Un grand soleil d'hiver éclaire froidement l'immeuble qui fait face à la fenêtre de la chambre où Messaoud, lassé de suivre sur le petit écran les plates aventures d'un chaste couple d'enquêteurs, avait fini par se tourner vers le journal jeté négligemment à travers le lit. Il commença à décrypter les gros titres avant d'atterrir fatalement sur la rubrique nécrologique où, à son âge il avait plus de chances de rencontrer d'anciennes connaissances. Son attention fut attirée par une petite photo au bas de la page : « Ce n'est pas possible ! » se dit-il, ces cheveux courts et frisés, ces lunettes d'écaille, ce sourire indélébile ! Ce regard franc d'homme droit et honnête : c'est celui d'un de ses anciens instituteurs ! Un de ces enseignants d'une rare qualité humaine et professionnelle : Messaoud a été son élève pendant la guerre de libération. Le pauvre « cheikh » était parti depuis huit ans et Messaoud l'ignorait. Il eut la chair de poule et, ému, s'abîma quelques instants dans ses souvenirs d'enfance. Quel homme ! Il aurait pu servir de modèle aux générations qu'il a instruites ! Messaoud racla sa gorge que l'émotion avait serrée : les enfants de son ancien maître rappelaient le souvenir de ce père d'une famille nombreuse et invitaient tous ceux qui l'ont connu à avoir une pensée pour lui : ils doivent être nombreux ceux à qui il avait enseigné tant de belles choses. Messaoud se souvient surtout de la chanson où figurait ce passage : « Bien abrité des froids hivernaux Par de grands arbres toujours verts Mon doux logis reçoit sans cesse A son foyer hospitalier Des vieux amis de ma jeunesse Au parler simple et familier » Le vieux maître à qui il rappela, quelque trente ans plus tard, ces vers lui avoua humblement que lui-même avait oublié tout ce fatras et qu'il essayait de garder sa mémoire pour l'essentiel. Messaoud ne put s'empêcher d'appeler Aicha qui accourut aussitôt, une serviette à la main : « Regarde ! ya m'ra ! Voilà un type comme on n'en fait plus : c'est un fils du bled ; il a été instituteur toute sa vie. Il était correct. Il s'habillait bien, avait de la classe: il n'avait rien à envier aux autres enseignants d'origine française, il leur marquait même des points question culture et aussi dans les exercices sportifs. Il avait une formation complète : il était de la génération de Mouloud Feraoun et son accent rocailleux mettait à l'aise tous les élèves du même cru. » Messaoud se souvient surtout d'un jour de décembre 1964 quand ils se rencontrèrent au bastion, dans le car qui devait le ramener au bled : le vieux maître vint à lui et lui exprima sa déception quand il avait appris que Messaoud, excellent élève à l'école, a dû quitter le lycée pour suivre un stage professionnel bénéficiant ainsi d'un présalaire qui permettait à sa famille de survivre pendant les dures années qui suivirent l'indépendance. « C'est dommage car tu aurais pu continuer facilement toi mais dis-toi que même sans études supérieures, un bon élément peut toujours s'en sortir : il suffit de travailler ! » Un grand soleil d'hiver éclaire froidement l'immeuble qui fait face à la fenêtre de la chambre où Messaoud, lassé de suivre sur le petit écran les plates aventures d'un chaste couple d'enquêteurs, avait fini par se tourner vers le journal jeté négligemment à travers le lit. Il commença à décrypter les gros titres avant d'atterrir fatalement sur la rubrique nécrologique où, à son âge il avait plus de chances de rencontrer d'anciennes connaissances. Son attention fut attirée par une petite photo au bas de la page : « Ce n'est pas possible ! » se dit-il, ces cheveux courts et frisés, ces lunettes d'écaille, ce sourire indélébile ! Ce regard franc d'homme droit et honnête : c'est celui d'un de ses anciens instituteurs ! Un de ces enseignants d'une rare qualité humaine et professionnelle : Messaoud a été son élève pendant la guerre de libération. Le pauvre « cheikh » était parti depuis huit ans et Messaoud l'ignorait. Il eut la chair de poule et, ému, s'abîma quelques instants dans ses souvenirs d'enfance. Quel homme ! Il aurait pu servir de modèle aux générations qu'il a instruites ! Messaoud racla sa gorge que l'émotion avait serrée : les enfants de son ancien maître rappelaient le souvenir de ce père d'une famille nombreuse et invitaient tous ceux qui l'ont connu à avoir une pensée pour lui : ils doivent être nombreux ceux à qui il avait enseigné tant de belles choses. Messaoud se souvient surtout de la chanson où figurait ce passage : « Bien abrité des froids hivernaux Par de grands arbres toujours verts Mon doux logis reçoit sans cesse A son foyer hospitalier Des vieux amis de ma jeunesse Au parler simple et familier » Le vieux maître à qui il rappela, quelque trente ans plus tard, ces vers lui avoua humblement que lui-même avait oublié tout ce fatras et qu'il essayait de garder sa mémoire pour l'essentiel. Messaoud ne put s'empêcher d'appeler Aicha qui accourut aussitôt, une serviette à la main : « Regarde ! ya m'ra ! Voilà un type comme on n'en fait plus : c'est un fils du bled ; il a été instituteur toute sa vie. Il était correct. Il s'habillait bien, avait de la classe: il n'avait rien à envier aux autres enseignants d'origine française, il leur marquait même des points question culture et aussi dans les exercices sportifs. Il avait une formation complète : il était de la génération de Mouloud Feraoun et son accent rocailleux mettait à l'aise tous les élèves du même cru. » Messaoud se souvient surtout d'un jour de décembre 1964 quand ils se rencontrèrent au bastion, dans le car qui devait le ramener au bled : le vieux maître vint à lui et lui exprima sa déception quand il avait appris que Messaoud, excellent élève à l'école, a dû quitter le lycée pour suivre un stage professionnel bénéficiant ainsi d'un présalaire qui permettait à sa famille de survivre pendant les dures années qui suivirent l'indépendance. « C'est dommage car tu aurais pu continuer facilement toi mais dis-toi que même sans études supérieures, un bon élément peut toujours s'en sortir : il suffit de travailler ! »