La dictature militaire est un régime où le pouvoir est exercé au nom de l'armée qui, dans les exemples de l'Amérique Latine, défend une classe sociale privilégiée. Dans le gouvernement, les principaux ministères sont dirigés par des officiers supérieurs en tenue. Régime autoritaire, l'Algérie n'est pas une dictature militaire dans le sens décrit ci-dessus. A l'indépendance, la hiérarchie militaire a confisqué le pouvoir au nom du peuple, affirmant qu'elle est issue du FLN historique et qu'elle a la mission de réaliser son programme. Le colonel Houari Boumédiène qui, en devenant ministre de la défense et ensuite Chef de gouvernement, a enlevé la tenue militaire pour prétendre être un militant du FLN. Il avait lancé une politique économique et sociale qui lui avait valu le soutien d'une grande partie de la population : nationalisation des hydrocarbures, industrialisation, réforme agraire, médecine gratuite, etc. Quelques années après, ce projet n'a pas tenu ses promesses, menant le pays vers des difficultés financières et vers l'appauvrissement de la société. Il y a été mis fin avec la réforme constitutionnelle qui a suivi les manifestations d'Octobre 1988. Théoriquement, un nouveau régime devait naître, avec comme conséquence le retrait des officiers supérieurs du comité central du FLN. Mais la hiérarchie militaire n'a pas pour autant renoncé à être source de pouvoir à la place de l'électorat. C'est pour sauver la nation (contre l'électorat ?) que la hiérarchie militaire a annulé les élections en janvier 1992. Le paradoxe du régime est qu'il prétend parler au nom du peuple contre le peuple. Tous les discours de Gaid Salah depuis mars 2019 reproduisent chaque semaine ce paradoxe. Le régime n'a pas la cohérence de la dictature militaire où l'armée arrête les opposants et réprime les manifestations. Pour s'assurer la fidélité des magistrats, Gaid Salah n'a fusillé aucun juge comme cela se fait dans les dictatures militaires ; il a par contre a décidé d'augmenter les traitements des magistrats, utilisant ainsi le budget de l'Etat pour les corrompre, alors que, théoriquement, ils doivent rendre la justice au nom du peuple. Si demain, les juges prennent conscience et refusent de condamner arbitrairement les manifestants, les policiers cesseront d'arrêter les citoyens et Gaid Salah sera obligé de partir pour laisser l'Etat-Major négocier une transition pacifique avec le hirak. En Algérie, la hiérarchie militaire utilise la justice et la police pour réprimer. Autrement dit, la hiérarchie militaire soumet à sa volonté des institutions de l'Etat pour s'imposer comme source de pouvoir. Sans la police et la justice, l'Etat-Major n'aurait aucun moyen d'exister politiquement. C'est ce qu'ont compris les manifestants qui scandent les vendredis « les généraux à la poubelle et l'Algérie teddi l'istiqlal ». Ils veulent dire que les institutions de l'Etat (présidence, assemblée nationale, ministères, justice, police) sont colonisées par la hiérarchie militaire qui nomme les civils à la tête de ces institutions. Ils veulent dire que l'Etat n'est pas indépendant. Face au hirak, qui a montré une maturité politique indéniable, le régime est faible parce qu'il repose sur une fiction à laquelle plus personne ne croit. L'Algérie n'est pas une dictature militaire ; c'est un régime populiste autoritaire qui a épuisé sa dynamique politique et qui n'a plus de pertinence historique. C'est un fruit mûr qui préfère pourrir dans l'arbre et tomber sur le sol avec fracas.