Ahmed Selmane Mardi 4 Octobre 2011 L'ouverture de l'audiovisuel serait la « grande réforme », le « grand signal » de l'ouverture. Pourtant, les premiers éléments de cette présumée ouverture montrent qu'elle serait bien verrouillée. Le pouvoir se donne déjà les moyens légaux de filtrer les indésirables et de ne permettre que les télévisions « amies ». Décryptage de la nouvelle « réforme » destinée à faire diversion et à faire oublier les « fondamentaux » du blocage algérien. Après avoir tenu pendant plus d'une décennie un discours ridicule sur l'immaturité des algériens à accéder au pluralisme de l'audiovisuel, le pouvoir algérien fait mine d'ouvrir les vannes. Le ministre de la communication annonce même qu'il y aura une télévision privée en 2012. Quand on a organisé la misère et le sous-développement technique des métiers de l'audiovisuel en Algérie et quand on est déjà en retard d'une dizaine d'année sur le Maroc de Mohamed VI et même sur la Tunisie de Ben Ali, la « prouesse » mérite-t-elle d'être soulignée ? Oui, si l'on se rappelle qu'en mars 2011, le même ministre de la communication déclarait qu'à sa « connaissance l'ouverture du champ médiatique n'est pas encore à l'ordre du jour». Mars, ce n'est pas loin. Et personne ne peut croire que le régime algérien a subitement « compris » qu'il faut ouvrir et libérer un champ audiovisuel, interdit de facto aux algériens. Ce qui n'empêche pas des chaines étrangères de faire des algériens une « cible » et de générer des revenus. « L'ouverture » – à l'épreuve de faits, de l'expérience et jusqu'à preuve du contraire – fait partie de la recherche des effets d'annonce à destination de l'extérieur. Il s'agit de donner l'illusion du mouvement alors que tout reste immobile. Un élément de plus dans le décor du faux pluralisme Il y aura peut-être des « télévisions privées » en 2012, mais dans la démarche de préservation d'un régime obsolète, cela ne sera qu'un élément de plus dans le mauvais décor du faux pluralisme mis en place depuis deux décennies. Et même si le régime n'a rien d'un puriste en matière de respect des Constitutions et des lois, dans ses annonces à usage extérieur des « réformes » il prend, en direction de « l'intérieur », des garanties pour n'avoir que des télévisions « amies » dans le paysage. Il y a déjà, selon un décompte non officiel, une dizaine de projets adossés à des journaux existants ou des hommes d'affaires qui sont dans l'intime proximité des princes. Et, alors qu'on attend la loi « spécifique » sur l'audiovisuel, le communiqué officiel très généraliste qui l'a annoncé pose déjà les limitations. Il ne suffit pas d'être algérien, de respecter un cahier de charges, pour entrer dans les « happy few ». Ainsi, le « privé » algérien – pardon d'abuser des guillemets mais comment faire autrement pour rappeler que la télévision « publique » est privatisée par le pouvoir ? – qui aspire à lancer une télévision doit passer un double écueil. Non seulement, il doit conclure une convention avec une Autorité de régulation des médias audiovisuels qui sera mise en place. Cette Autorité, censée être « indépendante, jouissant de la personnalité morale et de l'autonomie financière » reste encore indéfinie pour sa composition, son fonctionnement et ses attributions. Il est bien entendu improbable que la formule « indépendante » recouvre le sens « non spécifique » qui lui est universellement donné. Mais qu'à cela ne tienne, il y a un autre grand verrou. La signature d'une convention avec ladite Autorité de régulation ne constitue pas un ticket d'entrée dans le paysage audiovisuel. Il faudra en effet ensuite une autorisation délivrée par le pouvoir. Himself ! Gageons que ce ne sera pas une simple formalité ! Une pour toi, une pour moi : Ne deviens pas « citizen-kane-dz » qui veut ! Les « décideurs » ou les détenteurs d'actions dans la SPA du système algérien filtreront ou bien feront dans le style très local du partage des domaines de la rente, ce sera du « un pour toi, un pour moi ». Ceux qui ne sont pas de la « maison » – en général ils ne sont pas très argentés ! – n'ont pratiquement aucune chance de passer les filtres. Ne deviens pas citizen-kane-dz qui veut ! Il n'y a de la place que pour les amis. Monter une télévision demandera donc de l'argent, c'est une évidence. C'est nécessaire – et encore des TV affligeantes et au rabais sont possibles – mais pas suffisant en démocratie spécifique. Il faudra, pour utiliser le jargon des politologues, de la « ressource politique » qui, en Algérie, où la société est interdite de création politique, ne dépend que des appareils du pouvoir. Il ne sert à rien à expliquer à ceux qui considèrent que la société est menace et son expression, pacifique mais libre, est de la subversion que les télévisions « amies » qui vont naître ne seront pas meilleures que leur « Entv ». Et qu'une duplication à l'infinie de celle-ci, même avec l'octroi d'une « liberté de ton » aux nouvelles chaines amies, n'y changera pas beaucoup. Le champ de l'audiovisuel est l'exemple même où le verrouillage n'a ciblé que les algériens et a empêché de développer des métiers. Cet appauvrissement général sera d'ailleurs la chose la plus «visible » en cas d'arrivée de chaines TV ou alors il y aura un recours à la « coopération technique » étrangère pour le masquer. Le pire est que cet appauvrissement et cette stérilisation n'a pas empêché des chaines étrangères – arabes, européennes et même maghrébines- de cibler pour des buts commerciaux et politiques le public algérien. Les algériens exclus, les chaines étrangères ne demandent pas d'autorisation La privatisation de fait de l'Entv par le pouvoir a eu pour conséquence d'exclure les algériens et de permettre à des non-algériens d'être présents et de faire cette « politique » qui est interdite aux algériens. Tel que c'est parti, le régime aura ses « télévisions amies » liées aux actionnaires de la SPA du régime. Sans changer réellement la donne. Et cela sera ainsi sans changement politique qualitatif. Celui qui donnerait, enfin, à la notion de service public sa juste place et mettra fin à l'interprétation tordue d'un système tordu qui a inventé l'aberration de la « ligne éditoriale de l'Etat » ; et où le chef de l'Etat a pu dire – et ce n'était pas qu'une boutade – qu'il était le red-chef de l'APS et des médias publics. Multiplier le nombre de télévision – comme on a multiplié le nombre des partis croupions – est dérisoire quand on connait la multitude des « offres » en direction du public algérien. Il est très clair également que ce seront les « contenus » qui peuvent créer une différence et permettre de reconquérir une audience déjà branchée ailleurs. Car il ne s'agit pas seulement de l'info, source de l'obsession compulsive du contrôle du régime. Il faut offrir des télévisions avec des grilles de programmes avec contenus attractifs. Cela demande de la créativité, de l'inventivité et de la qualité. Cela exige du droit qui met fin à la précarité. Et surtout cela implique un projet politique et culturel fondé sur une société de femmes et d'hommes libres. L'imperturbable immobilisme permet de dire, sans risque, qu'on est loin. Et on peut même penser que les futures TV sont pensées comme des instruments de diversion qui n'assureront même pas le divertissement mais qui peuvent servir à l'occasion à des missions de basse politique comme on a pu le voir dans la presse écrite. On risquera, peut-être, de regretter cette ENTV qui ne dit rien. Source : http://www.lanation.info Lectures: