Vainqueur de l'Uruguay grâce à un triplé de Paulinho et un but merveilleux de Neymar (1-4), le Brésil a pris ses aises en tête du classement de la zone Amérique du Sud avec 10 points d'avance sur l'Equateur, 5e. En difficulté, l'Argentine a soufflé un grand coup en gagnant face au Chili (1-0) grâce à un penalty de Messi. Le Brésil a fait un grand pas vers la qualification pour le Mondial 2018 en Russie avec sa démonstration en Uruguay (4-1) jeudi, tandis que l'Argentine s'est relancée, à défaut de rassurer, en battant le Chili (1-0). Depuis la nomination de Tite au poste de sélectionneur, en juin 2016, la Seleçao est sans rivale: elle a signé jeudi au Stade du Centenaire de Montevideo sa septième victoire consécutive, du jamais-vu dans sa glorieuse histoire, dans les éliminatoires sud-américaines en ayant concédé seulement deux buts. L'attaquant uruguayen du Paris SG Edinson Cavani a marqué l'un de ces deux buts, dès la 9e minute sur pénalty, mais son équipe, privée il est vrai de Luis Suarez, suspendu pour accumulation d'avertissements, a vite perdu pied. Paulinho a égalisé dès la 18e minute d'une frappe fulgurante de 25 m, premier acte du show du milieu offensif du club chinois de Guangzhou Evergrande qui a frappé à deux autres reprises (51, 90+2). Symbole de l'insolente domination brésilienne, le troisième but marqué par l'inévitable Neymar qui a récupéré un renvoi défensif pour lober Martin Silva (75). "Pour gagner dans ce stade, il faut être fort", s'est réjoui Tite. Avec dix points d'avance sur la 5e place, la première qui ne donne pas droit à une qualification automatique pour la prochaine Coupe du monde, la Seleçao peut commencer à planifier son voyage en Russie.
Messi fait respirer l'Argentine L'Argentine est l'autre grand bénéficiaire de cette 13e journée: elle n'a pourtant pas fait forte impression contre le Chili, mais Lionel Messi a assuré l'essentiel avec son pénalty dès la 16e minute. Le capitaine argentin a exorcisé ses mauvais souvenirs face au Chili: en juin dernier, il avait manqué son tir au but en finale de la Copa America 2016, ce qui l'avait conduit, après ce nouvel échec dans un grand rendez-vous, à mettre un terme à sa carrière en sélection, avant de faire machine arrière. Malgré la terne prestation de son équipe, le sélectionneur argentin Edgardo Bauza restait optimiste: "C'est une belle victoire contre une bonne équipe, mais ce que je retiens c'est notre combativité", a-t-il insisté. L'Albiceleste a bondi à la 3e place avec ses 22 points, loin, certes, du Brésil (30 pts), mais sur les talons de l'Uruguay (2e, 23 pts). Le déplacement mardi de Messi et de ses coéquipiers en Bolivie peut leur permettre de prendre leurs distances sur la Colombie (4e, 21 pts).
Comment le Brésil est redevenu le Brésil En position de premier non qualifié pour la Coupe du monde il y a un an, le Brésil a opéré un redressement spectaculaire depuis sa reprise en main par Tite. Après six victoires de rang, la Seleçao domine désormais les éliminatoires sud-américaines, et sa décadence semble déjà appartenir à un passé aussi récent que révolu. Dix-sept buts inscrits, pour un seul encaissé. Tel est le bilan de Tite, le sélectionneur qui a redonné le sourire à un Brésil déprimé. Déjà effaré d'avoir été balayé par l'Allemagne à domicile - le fameux 7-1 - le pays amazonien a ensuite été sidéré de constater qu'il n'avait alors sans doute pas touché le fond. Car après 2014, viendra une élimination en quart de finale de la Copa América 2015 face au Paraguay, puis, une sortie de route inédite, lors de la Copa América 2016, après une défaite face au Pérou (0-1), qui le rangeait dans la catégorie des éliminés du premier tour, en compagnie des poids plume de son continent. Entre-temps, la Seleçao avait aussi signé la plus mauvaise entame de campagne éliminatoire de son histoire. Après six journées (sur dix-huit) et avoir arraché un nul au Paraguay (2-2, 29 mars 2016), le Brésil alors entraîné par Dunga pointait en sixième position du classement. La Seleçao serait-elle du Mondial ? C'est une question qui pouvait ressembler à une hérésie mais qui se posait alors légitimement. Un an plus tard, le Brésil, qui semblait pourtant en panne de solutions, a su se réinventer. Il domine même les éliminatoires, quatre points devant l'Uruguay, où il se déplacera jeudi pour un choc au sommet. "Aujourd'hui, les adversaires sentent que nous sommes la Seleçao de toujours, assure Joao Miranda, le défenseur central de l'Inter Milan et titulaire indiscutable sous Tite, cette sélection respectée, forte, toujours candidate au meilleur". Mais comment cette métamorphose s'est-elle opérée si rapidement ?
