faisceaux lasers, qui bombardent une cible minuscule pour créer des pressions intenses en un temps très court. Nous mettons la capsule qui contient le combustible - une couche microscopique de deutérium et de tritium glacés - dans une canette cylindrique d'un centimètre de long, puis nous tirons au laser dans le trou pour déclencher la fusion, dit Debbie Callahan, physicienne au NIF. Comprimée par ce soudain bombardement, la capsule devient 35 fois plus petite, comme si on débutait l'expérience avec un ballon de basket et qu'on finisse avec un petit pois, à tel point qu'elle implose et que le combustible s'effondre sur lui-même pour fusionner, explique la chercheuse. La pression générée sur ce tout petit point est 150 milliards de fois plus forte que celle de l'atmosphère terrestre, avec une densité 2,5 à 3 fois supérieure à celle qui règne au coeur du Soleil, renchérit Omar Hurricane.