Mohamed Ali s'est éteint vendredi soir à Phoenix, à l'âge de 74 ans. Celui que Sports Illustrated et la BBC avaient désigné "sportif du siècle" en 1999, avait été hospitalisé pour des problèmes respiratoires, et souffrait depuis plus de trois décennies de la maladie de Parkinson. Figure de légende, personnage colossal, l'ancien champion du monde des lourds laisse une trace indélébile. Il était une des plus grandes figures sportives du XXe siècle. Il était "The Greatest". Il a été aimé, adoré, admiré, jalousé, redouté, banni, haï. Il n'était ni un dieu, ni un ange, ni un saint. Il avait une aura, pas une auréole. Il était arrogant, séduisant, provocant, impressionnant, extravagant, méprisant parfois, aussi. Il était beau, il était fort, il était drôle. Il était formidablement complexe, à l'image de destin extra-ordinaire, au sens propre du terme. Il était un "mélange inimitable de grâce, d'insolence, d'intelligence et de ruse", avait écrit Joyce Carol Oates, la grande femme de lettres américaine. Mohamed Ali était tout cela, et bien d'autres choses encore. Il était tout et son contraire. Il était un boxeur de légende, aussi, mais c'est bien plus qu'un boxeur qui vient de disparaitre. Mohamed Ali s'est éteint vendredi soir dans un hôpital de Phoenix, où il avait été admis en milieu de semaine pour des problèmes respiratoires. Depuis, les rumeurs avaient succédé aux rumeurs, tantôt alarmistes, tantôt rassurantes. Mais dans la soirée de vendredi, l'inquiétude avait grandi, plusieurs médias évoquant une dégradation de l'état de santé de l'ancien champion du monde des poids lourds. Son porte-parole, Bob Gunnell a finalement annoncé le décès de l'ancien boxeur dans un communiqué. Souffrant de la maladie de Parkinson depuis 35 ans, Ali aura connu une longue agonie. Mais, entre icone culturelle et symbole politique, jamais il n'aura cessé de fasciner. " Tu es la plus belle invention depuis le cinéma parlant" Sugar Ray Robinson, le fabuleux poids moyen, lui avait dit un jour : "Tu es la plus belle invention depuis le cinéma parlant". La formule était belle. Et chez Ali, le verbe aura toujours été associé au geste. Jusque sur le ring, où il était capable de lancer à Liston, au sol "relève-toi, gros ours, relève-toi" ou de demander à Foreman pourquoi il ne "tapait pas plus fort". De Cassius Clay, jusqu'à 22 ans, à Mohamed Ali, pour le restant de sa vie, toujours la même gigantesque gueule. Mais toujours cette faculté à mettre les actes en adéquation. Il assumait le fait d'avoir choisi la boxe, à l'âge de 12 ans, par goût d'une certaine forme d'exhibitionnisme. "J'ai toujours su qu'il fallait se montrer pour exister", avait-il dit un jour. Ali, c'est un destin dont on fait des romans et des films. L'ascension, la gloire, la chute, la rédemption, la reconquête, la déchéance, la tragédie. Champion olympique à 18 ans, en 1960, à Rome, il est instantanément devenu une star. L'Amérique l'adulera, une partie de cette même Amérique le rejettera en 1967 quand il sera déchu de son titre de champion du monde pour avoir refusé d'être enrôlé dans l'armée américaine, destination le Vietnam. Resté près de quatre ans sans combattre, il a peut-être perdu ses plus belles années de boxeur. Pourtant, à son retour sur les rings au début des années 70, il va largement contribuer à l'âge d'or des poids lourds. On lui doit quelques-uns des plus fameux combats de l'histoire de la boxe. Plus encore que ceux contre Liston, au début de sa carrière, ce sont ceux face à Joe Frazier, à trois reprises, ou George Foreman, à Kinshasa, qui vont donner tout son relief à la légende Ali. Du "combat du siècle" au "Thrilla in Manilla", où il "a aperçu la mort" en passant évidemment par le "Rumble in the Jungle", Ali va donner une dimension inouïe à la boxe. Son style inimitable aura frappé les esprits. Doté d'une allonge exceptionnelle, d'une vitesse de bras hors normes et d'un sens de l'esquive unique, il s'était décrit mieux que personne, à travers sa célèbre formule : "je vole comme un papillon, je pique comme une abeille". Plus grand que la vie, plus grand que la mort Il a boxé trop longtemps, étirant jusqu'à 38 ans sa carrière, jusqu'à ces combats de trop contre Larry Holmes et Trevor Berbick, au début des années 80. Quand il a enfin raccroché les gants pour de bon, il était trop tard. Sa démarche n'est déjà plus celle d'un homme de 38 ans. Ce n'est qu'en septembre 1984, se décidant à passer des tests dans un hôpital new yorkais, que sa maladie de Parkinson est diagnostiquée. Mais elle sévissait sans aucun doute depuis de longs mois. Lui, le musulman, dira qu'Allah lui a infligé ce handicap pour lui rappeler "qu'il n'était pas le plus grand". On le reverra régulièrement, jusqu'à cette poignante cérémonie d'ouverture des Jeux d'Atlanta, en 1996, où il alluma la flamme olympique. Le C.I.O lui offrira même une nouvelle médaille d'or, pour remplacer celle que, de rage, il avait jeté dans l'Ohio, parce qu'un patron de bar avait refusé de le servir, lui assénant : "ce n'est pas un bar pour nègres". C'était l'Amérique de 1960. De Louisville à Phoenix, de Kinshasa à Atlanta, Mohamed Ali a épousé l'histoire de son pays, de son temps, tout en contribuant à l'écrire. Il était "bigger than life". Plus grand que la vie. Il sera probablement tout autant "bigger than death". Plus grand que la mort, qui a eu sa peau, mais ne suffira pas à faire disparaitre son exceptionnelle aura.