« Si le Livre Saint est véridique et s'il nous invite au raisonnement philosophique qui conduit à la recherche de la vérité, il en résulte certainement pour l'homme de Foi que le raisonnement philosophique ne nous mène pas à une conclusion contraire à la vérité divine, car si l'une est vérité et l'autre vérité, la vérité ne peut contredire la vérité mais s'harmonise avec elle et témoigne en sa faveur ». Ibn Rushd L'omerta médiatique et l'ostracisme voulues et imposées ont fait qu'un certain nombre de penseurs furent bannis et occultés pour le seul délit d'avoir proposé une lecture alternative au message divin. Parmi ceux-là figure Mohammed Shahrour.Professeur en génie civil, M. Shahrour publia en 1990 un ouvrage, considéré comme son magnum opus, sous le titre Al-Kitab wa al-Quran (le livre et le Coran). (1) Dans son introduction il rappelle les problèmes fondamentaux du discours islamique traditionnel ; l'absence d'une approche scientifique au texte divin, la fixation des Ulémas sur les formalismes apologétiques, et l'incapacité à réhabiliter ou à élargir une conception épistémologique islamique. M. Shahrour postule la notion » la nature fixe du texte et la flexibilité du contenu » dans la description de la dialectique entre le texte et son contenu. L'aptitude de M. Shahrour à raisonner, en termes de sciences naturelles et son usage de méthodes modernes dans le domaine de la linguistique ont été d'un grand support dans sa quête pour une nouvelle lecture du texte divin. La centralité de son œuvre en est que le Livre Saint contient deux types de messages : – L'un est à portée Universelle et Eternelle, il est appelé ici al-Quran ; il prône des valeurs éthiques valables en tout temps et tout lieu, comme le respect de la dignité humaine, l'égalité entre homme et femme, la liberté de choix de l'individu. – L'autre type de message correspond à un ajustement de ces valeurs universelles à un contexte historique précis, en l'occurrence celui de l'Arabie au VIIe siècle. M. Shahrour le désigne comme Umm al-Kitab. Se basant sur le rejet de toute synonymie dans le livre saint, M. Shahrour mets en évidence la différence entre Islam et Iman : – l'Islam représente l'aspect universel et permanent de l'Ethique et de la Foi, telle que la raison humaine peut les concevoir ; un juif, un chrétien ou toute autre personne peut être qualifié de Musulman. – L'Iman représente la religion particulière, contingente, à un contexte historique précis. En l'occurrence, dans le livre Saint, les Mouminounes sont les croyants qui ont suivi la prédication spécifique du Prophète Mohammed. La confusion entre les deux notions a inféré l'une des plus grandes équivoques de la pensée islamique classique. Partant de là, il reprend la lecture du Livre Saint et distingue le texte coranique qui définit l'Islam (les valeurs éthiques universelles) et ce qui relève de l'Iman (rituel notamment). Rejetant encore une fois l'idée de synonymie, il fait la distinction du profile des fonctions de : – Nubuwa (Prophétie) qui est l'annonce des Vérités Universelles et Eternelles. – Rissala (Message) qui est l'aménagement historique de ces vérités pour la communauté des musulmans au VIIe siècle. En conséquence, M. Shahrour, conclut que Dieu, dans le livre Saint, a finalisé pour l'Eternité la liste des interdits (Haram), qui sont universels et absolus. La société peut prohiber, mais ne peut interdire au sens divin. M. Shahrour réfute l'idée que l'application stricte des lectures faites au VIIe siècle puisse être embrassée par notre ère. D'une certaine manière cette application est même une trahison à l'idéal de pensée et de liberté exhortée par le Livre Saint. Concernant la Sunna, M. Shahrour critique avec verve la déification des usages et postures sociales du VIIe siècle, qui ont conduit à imposer la primauté des contenances sociétales anciennes de la communauté musulmane sur le Coran lui-même, et à se détourner de l'utilisation créatrice de la raison ; pour se fixer sur des détails rituels surannés. Son point de vue à l'égard du hadith est encore plus éloquent. Il postule, qu'il appartient à chaque musulman d'estimer comment tirer des règles du Quran des options de conduite (démarche de Taawil), lesquelles ne doivent jamais contredire les grandes codifies universelles de l'éthique. Le hadith reflète l'Ijtihad du Prophète, dont l'intérêt est certain mais qui ne doit pas être sacralisé. Et l'effort de la raison humaine consiste à faire éclore les principes universels et à les interpréter pour chaque époque. Cela fut précisément le rôle des grands prophètes. De plus, L'Ijmaa ne concerne que des personnes vivantes, non les Ulémas morts depuis longtemps. Hudud, ou la théorie des limites fait appel à l'agencement presque mathématique de l'épistémologie que le Coran présente aux hommes. Dieu n'impose pas des règles sociales précises, mais il fournit aux hommes les limites leur permettant, selon les contextes, de codifier sur les questions de statut des personnes, d'héritage etc. M. Shahrour distingue : des limites inférieures (peines minimales) et des limites supérieures (peines maximales, comme les cas de peines capitales) : aux hommes de situer leur jugement entre ces deux pôles. La position de M. Shahrour est en rupture avec la pensée islamique traditionnelle non seulement par sa méthode, mais aussi par ses présupposés : ce qui fait l'essentiel de la religion selon lui est l'Ethique, non la Mystique, les Rituels ou la Jurisprudence. Cette rupture en question n'est pas propre à M. Shahrour mais fait partie de la pensée critique innée, mais « nous avons, nous autres, oublié la possibilité ». C'est l'oubli de cette possibilité que M. Shahrour exhorte à la lumière de sa lecture d'avant-garde pour réinterroger le texte sacré dans une perspective rationaliste afin d'arracher les consciences à leur dogmatisme. Mais surtout en final, pour pronostiquer qu'une religion qui se coupe de l'Ethique Universelle pour s'attacher au seul rituel ou au droit ; devient irrationnelle et inhumaine. (1) http://www.shahrour.org/?page_id=108 Khaled Boulaziz