Pendant la campagne pour son premier mandat, Bouteflika a sillonné tout le pays, jusqu'à des lieux-dits, pour s'y répandre en interminables discours, sur tout et n'importe quoi, usant, selon l'auditoire et l'humeur du moment, de discours fleuves, souvent contradictoires, souvent démagogiques, même s'ils empruntaient généreusement au style fouettard et paternaliste des guides suprêmes d'hier et d'aujourd'hui. Ce fut le temps de « arfaa rassek a bba ». Après avoir été élu, il entreprit de battre le record du monde des voyages à l'étranger, et de fait il le battit. Même si cet exploit a été ignoré par le Guiness Book of Records. Sa réélection à un deuxième mandat, qui survint après une difficile négociation avec les Généraux décideurs, et après l'éviction fracassante de Ali Benflis, eut lieu à un moment où le pays engrangeait des montagnes de dollars, à la flambée inespérée de l'augmentation des prix des hydrocarbures. C'est à cette période là qu'il se gonfla d'importance, au point où il en oublia qu'il devait, à tout le moins, faire semblant d'avoir été élu par le peuple algérien. C'est à cette période là que des signes de mégalomanie commencèrent à apparaître dans ses gestes, dans ses moues désabusées, ses violentes colères. Tout le monde se souvient de cette interview avec un journaliste algérien qu'il humilia publiquement, de cet enseignant universitaire qu'il prit par le collet, et de ses autres innombrables « kherjettes ». L'immense trésor qui s'amassait, et dont il sut accaparer les mécanismes de contrôle exclusif, notamment grâce à Chakib Khalil et à ses relais américains, lui permit de bouleverser en sa faveur les équilibres des cercles militaro-politico-financiers qui dirigeaient le pays depuis l'interruption du processus électoral en 1992. Il acheta, en bon argent, et en prébendes de toutes sortes, la quasi totalité des généraux qui comptaient. Leurs parentèles et leurs clientèles reçurent des fiefs, des concessions, des chasses gardées, des lignes de crédit, des « droits d'entrée » et des concessions dans des compagnies étrangères, des commissions royales, des royalties, et même des valises d'argent. En veux-tu, en voilà ! Il suffisait juste de faire allégeance au nouveau monarque, si on voulait puiser à sa cassette. Saïd, le frère du Président, et Zerhouni, le tout puissant ministre de l'intérieur, qui étaient devenus les deux principaux piliers du régime, à la droite, et à la droite du président, mais qui étaient loin d'avoir sa finesse, commirent des « fautes de goût » qui faillirent mettre à bas tout le travail entrepris. Mais le Président Bouteflika allait y remédier. Deux des principaux généraux janvièristes qui s'opposaient à l'influence grandissante de Saïd Bouteflika et de Yazid Zerhouni furent débarqués illico presto. Larbi Belkheir, dit le Cardinal, celui-là même qui imposa Bouteflika à ses com'pairs, celui qui fut l'homme le plus puissant du régime pendant deux décennies, fut jeté comme le dernier des gêneurs. Il fut nommé ambassadeur au Maroc, poste qu'il n'assura presque pas, jusqu'à son décès récent. Bouteflika ne prit même pas la peine de se déplacer à ses funérailles. La dent dure, et la rancune tenace. Le deuxième, général janvièriste lui aussi, l'officier le plus gradé de l'armée algérienne, et qui disposait d'une clientèle nombreuse et très influente au sein de l'armée, fut prié de faire valoir ses droits à la retraite. On lui aurait doucettement suggéré de s'en aller s'il ne voulait pas qu'on ébruite une certaine affaire sur une certaine base américaine au Sahara, en plein milieu de l'affaire BRC. Le patron du DRS, aurait apporté sa contribution au clan présidentiel pour débarquer le Général Lamari. Mais ce dernier eut tout de même la faveur de partir avec un prix de consolation, qui se monterait à quelques centaines de millions de dollars. Tout le reste des anciens, et des nouveaux, décideurs s'étala de tout son long aux pieds des deux frères et de leur ministre de l'intérieur. Sauf un dernier carré d'irréductibles du DRS, qui n'entendaient pas devenir des sous ordres, eux qui étaient au cœur du pouvoir, et pour lesquels un Président de la République ne pouvait être qu'un prête-nom. A fortiori qu'ils venaient de passer un deal avec des cercles très puissants parmi les Néocons américains, pour créer une Qaeda dans le Maghreb et le Sahel. Le GSPC dont les quelques rares irréductibles erraient dans les maquis comme des âmes perdues, infestés de vermine, anéantis de faim, rejetés par les populations, sans armes, sans argent, étaient sur le point de faire leur reddition. Du jour au lendemain, il furent réactivés, la Qaeda du Maghreb islamique fut créée, les attentats et les enlèvements d'étrangers reprirent, et un avertissement sérieux fut envoyé à Bouteflika, dans la ville de Batna, lorsqu'une bombe explosa sur le passage qu'il devait emprunter quelques minutes plus tard, faisant de nombreuses victimes. Avertissement « sans frais ». Si l'on excepte les nombreuses victimes, dont le carnage a servi de lettre. On ne sait rien de ce dernier carré du DRS. On ne sait pas s'ils sont parrainés par le Général Toufik ou non. Mais il semble admis qu'ils agissent en électron libre, et qu'ils aient capté des mécanismes décisifs de la direction de cette pieuvre qu'est le DRS. Ces généraux et ces colonels, presque inconnus du grand public, et même des initiés, seraient la nouvelle force au sein de la maison de l'ogre, comme l'appellent affectueusement les Algériens. Il semble que les scandales à répétition et les révélations fracassantes qui défraient la chronique depuis quelques mois, et qui visent particulièrement le clan présidentiel soient de leur fait. Les cadres et commis de l'état qui font les frais de cette chasse aux sorcières, une sorte d'opération mains propres, mais soigneusement ciblée, seraient désignés par ces nouveaux patrons du DRS. Nous ne savons pas encore s'ils sont impulsés par le souci de nettoyer les écuries d'Augias, ou si ce n'est là qu'une opération de rééquilibrage des forces. Entre ingénuité et espoir, notre raisonnement balance. Mais ce fatras, et ce déballage d'ordures, ne représentent qu'une toute petite partie de l'immense curée à laquelle se livre la grande majorité des « grands serviteurs de l'Etat » et la faune des nouveaux riches qui ont fait main basse sur tout ce qui rapporte en Algérie. La corruption et les pratiques frauduleuses ont atteint un tel niveau que plus personne ne s'en cache, pas même les magistrats qui sont censés combattre ce fléau, et qui sont devenus pourtant le symbole même de la corruption. Puisqu'ils affichent désormais en plein jour, sans s'en cacher le moins du monde, leurs fortunes et leurs résidences somptueuses, qu'ils n'auraient pas pu s'approprier avec deux siècles de leurs salaires. Le problème, le plus périlleux est ailleurs. Il est dans une sorte de démission du chef de l'Etat. Depuis la fin de son deuxième mandat, et le début de son troisième, arraché au peuple à la suite d'un viol de la Constitution du pays, depuis plus de deux années maintenant, le président Bouteflika s'est littéralement éclipsé de la vie publique. De façon ostensible et ostentatoire ! Et plus les jours passent, plus il se retire davantage, jusqu'à ne plus assumer les plus protocolaires de ses charges. Presque plus d'apparition publique, ni de discours à la nation, même lors des commémorations les plus emblématiques du pays, pas la moindre déclaration au sujet de scandales financiers de très grande envergure, qui ont éclaboussé jusqu'à ses plus proches collaborateurs, et qui dans n'importe quel pays moyennement honorable, auraient fait sauter tout le gouvernement. Rien ! Nous ne savons plus rien de lui. C'est le black-out intégral sur tout ce qui le concerne, et tout particulièrement sur sa santé, même après les folles rumeurs qui ont laissé croire pendant plusieurs jours qu'il était à l'article de la mort. Hormis quelques personnalités étrangères qu'il a reçues presque en privé, comme la famille du footballer Zidane, et quelques visites à l'étranger où il ne fait que de furtives apparitions, les Algériens n'entendent plus parler de lui. Il est aux abonnés absents, et ne réagit plus aux évènements, aussi graves soient-ils. Ni même après des tueries de masse. Après l'attentat de la caserne de la gendarmerie, aux Issers, en août 2008 qui a fait 48 morts, il n'a pas eu le moindre mot de compassion, et n'a pas estimé nécessaire d'exprimer sa sympathie aux parents des victimes, même de façon formelle, dont on sait qu'elle est entreprise par des Chargés de mission. Il semble même qu'il ait donné l'ordre de ne pas communiquer de message de condamnation en son nom, et encore moins de sympathie. Comme s'il voulait que l'on sache bien qu'il faisait exprès de ne pas présenter ses condoléances, ni d'exprimer de regrets, ni de condamner ces attentats et ces carnages. Une attitude pour