Plus puissante d'Europe, l'industrie allemande s'inquiète pour son avenir, sur fond de bras de fer entre Berlin et Bruxelles sur des rabais de sa facture énergétique, sans lesquels elle estime ne pas pouvoir survivre. "L'industrie allemande perd de manière rampante en compétitivité", affirmait dans une récente tribune de presse le patron du géant de la chimie BASF, Kurt Bock. "La désindustrialisation, le manque d'investissements peuvent fortement nuire à notre économie à long terme", prévenait aussi le patron de ThyssenKrupp Steel Europe, Andreas Goss, lors d'une conférence de presse. Si désindustrialisation il y a, elle ne peut être que "rampante" parce que pour l'instant les chiffres parlent un autre langage. La part de l'industrie dans la valeur ajoutée brute du pays était en 2012 de 22,4%, un chiffre qui a légèrement grimpé depuis 2005 (22%), bien supérieur à la moyenne européenne (15,6%) et plus du double de celui de la France (10%). Mais effectivement certains signes apportent de l'eau au moulin des pessimistes: sur les 17 dernières années, celles où l'industrie a investi plus en Allemagne qu'elle n'a amorti se comptent sur le doigt de la main, relevait une étude récente de Deutsche Bank. De plus en plus, les entreprises allemandes investissent dans des capacités de production à l'étranger. Ainsi, depuis 2010, davantage de voitures allemandes sont produites à l'étranger qu'en Allemagne, tandis que chez BASF seul un quart du budget d'investissement des cinq prochaines années sera utilisé en Allemagne.
"L'Allemagne se tire dans le pied" Le souhait de se rapprocher des débouchés joue un rôle essentiel dans ces décisions. Mais le patron de BASF est prompt à identifier un autre coupable: les prix de l'énergie, et plus largement, la politique énergétique menée par l'Allemagne, qui conduit le pays à "se tirer dans le pied". La transition énergétique allemande, qui repose sur le soutien des renouvelables qui doivent à terme assurer l'essentiel de la production et consommation en électricité du pays, a fortement fait grimper les prix. La comparaison est défavorable avec nombre de pays européens, et surtout avec les Etats-Unis, à qui la manne du gaz du schiste assure une énergie bon marché. Pour les secteurs gourmands en électricité, "c'est notre compétitivité qui est en jeu", insistait récemment à Berlin Frank Schulz, patron d'ArcelorMittal en Allemagne. La sidérurgie en fait partie, au même titre que la chimie, le papier ou encore les cimenteries. Pour l'instant ces secteurs sont exemptés de toute ou partie de la taxe payée en Allemagne sur chaque kilowattheure consommé, dont les recettes servent à subventionner les renouvelables.
Un accord d'ici demain Mais ce régime de faveur est dans le collimateur de Bruxelles, qui y voit une distorsion de la concurrence. D'ici demain le ministre de l'Economie et de l'Energie Sigmar Gabriel doit s'entendre avec le commissaire européen Joaquin Almunia sur cette question. La rhétorique de la désindustrialisation -avec son corollaire, des suppressions d'emplois- est l'argument massue des industriels dans la discussion, argument repris à son compte par le ministre et auquel la Commission, qui a elle-même formulé en début d'année un objectif de "renaissance industrielle" de l'Europe, ne peut pas rester insensible. Un compromis --que le ministère allemand se disait vendredi "confiant" de pouvoir atteindre-- verra sans doute une réduction du nombre de secteurs bénéficiant de l'exemption -qui devrait profiter cette année à plus de 2.000 entreprises pour un allègement total de 5 milliards d'euros-, et une définition plus stricte du critère "gourmand en énergie". Les dispositions sur ces rabais sont un volet important d'une loi sur l'énergie, l'un des premiers grands chantiers du nouveau gouvernement Merkel, qui doit recadrer la transition énergétique. Elle doit être adoptée en conseil des ministres mardi, et prévoit aussi une réduction des subventions aux renouvelables, toutefois moins importante que celle que souhaitait M. Gabriel.