Au Mans, le règlement impose une largeur minimale pour le cockpit. Nissan contourne cette contrainte en allongeant le capot pour y loger le moteur et entraîner les roues avant. Un pari risqué. En 2011, l'Automobile Club de l'Ouest, organisateur de l'épreuve des 24 Heures du Mans décidait de réserver le dernier des 56 stands à une voiture faisant appel à des solutions techniques originales dépassant le cadre de l'une ou l'autre des catégories officielles. Les solutions techniques les plus originales pourraient ainsi gagner un droit de cité sur le mythique Circuit des 24 Heures. En 2012, Nissan étrennait ce Garage 56 avec une sorte de chauve-souris à roulettes, la DeltaWing noire caractérisée par sa voie avant extraordinairement étroite. Ultra léger et très profilé, ce prototype hors catégorie misait sur son extrême légèreté pour réduire sensiblement sa consommation de carburant et de gomme. Mû par un moteur relativement modeste (1.6 turbo de 304 chevaux), la DeltaWing eut tout juste le temps de démontrer sa viabilité avant de se voir contrainte à l'abandon, suite à un accrochage avec une Toyota. Un capot très long pour augmenter l'appui aérodynamique et l'adhérence des roues. L'année suivante, en 2013, le Garage 56 resta inutilisé, son locataire Green GT ayant déclaré forfait juste avant la course. En 2014, Nissan investit de nouveau les lieux, cette fois avec un prototype hors catégorie ZEOD RC à propulsion électrique. Cette auto d'allure assez semblable à la Deltawing se montra capable de boucler un tour entier du circuit manceau sans solliciter son 3-cylindres turbo, comme d'atteindre 300 km/h avec l'appui de ses trois moteurs. Au cinquième tour, une défaillance de sa boîte de vitesses la contraignit malheureusement à l'abandon. Pour cette édition 2015 des 24 H du Mans, le Garage 56 restera vide puisque l'ACO n'a retenu aucune des candidatures reçues. Si l'on en croit le directeur des sports de l'ACO, Vincent Beaumesnil, aucune n'offrait une approche sensiblement différente des techniques novatrices mises en œuvre par les voitures de la catégorie LM P1 (Le Mans Prototype 1) qui, toutes, doivent recourir à une forme ou une autre d'hybridation. De fait, c'est bien dans la catégorie LM P1 que Nissan s'est inscrit cette année. Le règlement lui offre suffisamment de libertés pour mettre en œuvre des solutions dont l'originalité n'a rien à envier à celles des DeltaWing et ZEOD RC. C'est bien simple, avec ses roues avant motrices et son volant à inertie, la Nissan GT-R LM Nismo prend à revers toutes les solutions retenues par ses concurrentes.
Pour la première fois depuis Tracta, une traction vise la victoire au général C'est en effet avec une voiture à roues avant motrices que Nissan entend défier sur leur propre terrain les Porsche, Audi et Toyota LM P1, toutes fidèles à la formule traditionnelle des roues arrière motrices. Après les exploits des Tracta françaises de l'entre-deux-guerres, Nissan est le premier constructeur à tenter de s'imposer avec une traction. Rares sont ses adversaires à le prendre au sérieux. Pour ce nouveau défi, Nissan Motorsport a écarté la solution des quatre roues disposées en pointe comme celle de la structure ultra-légère mue par un petit moteur de 300 chevaux. A lui tout seul, le moteur 6-cylindres Nissan 3 litres double turbo de la GT-R LM Nismo ne développe que 550 chevaux. Mais il travaille de pair avec un système de récupération d'énergie donné pour environ 700 chevaux. Ce qui nous donne une puissance totale de 1.250 chevaux, transmis aux seules roues avant. Là n'est pas la seule originalité de la Nissan GT-R LM Nismo puisqu'à la double motorisation essence-électrique de ses rivales, elle préfère unehybridation purement mécanique. Le directeur technique de Nissan Motorsport Ben Bowlby a été séduit par cette solution qui se dispense de tout accumulateur de courant, par définition lourd et encombrant. A la place, un volant d'inertie de 8 kilogrammes emmagasine l'énergie cinétique qui se dissipe d'ordinaire en chaleur dans les disques et les plaquettes de frein. La montée en régime de ce volant est favorisée une transmission variable en continu qui convertit cette énergie cinétique en couple moteur distribué aux roues avant. Le volant atteint son régime maximum de 60 000 tr/min au rythme de 19 000 tours par seconde, ce qui permet au pilote d'exploiter les freinages les plus brefs. Pour donner une idée des forces en présence, Ben Bowlby précise que le bord d'attaque du volant d'inertie est soumis à une accélération équivalente à 47 000 fois la gravitation. Pour rappel, un pilote de chasse peut encaisser environ 10 g avant de s'évanouir. Le bord d'attaque du volant tourne à une vitesse de Mach 2 et on l'entendrait franchir le mur du son deux fois si l'ensemble ne fonctionnait sous vide d'air.
