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ASSISTE-T-ON À UN REMAKE DE LA PERIODE KHELIL ?
Publié dans Le Quotidien d'Algérie le 08 - 04 - 2019

« Quand il y a un flou, il y a un loup », dit le proverbe. C'est ce qui se passe depuis 2017 dans le secteur pétrolier algérien, car les quelques rares informations concernant les activités du secteur qui sont fournies à l'opinion publique sont plutôt vagues et prêtent à confusion. Et ce particulièrement au sujet de la nouvelle loi des hydrocarbures actuellement en gestation, dont tout ce que l'on nous en dit, est plutôt flou et nous donne l'impression de revivre un film que l'on a déjà vu en 2000 – 2002.
Dès son accession à la présidence de la République en avril 1999 Abdelaziz Bouteflika avait été chercher son ami d'enfance Chakib Khelil à la Banque Mondiale pour le nommer ministre de l'énergie. C'était pour lui le candidat idéal, non seulement en raison des liens étroits d'amitié qui les unissaient depuis leur plus jeune âge, mais aussi et surtout parce qu'il voyait en lui une passerelle d'accès au président américain George W. Bush. Khelil était citoyen américain. Il avait fait ses études dans une université du Texas et avait travaillé dans un bureau d'études texan; il connaissait donc une bonne partie du groupe des pétroliers qui entouraient le président américain. Sachant qu'il avait été mal élu, Bouteflika voulait avoir le soutien de George W. Bush pour pouvoir s'imposer, pensait-il, aux généraux qui l'avaient coopté. Mais le soutien du président de la première puissance mondiale se paye; celui-ci avait exigé que la politique pétrolière algérienne soit conforme à la nouvelle doctrine américaine en la matière. L'élaboration de cette doctrine avait été la première tâche à laquelle s'était attachée la nouvelle administration dès l'arrivée de George W. Bush à la Maison Blanche, qui en avait chargé un groupe de travail créé spécialement à cet effet, le NEPD Group (National Energy Program Development), présidé par le vice-président Dick Cheyney. Le principe de base de cette doctrine était que les compagnies pétrolières américaines devaient s'accaparer d'un maximum de réserves pétrolières à travers le monde, particulièrement dans un certain nombre de pays nommément cités, dont l'Algérie. Abdelaziz Bouteflika avait accepté cette condition, à la suite de quoi son ministre de l'énergie avait confié l'élaboration de la nouvelle loi des hydrocarbures à des cabinets d'études américains. La disposition principale de cette loi répondait en tous points aux désirs du président américain. Elle prévoyait que la compagnie nationale des hydrocarbures SONATRACH ne pouvait détenir plus de 30% de participations dans toute association avec une entreprise étrangère et ne disposait que de 30 jours pour accepter ou refuser une telle proposition de la part de ladite entreprise; celle-ci devait, par ailleurs, être l'opérateur sur le gisement objet de l'association. Ce qui signifiait qu'à long terme serait transférée aux compagnies pétrolières étrangères, les américaines essentiellement, la propriété des réserves pétrolières algériennes[1].
On assiste aujourd'hui à une situation en tous points identiques à celle qu'a vécue l'Algérie à cette époque. Sur le plan des hommes et de leurs parcours tout d'abord. Abdelmoumen Ould Kaddour, P-DG de SONATRACH depuis un peu plus de 18 mois est, tout comme Chakib Khelil, l'homme des Américains. Il en a fourni de multiples preuves du temps où il était P-DG de BRC : des surfacturations à 600 et 700% destinées à alimenter la cagnotte dans laquelle piochaient les mafieux américains et algériens, BRC transformée en une simple courroie de transmission vers Brown & Root, les mallettes de commandement achetées chez Raytheon pour les besoins de l'armée algérienne – ou pour ceux des services secrets américains, devrais-je dire, etc. Bouteflika qui avait eu recours, en 1999, aux services de son ami d'enfance afin de renforcer et pérenniser son pouvoir, a fait appel à Ould Kaddour en 2017, c'est-à-dire à un moment où lui et son régime craignaient de se voir éjectés du pouvoir, en raison de la chute des prix du pétrole, qui avait entraîné une diminution notable de la rente pétrolière. Car à ses yeux et à ceux de la nébuleuse qui l'a entouré durant 20 ans, tout s'achète, y compris la docilité du peuple. Ils ne pouvaient imaginer qu'arriverait le jour où le peuple voudrait prendre son destin en mains et exigerait leur départ. Ould Kaddour a été nommé à la tête de SONATRACH afin de retisser les liens avec les milieux pétroliers américains, des liens qui s'étaient effilochés depuis le départ de Khelil et afin aussi, pensait-on, d'attirer les grosses multinationales américaines, en leur rachetant leur vieille quincaillerie comme ce fut le cas de la raffinerie d'Augusta d'Exxon-Mobil.