Le changement dans la continuité "Transparence, démocratisation, excellence, et modernité". Il ne s'agit pas d'un slogan de campagne politique, mais des principes énoncés par Tite, à son arrivée à la tête de la Seleçao, en juin 2016. L'époque était alors plutôt à la chasse aux sorcières après la débâcle de la Copa América, mais l'ex-entraîneur des Corinthians s'est de suite posé en rassembleur. Sa première liste (pour les matches éliminatoires de septembre, en Equateur, et face à la Colombie) semblait pourtant dessiner une volonté de bousculer un certain ordre établi. Tite misait ainsi sur sept champions olympiques, dont Gabriel Jesus et Gabriel Barbosa, et il appelait des joueurs confirmés mais jamais sélectionnés, comme Taison (Chakhtar Donetsk) ou Rafael Carioca (Atlético Mineiro). Le néo-sélectionneur s'empressait toutefois de préciser que certains "Européensé n'avaient simplement pas été retenus pour ne pas avoir encore atteint leur plénitude physique en ce début de saison. Magnanime, tandis que Dunga semblait toujours prêt à exploser, Tite a ramené de la sérénité au sein de la Seleçao. Il a aussi stimulé la concurrence interne dans un sélection qui prend à nouveau du plaisir sur le terrain, à défaut de délivrer du joga bonito. Résultat, la canarinha peut désormais compter sur un groupe d'une bonne vingtaine de joueurs performants, qu'ils viennent d'Europe, du Brésil, ou de Chine, la nouvelle destination à la mode... Tite a même fini par rappeler Thiago Silva, marginalisé après le fiasco de la Copa América 2015, dès son troisième match à la tête de la sélection. Une manière de montrer qu'il comptait sur les meilleurs du moment, quelque soient leurs antécédents. Pour affronter l'Uruguay, il vient ainsi de sélectionner Diego (32 ans), l'ex de la Juventus, qui brille actuellement sous le maillot de Flamengo.
Une arrière-garde imperméable Le manque de brio offensif de la Seleçao a symbolisé sa décadence. En considérant les forces en présence, c'est toutefois la porosité de son arrière-garde qui constituait sans doute l'élément le plus surprenant. Car, sur le papier, les sélectionneurs brésiliens avaient l'embarras du choix, avec des Dani Alves, Miranda, Thiago Silva, Marquinhos, David Luiz, Filipe Luis ou Marcelo. Un réservoir sans doute inégalable. La force de Tite est d'avoir, de suite, trouvé sa charnière centrale : Miranda-Marquinhos. David Luiz n'a ainsi jamais été retenu, tandis que Thiago Silva doit, pour le moment, se contenter d'un statut de remplaçant. Sur les côtés, l'ex-entraîneur des Corinthians n'a pas non plus tergiversé. Après avoir lancé Filipe Luis, à gauche, pour son premier match, il a ensuite donné les clés de ce couloir à Marcelo, Dani Alves s'occupant du droit. Résultat, en six matches, le Brésil n'a encaissé qu'un seul but, c'était le 6 septembre, face à la Colombie (2-1). Attribuer ce nouvel hermétisme à l'identité des quatre de derrière serait toutefois réducteur. Dans le 4-1-4-1 cher à Tite, la charnière est ainsi soigneusement protégée par le milieu défensif, qui reçoit lui-même, à l'occasion, l'appui de l'un des deux milieux axiaux, qui veillent aussi, de leur côté, à compenser les montées des latéraux. Bref, le Brésil est redevenu un organisme compact, difficile à prendre à revers. "Nos attaquants sont les premiers défenseurs, reconnaît ainsi Miranda, quand ils perdent le ballon, ils pressent sans attendre. Cette sélection est très organisée et forte mentalement".
