Facebook, YouTube, vidéo à la demande... Jadis apanage du poste de télévision, un même contenu vidéo est aujourd'hui accessible par une multitude de canaux, chamboulant la mesure d'audiences désormais en perpétuelle mutation. "Il va y avoir de plus en plus de fragmentation, de plus en plus de canaux (de diffusion et de visionnage) vont s'ouvrir", a prévenu Megan Clarken, vice-présidente exécutive du numéro un mondial dans ce domaine, l'institut Nielsen, lors de la conférence Advertising Week à New York, fin septembre. "Il y a des besoins de plus en plus importants de mesures multiplateformes, avec des données comparables. C'est une marche continue qui ne va pas s'arrêter aujourd'hui". Tout en ouvrant la voie à cette démultiplication, l'omniprésence d'internet a aussi offert aux diffuseurs, aux producteurs et aux publicitaires, qui se sont longtemps contentés des sacro-saints panels, une arme dont ils n'auraient jamais osé rêver: le "big data". Chaque seconde, le réseau offre un gigantesque flux de données nouvelles sur ses utilisateurs et les internautes qui visionnent des contenus vidéo. Et les données ne s'arrêtent pas au visionnage. Une bonne partie du commerce se faisant désormais en ligne, il est possible de mesurer, en temps réel, l'impact d'un spot publicitaire ou d'une campagne, sur les ventes d'un produit. "Nous sommes passés d'une situation, il y a vingt ans, où on tapait sur le robinet pour en faire sortir une goutte de données de plus, à une baignoire qui déborde, à une chute d'eau, à un tsunami", a expliqué, lors d'une table ronde, Steven Millman, responsable scientifique au sein du cabinet Simmons Research. "Le truc, c'est que nous ne voulons pas utiliser toutes ces données", tempère Megan Clarken. "Il y en a beaucoup trop." Il faut choisir. Mesurer partout, tout le temps Dans cette course à la pertinence, les géants d'internet ont la main, Facebook en tête, car une bonne partie du visionnage ne se fait plus que sur internet et ils sont seuls à maîtriser les données de leur site ou de leur plateforme. Beaucoup leur reprochent d'ailleurs leur opacité, y compris à l'endroit des annonceurs. "Il n'y a rien de plus important que de fournir des mesures transparentes et claires", a assuré Daniel Slotwiner, responsable de la recherche publicitaire de Facebook, tout en rappelant la difficulté de "mesurer une série de choses qui changent très rapidement". Facebook a fait l'expérience des conséquences de ces tâtonnements lorsqu'il a reconnu, fin septembre, avoir fourni durant deux ans des durées moyennes de visionnage de vidéo surestimées de 60% à 80%, plaidant l'erreur involontaire. Se pose également la question de l'utilisation des données personnelles à des fins commerciales. Nielsen a ainsi passé un accord avec Facebook, qui lui fournit des données anonymisées pour affiner ses résultats. "Nous n'obtenons aucune information sur l'identité des gens", assure David Wong, vice-président au sein de Nielsen. Il s'agit uniquement de données agrégées, selon lui, utilisées pour mieux identifier les caractéristiques d'une audience en termes d'âge et de sexe. Aujourd'hui, seuls les instituts de mesure peuvent agréger ces données de multiples sources (diffuseurs, opérateurs, sites, plateformes, applications) et les croiser avec les informations tirées de leurs fameux panels, qui demeurent indispensables. Nielsen a ainsi mis récemment au point un outil baptisé "Total Audience", qui permet de mesurer l'audience d'un programme tous canaux de diffusion confondus, physiques (télévision, ordinateur, tablette, smartphone) et numériques (sites, applications, plateformes de diffusion en ligne). Des numéros d'utilisateurs uniques sont attribués aux membres du panel, pour déterminer si une même personne a regardé un programme sur plusieurs supports différents et éviter les doublons. Les chiffres d'audience proposés par l'institut, appelés "total content ratings", évoluent désormais avec le temps. "Beaucoup de contenus numériques n'ont pas de date de diffusion. Ils sont mis en ligne à une date et vus ensuite sur la durée", souligne David Wong. Les rivaux de Nielsen, principalement ComScore et Kantar Media, ont développé des produits similaires. La prochaine étape ? Mesurer l'audience en dehors du domicile, pour continuer de coller aux nouveaux usages, essentiellement sur Smartphone, comme va le faire Nielsen. Avec le "big data", les possibilités combinées sont encore difficiles à imaginer. Illimitées ? "Nous voulons tous savoir ce qui arrive à tout le monde tout le temps", reconnaît Steven Millan. "Mais nous ne le pouvons pas. Nous avons des morceaux."