Tout comme Khelil, Abdelmoumen Ould Kaddour s'est assigné comme première tâche celle d'élaborer une nouvelle loi des hydrocarbures, dont il a, lui aussi, confié la conception à plusieurs bureaux d'études américains. Il a même fait « mieux » que Khelil en la matière, puisque actuellement ce sont 5 ou 6 consultants qui travaillent sur le dossier. On a d'ailleurs l'impression que les différents responsables du secteur de l'énergie cherchent à dessein à entretenir une certaine confusion quant au nombre exact de bureaux d'études auxquels a été confiée l'affaire et quant à la mission qui a été confiée à chacun d'entre eux. Ould Kaddour nous dit qu'il a été fait appel aux « quatre bureaux de consulting, spécialisés notamment dans les domaines des lois sur les hydrocarbures et tout ce qui est légal et marketing ». Le vice-président Business Development et Marketing donne des informations différentes; il affirme que l'on a chargé 3 cabinets de consulting – pas tous les mêmes que ceux cités par Ould Kaddour – américains bien entendu, « d'établir un diagnostic simplement », un diagnostic qui a nécessité cependant « un examen approfondi de l'état du secteur pétro-gazier algérien, notamment des aspects fiscal, contractuel et institutionnel ». Rien que cela. Encore récemment, le ministre de l'énergie déclarait que la refonte de la loi sur les hydrocarbures s'était faite sur la base d'une large concertation avec les partenaires et les experts.
L'autre similitude que l'on constate entre la situation durant la période Khelil et celle d'aujourd'hui, est que ce dernier était impliqué dans l'affaire des pots-de-vin versés par des filiales de l'ENI à des personnalités algériennes, puis avait fui aux Etats-Unis afin d'échapper à la justice algérienne qui avait émis un mandat d'arrêt international à son encontre, avant de revenir au pays en grande pompe et d'y être accueilli avec les honneurs, comme si on le destinait à occuper un très haut poste de responsabilité. Quant à Abdelmoumen Ould Kaddour, il a lui purgé une peine de prison, suite à une condamnation pour intelligence avec une puissance étrangère, pour avoir fait commander par BRC, auprès de Raytheon, les fameuses mallettes de commandement, qui ont coûté la bagatelle de 1,5 milliards de dollars et qui ont permis aux services de renseignements américains d'espionner l'armée algérienne; avant d'être ramené lui aussi dans le secteur économique pour y occuper un poste prestigieux et extrêmement sensible. On peut enfin dire que tous deux ont assumé le double rôle de ministre et de P-DG de SONATRACH, même si cela n'a pas toujours été officialisé par décret.
Sur le plan de la forme, on constate donc que les deux hommes sont El Hadj Moussa, Moussa El Hadj. Le plus grave reste cependant à venir; il est dans le fond. Il n'est pas nécessaire de revenir sur les dégâts qu'aurait pu causer à l'Algérie la loi de Chakib Khelil si la levée de boucliers à laquelle avait fait face Bouteflika, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du pays, ne l'avait pas poussé à y renoncer en 2006. Pour la remplacer par quoi ? Par l'épouvantail imaginé, encore une fois par Khelil, comme s'il avait voulu démontrer par l'absurde que sa loi était bonne. Il n'est qu'à voir, pour s'en convaincre, le nombre d'arbitrages perdus par SONATRACH depuis l'entrée en vigueur de la loi de 2006 et à quel point l'Algérie est devenue un pays non attractif pour les compagnies pétrolières étrangères. Mais j'ai bien peur que l'on est entrain d'essayer de guérir par cette nouvelle loi, un mal par un autre mal, encore plus grand.
Que nous disent, en effet, les différents responsables du secteur de l'énergie à propos de cette loi ? Ils nous parlent de discussions avec les partenaires afin de connaitre leurs attentes; ils nous parlent d'une loi dans laquelle serait introduite plus de souplesse pour ce qui est de la fiscalité; ils nous parlent de dispositions juridiques et fiscales qui devront encourager les investisseurs à venir en Algérie, etc. Comme quoi on est prêt à leur accorder tout ce qu'ils demandent. Est-on devenu, dans le secteur des hydrocarbures algérien, naif au point de ne pas savoir que dans le milieu pétrolier on a affaire à des requins qui sont prêts à nous « manger tout cru » ? A-t-on oublié que le pétrole mondial est contrôlé depuis bientôt un siècle par Sept Soeurs, qui ont imposé leur loi même aux plus grandes puissances de la planète ? Quelles sont ces attentes que les partenaires vont invoquer aux Algériens ? Qu'ils veulent une plus grande ouverture du secteur, un euphémisme pour signifier qu'ils désirent que leur soit transférée la propriété du ou des gisements sur lesquels ils interviendraient; qu'ils veulent que leur soit accordé, au plan fiscal, un taux d'imposition très proche de zéro, si ce n'est zéro; qu'au plan social, ils voudraient que les quelques agents algériens qu'ils emploieraient, ne bénéficieraient que des « avantages » que eux leur accorderaient, autant dire zéro dans ce domaine également (bien entendu, pas de syndicats, pas de grèves, etc.); qu'ils veulent qu'au plan réglementaire, leur soit réservé un traitement spécial libre de toute contingence. Cette liste de désirs n'est, bien entendu, pas exhaustive. Ils voudraient aussi bien sûr que ce traitement privilégié leur soit garanti pour toute la durée du contrat.