le moins curieuse, qui a fait penser à ceux qui l'ont approché, et qui connaissent son profond mépris pour ce peuple qui l'a « élu », qu'il voulait qu'on sache, dans les chaumières, et dans le sérail, qu'il était volontairement entré en catalepsie politique, qu'il ne bougerait plus le petit doigt pour sauver ce pays de l'inéluctable naufrage, et qu'il ne se manifesterait de nouveau que si le peuple entier sortait dans la rue pour réclamer son retour, dans une immense clameur populaire. Plus qu'un plébiscite qui ferait oublier le viol de la Constitution, et son élection frauduleuse, il voudrait donc que la multitude, cette masse grouillante de béni oui-oui, le supplie de venir à son secours, de sauver son âme, la nation en péril, lui le Sauveur providentiel, le dépositaire de la Baraka, lui qui nous a ramené la paix, et qui nous prodigué une prospérité inespérée. Curieuse mixture du Messie attendu et du Général de Gaule, dans le personnage desquels il aimerait bien glisser sa petite personne, il ne lui manque plus que d'aller résider à Tataouine-les-deux-Zaouias, et d'attendre le 18 juin prochain. Donc, ce président virtuel, qui pousse la bouderie jusqu'à ne plus mettre les pieds dans son bureau de la Présidence, depuis des mois, et dont le pays est géré, à la godille, par son propre frère, qui nomme et qui révoque, qui distribue la rente aux clans, et qui négocie les espaces de décision avec les cabinets noirs de certains cercles de l'armée, n'a plus de raison de rester à la tête du pays. Jamais, de mémoire d'homme, on n'a observé une situation aussi ubuesque, ni aussi tragique. L'Algérie est devenu un bateau ivre, et ne navigue même pas à vue, puisqu'il est sur le point se sombrer. L'argent du peuple algérien qui sert à acheter des complicités et des ralliements ne suffit-il donc plus au clan prépondérant pour se maintenir de façon inconditionnelle à la tête d'un pays qui est devenu une entreprise familiale ? Faut-il encore que la populace que nous sommes sorte brailler dans la rue son amour du Sauveur qui la méprise, pour qu'il daigne s'exprimer sur les graves évènements qui émaillent quotidiennement l'actualité algérienne ? L'heure est grave ! Une action décisive et urgente de salut public s'impose désormais. Mais malgré cette conjoncture effroyable qui risque de nous plonger, encore une fois, dans une tragédie dont nous pourrions ne plus jamais nous relever, le peuple algérien n'a pas la capacité de réagir. Parce que le régime qui l'a mis dans cette épouvantable situation, a tout fait pour qu'il ne puisse jamais se prendre en charge. Un peuple mineur, tout juste bon a entasser dans des camions, pour l'installer dans des manifestations « spontanées », pour aller vociférer des slogans de soutien: « djich, chaab, maak ya flène… » Les seuls partis politiques derrière lesquels il pourrait se rallier, pour conjurer le péril, sont à la dévotion des malfaiteurs qui pillent le pays sans vergogne. FLN, RND, MSP et autres partis d'opérette, ne sont plus que des rassemblements d'opportunistes qui négocient des parts de rente, et dont les apparatchiks s'épuisent en querelles de leadership. Ils ne font pas de la politique, mais de la « boulimique », ils ne sont pas aux Affaires, mais Dans les affaires. Le seul parti crédible, le FFS, a été neutralisé, ghetoïsé, infiltré par une foultitude d'agents provocateurs, et n'est pas en mesure, en l'état des choses, de rassembler tous les Algériens, pour des raisons objectives qui échappent à son contrôle. Quoi faire alors pour sauver notre pays ? Faire appel à l'armée ? Elle est infestée d'opportunistes et de manipulateurs, qui ont confisqué à leur seul profit, tous les mécanismes du Commandement. A moins que des officiers intègres, hommes d'honneur et de devoir, ne secouent le joug des malfaiteurs qui ont fait main basse sur leur institution, et ne décident d'un vrai sursaut révolutionnaire. Pas comme celui de Boumediène, mais une révolution qui puisse permettre au peuple algérien de recouvrer sa pleine souveraineté sur son pays, d'instaurer un système réellement démocratique, où toutes les Institutions jouent pleinement leur rôle, et dont les sièges de députés et de sénateurs ne se vendent pas aux enchères. Quoi faire d'autre en attendant, si ce n'est nous mobiliser, tous, dans toutes nos mouvances politiques, pour nous préparer au pire. Parce que lorsque notre maison brûle, on ne choisit pas les pompiers pour éteindre le feu.