Pourquoi préférer la traction à la propulsion Les amateurs de pilotage peinent à voir l'avantage qu'il y a à vouloir entraîner les roues avant d'une voiture de compétition. Un bref rappel s'impose. Le taux d'adhérence d'un pneumatique est un capital que le pilote peut employer à sa guise. Il peut tantôt exploiter la totalité de l'adhérence des roues pour faire changer la voiture de direction, pour la ralentir ou bien pour l'accélérer. C'est combiner plusieurs actions qui s'avère la tâche la plus délicate. Par exemple lorsque la zone de freinage en fin de ligne droite se prolonge jusque dans le virage, le pilote doit soulager la pression sur la pédale de frein pour consacrer une part de l'adhérence au changement de direction. A défaut, les freins bloquent la rotation des roues et la voiture tire tout droit. La double peine s'applique à une traction car ses roues rendues à la fois motrices et directrices voient luttent sans arrêt pour leur part du taux d'adhérence disponible. Lequel est encore diminué par la force centrifuge qui s'applique à la masse du moteur et attire le nez de la voiture vers l'extérieur du virage. De ce fait, le conducteur d'une traction est généralement contraint de patienter bien après le point de corde avant de remettre les gaz, sauf à élargir la trajectoire (c'est le fameux sous-virage castrateur). A l'inverse, le conducteur d'une propulsion peut accélérer plus tôt et entamer le capital d'adhérence transversal de ses roues arrière pour entretenir leur dérive et augmenter la rotation de la voiture. Cette dernière s'inscrit mieux et plus rapidement dans les courbes. Voilà pour la théorie. En pratique, les ingénieurs de chez Nissan ont identifié un avantage immédiat et bien réel aux roues avant motrices et, surtout, au moteur avant. L'ensemble mécanique formé par le moteur V6 et sa boîte de vitesses est plus étroit que la moyenne. Un avantage qui paraît bien vain lorsqu'on sait que le règlement impose une largeur minimale pour le cockpit. Mais ce faible encombrement frontal permet d'aménager deux énormes canalisations de part et d'autre du nez, qui courent tout le long de la voiture. Ces tunnels canalisent l'air sous le nez pour optimiser l'appui aérodynamique, augmenter la charge et, partant, l'adhérence des roues avant en virage. Tout l'enjeu de la course est de voir si le long capot de la Nissan GT-R LM Nismo suffit à lui conférer un avantage sur ses adversaires ou, simplement, à compenser sa tendance naturelle à sous-virer. Cette masse d'air est recrachée à l'arrière de la voiture dans une zone de basse pression où elle ne sert pas à générer de l'appui mais simplement à diminuer les turbulences qui gaspillent les chevaux à haute vitesse. De quoi économiser de précieux décilitres de carburant à chaque tour. Bien évidemment, Nissan espère que toute cette complexité paiera durant les vingt-quatre heures que durera l'épreuve mancelle. Les choses démarrent toutefois moins bien que prévues car bien qu'elles aient décroché les douzième, treizième et quinzième meilleurs temps aux essais du vendredi, les trois GT-R LM Nismo s'élanceront le 13 juin en queue de peloton LM P2. Affaire à suivre.