Mais tout cela SONATRACH et le ministère de l'énergie le savent; il n'est pas nécessaire de poser la question à Exxon-Mobil, à BP ou à Total pour le découvrir. Sauf qu'en entamant, des discussions sur les attentes des partenaires uniquement, on fait d'emblée un énorme aveu d'impuissance. On leur laisse l'initiative dans toute discussion ou négociation à venir; on leur permet d'imposer leur point de vue dans ces négociations. Il apparait d'autant plus clairement que l'on a admis être en position de faiblesse, que l'on a fait appel à des bureaux d'études américains pour élaborer la loi elle-même, mais aussi pour examiner les aspects fiscal, contractuel et institutionnel du secteur de l'énergie algérien. N'y a-t-il pas de compétences en Algérie pour effectuer ce travail ? Il est absolument certain que la loi actuelle doit être révisée. N'est-on pas capable de savoir quels en sont les points faibles ? Compte tenu du nombre d'appels d'offres improductifs reçus depuis une quinzaine d'années, n'est-on pas en mesure de dire quels sont les dispositions qui rebutent les investisseurs étrangers ? Tout le monde sait que les articles à revoir sont au nombre de deux ou trois, tout au plus. Est-il nécessaire de se retourner vers les Américains pour leur demander quels sont ces articles, et leur demander aussi qu'ils nous fassent les modifications requises ? L'Algérie en est, je crois, à sa quatrième ou cinquième loi en 30 ans. N'y a-t-il pas dans le pays des juristes, des financiers, des fiscalistes et des ingénieurs pétroliers compétents qui reverraient, les quelques dispositions qui posent problème, sans jamais perdre de vue les intérêts supérieurs du pays ? Faut-il se mettre à nu devant des spécialistes américains qui viendraient nous dire qu'est-ce qui cloche aux plans fiscal, contractuel et institutionnel de notre secteur de l'énergie ? Si plus de 55 ans après sa création SONATRACH n'est pas en mesure de faire cela par ses moyens propres, on est alors en droit de se demander à quoi ont servi les milliards de dollars qui ont été investis dans les contrats de consulting et/ou de partenariat passés avec les plus grandes firmes mondiales.
À moins que l'on ne veuille, encore une fois, céder le contrôle des ressources naturelles du pays à l'étranger. J'ai bien peur, hélas, que c'est bien de cela qu'il s'agit. C'était la technique utilisée par Abdelaziz Bouteflika pour acheter le soutien des puissants de ce monde pour renforcer son pouvoir. Mais Bouteflika c'est le passé, il n'est plus président de ce pays. C'est pourquoi je dirais à mes frères algériens, à ces jeunes tout particulièrement qui, en l'espace d'un mois, ont réussi à pousser en dehors d'El Mouradia celui qui se voyait président de la République Algérienne à vie, je leur dirais donc que ce n'est là qu'une première étape et qu'ils finiront certainement par obtenir la disparition d'un système, qui a fait notamment des ressources naturelles du pays son bien propre. Je leur demande instamment d'être particulièrement vigilants quant aux magouilles qui pourraient intervenir dans le secteur des hydrocarbures durant cette période trouble, alors que les hommes du système sont encore en place; pas seulement à SONATRACH ou au ministère de l'énergie, mais partout ailleurs dans les autres structures de l'Etat. Car la manière dont est conduit ce tripatouillage de la loi qui gère l'unique (hélas!) ressource du pays n'inspire pas confiance; cela pourrait avoir des conséquences funestes pour l'Algérie et pour l'avenir de son peuple. Une tâche immense attend les hommes qui devront demain mettre en place un nouveau modèle économique en Algérie. Cela prendra beaucoup de temps. Il faudra donc, pendant longtemps encore, compter sur le pétrole et le gaz pour couvrir les besoins de 40 millions d'Algériens. Ne laissez pas alors les vautours, nationaux et étrangers, prendre dans leurs serres les hydrocarbures algériens.
Le 07 avril 2019
[1] Voir « Histoire secrète du pétrole algérien », Editions La Découverte, 2010, pages 305 à 318


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