Il y a 25 ans, le 11 janvier 92, d'ex-sous-officiers « déserteurs » de l'armée coloniale plongeaient l'Algérie dans les abysses d'une tragédie sanglante, en provoquant un Coup d'Etat contre la volonté populaire, une volonté populaire qui avait signifié au régime illégitime sa retraite, après des élections législatives les moins frauduleuses depuis l'indépendance. Trois fronts (FIS, FFS et FLN) représentant les principales tendances politiques du pays étaient chargés, par la voie des urnes, de prendre en charge les destinées du pays pour un mandat donné. Mais hélas, les sanglants événements qui ont suivi cet acte irréfléchi, ont montré qu'il n ‘était pas question pour cette oligarchie de se plier à la volonté et à la souveraineté populaire, que la «démocratie » décrétée en 1988 n'était que supercherie et qu'on ne pouvait toucher aux fondements du système militaro-financier en place et de l'exercice du pouvoir. Après tant d'années de tromperie et de désinformation, tout le monde s'accorde maintenant à dire que la victoire du FIS ne fut qu'un alibi (encore un autre) dans l'arrêt du processus d'autodétermination des algériens. Tout autre courant politique légitimé par la volonté populaire à travers le suffrage universel aurait subi le même sort. Il était clair que l'oligarchie ne pouvait admettre l'établissement d'un pouvoir issu de la volonté populaire et qui mettrait inéluctablement ses privilèges en danger. Tout ce qu'elle voulait était un décor démocratique avec des institutions et des hommes politiques factices. Une sorte d'adaptation artificielle aux changements mondiaux et ce, par un simple changement d'oripeaux. C'est ce qu'une compatriote universitaire appellera la «démocratie sélective et conditionnelle ». Elle l'obtiendra par la loi de la force, la mascarade électorale et à un prix humain exorbitant, avec malheureusement la complicité d'une grande partie des classes dites « intellectuelle » et «politique». Ce qui se produira après l'acte irresponsable du 11 janvier 1992 dépassera tout entendement. Il est maintenant certain que durant la récréation pseudo-démocratique (88 – 91), les officines avaient déjà concocté leur plan de guerre contre ceux qui auraient l'impudence de remettre en cause leur illégitimité par la voie des urnes. C'est ce que les putschistes appelleront pompeusement et toute honte bue, le « le plan d'action global ». Un plan de très «haut niveau » selon eux (le « haut niveau » étant la clause sémantique que le lecteur devinera aisément et sans plus) et qui aura coûté plus de 200 000 morts. Quelles leçons à tirer de ce drame ? Ce coup de force contre la légitimité populaire représentée par les trois fronts et qui a mis fin à cette récréation pseudo-démocratique avec le désastre humain qui s'en est suivi, a entrainé une démobilisation de la population, dont le seul souci était le retour de la paix et rien d'autre. Tout le monde s'était trompé de cible faisant le jeu du régime. Des erreurs monumentales ont été faites. Et toute la classe dite politique est responsable de ce fiasco. Tous doivent avoir le courage de faire aujourd'hui et avec le recul, leur autocritique, voire pour certains, leur mea-culpa. Il n'est pas facile aujourd'hui de remobiliser les foules terrorisées par les années sanglantes et qui ont perdu confiance en cette classe politique factice. Il n'est pas question de se taire sur le scandaleux comportement d'une certaine « élite » dite politique et intellectuelle et d'une certaine presse aux ordres. Nous avons toujours dit que notre pays n'était pas seulement malade de son régime politique criminel et corrompu mais aussi et surtout de ses élites lâches. Une grande partie des intellectuels et des politiques a eu un comportement odieux durant les moments tragiques qu'a connu notre pays. Certains d'entre eux ont traité ce peuple de gueux, de piétaille ou de « ghachi ». D'autres ont proposé un collège électoral pour empêcher justement ces « gueux » de voter. Ils se sont abrités derrière les blindés qui ont renversé les urnes et confisqué la volonté populaire. Ils ont cautionné la répression sauvage qui s'est abattue sur une partie de la population et ont servi de « commandos médiatiques » en France plus particulièrement, pour désinformer l'opinion publique sur les réalités du drame national. Nous avons vu des « opposants » circuler en voitures blindées et loger au « club des larbins » au même titre que les criminels qui ont mis le pays à feu et à sang. C'est ce qu'on appelle Djazaïr El ‘Adjaïb. Ces « intellectuels » et « politiques » se réclamaient tous de la démocratie mais peu la pratiquaient, ce qui m'avait amené à dire lors d'une conférence, qu'en Algérie il y avait beaucoup de démocrates non pratiquants et peu de démocrates pratiquants. Cette tragédie nous a permis de constater aussi qu'en place et lieu d'une véritable société civile, les officines nous ont préfabriqué une « société servile » corvéable et malléable à merci. Quant à une certaine presse aux ordres, elle aura joué le rôle de la « Radio des mille collines » du Rwanda. Une poignée de directeurs de journaux privés autoproclamés « indépendants » et une minorité de « journalistes » se sont mis au service du département de l'action psychologique de la police politique, se transformant en véritables mercenaires de la plume. Certains lançaient de véritables appels au meurtre contre des citoyens et que les escadrons de la mort se chargeaient de cueillir et d'éliminer quelques temps après. Je parle en connaissance de cause car j'ai été personnellement victime de cette odieuse machination. Je connais de nombreux cas qui n'ont pas eu cette chance d'échapper à la mort et qui ont été exécutés sommairement ou portés « disparus » après des articles délateurs de cette presse. Dieu merci la majorité des jeunes journalistes est restée digne et n'a pas participé à cette œuvre criminelle. Quelques journalistes trompés par la propagande des « services » ont eu le courage et l'honnêteté de se ressaisir, de reconnaitre leurs erreurs par la suite et de faire leur mea-culpa. C'est tout à leur honneur. Quant aux plumitifs chargés des basses œuvres, ils ont été grassement récompensés. Allez voir sur quelles fortunes roule cette poignée de directeurs de journaux privés qui s'étaient mis au service des généraux factieux ? 25 ans plus tard, pensant jouer sur l'amnésie, ces mêmes acteurs de cette guerre fratricide, tenteront de se recycler en militants impénitents de la démocratie et des droits de l'Homme et en défenseurs zélés de la liberté de la presse. Certains oseront s'autoproclamer « opposants » au même régime qui les a nourris et qu'ils ont servi aveuglement, quand le sang et les larmes des algériens coulaient à flot. Quant aux putschistes d'hier, ont-ils sauvé la « démocratie », une démocratie qui n'a jamais existé à ce jour ? Ont-ils sauvé l'Algérie, comme ils le prétendaient hypocritement ou ont-ils sauvé leurs privilèges mal acquis ? Et finalement à qui a profité ce drame national ? N'est-ce pas les acteurs des deux bords de cette sale guerre et leurs rejetons qui sont devenus milliardaires, en sacrifiant des dizaines de milliers de jeunes sans présent ni avenir sur l'autel de la bêtise humaine ? Saurons-nous tirer les leçons des macabres manipulations de ces aventuriers de tous bords ? La question reste posée !