Deutsche Bank, qui a annoncé dimanche dernier un vaste plan de restructuration, veut développer son activité de gestion de fortune en Europe et prendre des parts de marché à ses concurrents dans ce secteur. Recruter de nouveaux gestionnaires de relations clients et réaliser peut-être des acquisitions dans quelques années peut contribuer à la croissance, a déclaré Claudio de Sanctis, patron de la gestion de fortune en Europe et de Deutsche Bank pour la Suisse.
Cette division cible les chefs d'entreprise et les riches familles en Allemagne, Italie, Grande-Bretagne et Espagne ainsi que dans les pays largement inexploités d'Europe de l'Est. La gestion de fortune est perçue comme un secteur de croissance après le plan de restructuration annoncé dimanche par la première banque allemande, qui se traduira notamment par la suppression de 18.000 emplois, son retrait des marchés actions globaux et la réduction de ses opérations dans la banque d'investissement et sur le marché obligataire. "Ce n'est pas forcément connu mais nous faisons déjà partie des plus grands gestionnaires de patrimoine en Europe en termes d'actifs. Cela nous aidera à être crédibles aux yeux des entrepreneurs européens", a déclaré Claudio de Sanctis dans une interview. Deutsche Bank a annoncé le mois dernier son intention de recruter 300 gestionnaires supplémentaires de relations clients et de placements pour son activité de gestion de patrimoine d'ici 2021. Cette activité a généré environ 7% des 25 milliards d'euros de produit net bancaire de la banque en 2018. "La banque a dit vouloir se concentrer sur les secteurs où elle peut être compétitive et où elle peut gagner, et nous pensons que c'est le cas avec la gestion de fortune", a déclaré à Reuters Christian Nolting, responsable des investissements chez Deutsche Bank Wealth Management, lors d'un point séparé. La gestion de fortune est une activité séduisante pour les banques parce qu'elle exige moins de capital et que ses bénéfices ont tendance à être moins cycliques que dans d'autres activités. Mais c'est aussi un secteur très concurrentiel, dont les principaux acteurs sont les banques suisses UBS et Credit Suisse. Les activités de gestion de patrimoine de Deutsche Bank ont récemment perdu du terrain en Europe à la suite des difficultés de la banque. Cette année, toutefois, les flux en Europe ont été "définitivement positifs", a déclaré Claudio de Sanctis, lui-même ancien responsable de la banque privée en Europe pour Credit Suisse.
Le plan de Sewing à l'épreuve des investisseurs Le président du directoire de Deutsche Bank Christian Sewing va devoir convaincre les investisseurs lors de la tournée mondiale de présentation de son plan de restructuration de 7,4 milliards d'euros. Le plan de Christian Sewing, qui entend "réinventer" Deutsche Bank, prévoit aussi la création d'une structure de défaisance ("bad bank") pour placer les créances douteuses qui pèsent sur le bilan de la banque. Le groupe de Francfort va aussi renoncer à son activité sur les marchés actions et réduire ses opérations dans la banque d'investissement et sur le marché obligataire. Certains investisseurs doutent cependant que ces mesures soient suffisantes pour redresser le groupe au vu de l'intense concurrence dans le secteur sur fond de taux d'intérêt bas. Deutsche Bank vise un rendement sur fonds propres tangibles (Rote) de 8% d'ici 2022, mais le groupe note qu'il y a une "incertitude importante" dans ces prévisions pour 2020. D'autres investisseurs ont déclaré redouter que Deutsche Bank ne revienne sur son engagement de ne pas faire appel à ses actionnaires pour obtenir des liquidités supplémentaires, au regard de ses obligations en matière de fonds propres. "Les objectifs de croissance des revenus ne sont pas crédibles", a déclaré un gérant de fonds. "Deutsche Bank n'a pas réussi à augmenter ses revenus depuis plusieurs années. Pourquoi cela changera-t-il alors que le résultat d'une vaste restructuration reste incertain?"