L'éclosion salutaire de Gabriel Jesus Devant, Tite n'a pas non plus tardé à trouver la formule. Il a ainsi installé dans son onze Philippe Coutinho, cantonné au mieux à des bouts de matches sous Dunga. Au-delà de ses qualités techniques et de sa belle frappe de balle, le milieu offensif de Liverpool est devenu essentiel pour le liant qu'il apporte entre entre-jeu et attaque. Avec Coutinho, positionné à droite dans un 4-1-4-1, qui peut se muer en 4-2-3-1, quand Paulinho ou Renato Augusto, deux hommes de confiance de Tite, viennent épauler Casemiro ou Fernandinho à la récupération, Neymar n'est enfin plus le seul dépositaire du jeu. Les responsabilités sont mieux réparties et comme le Red aime dézoner dans l'axe, et que le Blaugrana aime y repiquer, l'animation offensive brésilienne devient plus élastique, moins lisible pour l'adversaire. Pour redonner du brio à son attaque, Tite a aussi eu la chance de compter sur l'éclosion de Gabriel Jesus, dont il a fait un indiscutable en pointe, à 19 ans. Aussi talentueux soit le néo-citizen, le sélectionneur a toutefois eu le mérite de lui témoigner de sa confiance d'entrée, en le titularisant. En six capes, toutes honorées sous Tite, l'ex de Palmeiras a déjà inscrit quatre buts. Avec Gabriel Jesus, la Seleçao a enfin retrouvé un avant-centre digne de son standing. La qualité de son secteur offensif ne conduit toutefois pas Tite à vouloir camper dans le camp adverse à tout prix. Pour la réception de l'Argentine, le 10 novembre dernier, le Brésil n'avait ainsi pas hésité à laisser le ballon à son adversaire, pour mieux profiter de la lourdeur de l'arrière-garde adverse, pour le résultat que l'on sait (3-0).
Le groupe plutôt que l'homme providentiel Pour le moment, le bilan de Tite est tout simplement inattaquable. Il a ramené le Brésil sur le chemin de la victoire, mais surtout il a redonné des certitudes à un groupe à la confiance entamée par des humiliations à répétition. Jeudi, pour son déplacement à Montevideo, le Brésil devra faire sans Gabriel Jesus, forfait. Cette absence sera conjuguée à celle de Douglas Costa, lui aussi indisponible. Tite a toutefois déjà montré qu'il sait faire sans l'une de ses pièces maîtresses. Le 11 octobre, le Brésil, privé de Neymar, l'avait ainsi emporté sur le terrain du Venezuela (0-2). Ce n'était que le Venezuela, mais sous les mandats de Felipe Scolari puis Dunga, la canarinha semblait incapable de mettre un pied devant l'autre sans la star du Barça. Neymar n'a ainsi participé à aucune des éliminations qui ont meurtri le Brésil ces dernières années : en Coupe du monde (forfait), lors de la Copa América 2015 (suspendu) et lors de la Copa América 2016 (mobilisé pour les JO). Le Brésil de Tite ne dépend désormais plus d'un seul homme, et le sélectionneur a d'ailleurs délesté sa star de son statut de capitaine. Désormais, le brassard tourne presque à chaque match -Fernandinho, Dani Alves, Filipe Luis, Renato Augusto, et Miranda l'ont déjà porté- comme pour bien rappeler que le salut viendra du groupe. "Avec Tite, même les remplaçants se sentent importants", assure ainsi Miranda. Le discours du défenseur interiste est foncièrement positif. Il y a moins d'un an, la Seleçao vivait pourtant l'un des moments les plus noirs de son histoire. Une période qui semble déjà révolue, et une rechute paraît désormais une perspective aussi improbable que celle de voir le Brésil absent d'une Coupe du monde…