D'ici, il y a toujours des intelligents pour nous l'expliquer, le ton péremptoire et la leçon de patriotisme au bout de la langue : les Algériens ne seraient finalement pas si mal lotis que ça. Comme il y en a parmi eux qui ne peuvent pas s'arrêter en si bon chemin, ils poussent le bouchon plus loin, l'occasion faisant le larron. Nous ne mesurerions donc pas l'étendue de notre bonheur d'avoir les carburants à si bas prix quand dans un «pays comme la France» où ils sont inaccessibles. Hors de portée l'essence et le gasoil qu'ils en arrivent à menacer jusqu'au pain quotidien de ceux qui en ont besoin dans leur activité professionnelle directe ou simplement pour rejoindre leur lieu de travail tous les jours que Dieu fait. Il n'y a pas que ça, il y a aussi d'autres taxes, la précarité et plein d'autres raisons de râler. Dans la foulée, les intelligents ne peuvent pas bouder leur plaisir d'en rajouter : voilà la France, votre modèle de développement, de démocratie et de liberté. Ce ne sont même plus les chômeurs, les laissés-sur-le-carreau, qui crèvent la dalle au point de rentrer dans une colère dont il est difficile d'imaginer l'issue. Ce sont maintenant des gens qui ont un boulot, des commerçants, des professeurs, des femmes et des hommes de la classe moyenne qui n'arrivent pas à boucler leurs fins de mois. D'autres, aussi perspicaces, viennent nous sortir la contestation civilisée expliquée aux nuls et aux sous-développés. Regardez ces gilets jaunes comme ils sont beaux, pacifiques mais déterminés, chassent les casseurs, grillent des merguez devant les péages d'autoroute, sourient comme des anges, se relayent sur les lieux de rassemblement, travaillent et prennent un congé pour leur tour de piquet. Vos colères à vous sont moches, agressives, destructrices. Vous coupez les routes et ce sont vos compatriotes qui en pâtissent, vous brûlez des pneus, vous lancez des pierres et vous n'allez pas au boulot alors que vous n'êtes ni en congé ni en grève. D'autres, enfin, ont tout compris et vous font la pédagogie. Ça fait longtemps qu'ils nous ont expliqué la fin des idéologies, ils nous sortent maintenant la fin des syndicats, des organisations, des associations et des partis politiques. Il ne resterait que des citoyens qui prennent leur destin en main et les gilets jaunes en sont l'exemple parfait. A méditer, paraît-il. Ils savent ce qu'ils veulent et comment l'obtenir. S'ils n'obtiennent rien du tout, ce n'est pas grave, c'est des affaires franco-françaises. En attendant, on en parle quand même. Histoire de conjurer le sort ou simplement parler. Pour se donner bonne conscience en étant de mauvaise foi, on compare l'incomparable. Le Champ-de-Mars proposé mais refusé, le Champ-de-Manœuvres interdit ou… interdit, les gilets jaunes et les cagoules noires. S. L.