"C'est différent cette fois" La direction de Deutsche Bank devrait également aller à la rencontre des salariés perturbés par les changements annoncés et le départ soudain de leurs collègues. La banque allemande va se retirer entièrement de certains marchés asiatiques mais n'a en revanche pas donné de détails sur les licenciements attendus aux Etats-Unis, en Allemagne et dans d'autres pays d'Europe. Les conditions de départs de certains cadres à Londres ont été vivement critiquées sur les réseaux sociaux par les observateurs. Christian Sewing a déclaré lundi aux analystes que, même si son plan de restructuration pouvait sembler familier à ceux qui avaient suivi les tentatives précédentes de réorganisation du groupe, le projet annoncé dimanche n'était pas le même. "C'est différent cette fois. Nous sommes différents." Le président du directoire de Deutsche Bank prévoit d'investir un quart de sa rémunération fixe en actions de la banque allemande, a déclaré mardi une personne informée de ce projet.
Un remède de cheval pour se redresser La banque allemande a annoncé un vaste plan de restructuration d'un coût de 7,4 milliards d'euros qui passera notamment par la suppression de 18.000 postes d'ici à 2022. Les actifs non-stratégiques d'une valeur de 74 milliards d'euros seront placés dans une structure de défaisance. "La restructuration va entraîner une réduction du nombre de postes équivalents temps plein de 18.000 d'ici 2022, pour ramener les effectifs à environ 74.000 personnes", a annoncé la banque dans un communiqué, en expliquant ainsi vouloir réduire ses coûts de 17 milliards d'euros d'ici à 2022 et retrouver la rentabilité. La banque allemande a indiqué qu'elle allait essuyer une lourde perte nette de 2,8 milliards d'euros au deuxième trimestre de l'exercice en cours en raison de charges liées à un vaste plan de restructuration.
La restructuration coûtera 7,4 milliards d'euros Deutsche Bank prévoit des charges de 3 milliards d'euros pour son plan, qui comporte une très forte réduction de ses activités de banque d'investissement, et en particulier l'arrêt quasi-complet de son activité sur les marchés actions. La banque allemande entend se concentrer sur ses points forts, comme le financement de sa clientèle professionnelle, le marché des changes ou encore la banque privée. Au total, le coût total de cette vaste réorganisation s'élèvera à 7,4 milliards d'euros. Deutsche Bank va aussi réduire ses activités sur le marché obligataire, en particulier dans les activités de taux, qui sont pourtant traditionnellement perçues comme l'une de ses forces. Elle va créer une structure de défaisance pour les actifs dont elle souhaite se séparer, d'une valeur de 74 milliards d'euros.
"Un nouveau départ" Le président du directoire Christian Sewing a qualifié ce plan de restructuration de "transformation la plus fondamentale" de Deutsche Bank depuis des décennies. "C'est un nouveau départ", a-t-il dit. En réduisant ses activités dans la banque d'investissement, l'établissement prend acte de son échec à concurrencer les grandes banques de Wall Street sur ce terrain, après avoir subi trois pertes annuelles sur les quatre derniers exercices. La mise en oeuvre de ce plan ne nécessitera pas d'augmentation de capital, a souligné Deutsche Bank, dont l'action est tombée à un plus bas historique début juin.
Une enveloppe, un taxi...une carrière est finie Convoqués par leur direction des ressources humaines pour recevoir une enveloppe, de nombreux salariés de Deutsche Bank à travers le monde ont ensuite quitté définitivement leur bureau lundi, quelques heures seulement après l'officialisation de la restructuration de la première banque d'Allemagne. Le groupe bancaire allemand a annoncé dimanche qu'il allait supprimer 18.000 emplois, renoncer à son activité sur les marchés actions et réduire ses opérations dans la banque d'investissement et sur le marché obligataire. Cette restructuration lui coûtera 7,4 milliards d'euros. Les employés de sa division marchés actions à Sydney et à Hong Kong ont été parmi les premiers à être informés de leur départ. "Si vous avez un travail pour moi, faites-le moi savoir", a lancé un banquier en sortant de ses bureaux à Hong Kong. Trois autres ont fait une photo de leur petit groupe devant l'enseigne de Deutsche Bank, se sont embrassés puis ont hélé un taxi. "Ils vous donnent ce paquet et vous sortez du bâtiment", a dit un trader actions licencié. "Le marché actions n'est pas si formidable et je ne trouverai peut-être pas un emploi similaire, mais je dois y faire face", a déclaré un autre. Certains postes seront supprimés immédiatement tandis que des salariés resteront plus longtemps tout en participant à la réduction des activités.
Entretiens individuels à la cafétéria à Wall Street Quelques heures après le départ du personnel licencié à Hong Kong, des salariés ont été vus quittant les bureaux de Deutsche Bank avec des enveloppes similaires à Londres, ville qui, avec New York, devrait subir l'essentiel des compressions de personnel. "J'ai été congédié ce matin, la réunion a été très rapide, et c'est tout", a déclaré un informaticien, sorti alors que le président du directoire de Deutsche Bank, Christian Sewing, était à l'intérieur du bâtiment en téléconférence de presse. Peu de personnes acceptaient de s'exprimer devant les bureaux londoniens de la banque mais les langues se déliaient dans le pub Balls Brothers situé à proximité. "J'ai été licencié, à quel autre endroit pourrais-je aller?", a dit un homme venant de perdre son poste dans la vente d'actions. A New York, où Deutsche Bank a été l'une des rares banques européennes à maintenir une présence significative après la crise financière de 2007-2009, ce qui a contribué à ses difficultés, plusieurs centaines d'employés ont été convoqués dans la matinée à la cafétéria de l'immeuble de Wall Street abritant le siège des activités américaines du groupe, ont dit des sources internes à Reuters. Lors d'entretiens individuels, des représentants de la direction et des ressources humaines leur ont annoncé leur licenciement et les conditions de leur départ, ont ajouté ces sources. A l'extérieur du bâtiment, un employé a dit à Reuters que le personnel de la division "equity sales" s'attendait au pire depuis des semaines. "Les gens ont essayé de préparer la suite mais c'est un marché difficile", a déclaré cette personne ayant requis l'anonymat.
Accès aux systèmes retiré L'emploi dans le secteur des marchés actions traverse une période délicate car celui-ci est toujours aux prises avec une augmentation des coûts due aux nouvelles directives financières européennes. Les revenus du trading actions pourraient baisser de 7% à 8% cette année, ce qui pèsera sur les embauches, a estimé George Kuznetsov, responsable de la recherche et de l'analyse chez Coalition, spécialisé dans la banque d'investissement. Les licenciements ne concernent pas que les grands centres financiers. "La journée a commencé par un coup de fil et une réunion avec la RH. Nous avons été informés que nos emplois étaient supprimés, nous avons reçu nos lettres et environ un mois de salaire et on nous a demandé de partir. On nous a retiré l'accès aux systèmes, on ne peut plus s'y connecter et on nous a demandé de quitter les lieux avant 07h30 GMT", a dit un employé de Deutsche Bank à Bangalore. "L'ambiance est plutôt au désespoir à l'heure actuelle, en particulier chez les personnes qui vivent seules ou qui ont de lourdes charges financières, comme des emprunts à payer." Les porte-parole de Deutsche à Hong Kong et à Londres n'ont pas souhaité faire de commentaire sur les départs mais ont déclaré que le groupe essaierait d'aider les personnes licenciées. Parmi les salariés de Deutsche Bank épargnés par les suppressions de postes, l'heure est à un certain soulagement mais aussi à de grands doutes quant à l'avenir. "La plus grande question qui se pose à nous est de savoir où nous allons maintenant si nous n'offrons pas toute la gamme de produits. Les clients resteront-ils chez nous ou est-ce que la partie est finie ?", s'est interrogé un banquier de Singapour ayant conservé son emploi.