Alors qu'une pluie fine arrosait la ville, depuis le début de matinée enveloppée sous un ciel grisâtre dans lequel le soleil n'osait que quelques timides apparitions, augurant une météo ayant de quoi faire changer d'avis à plein parmi les centaines de milliers d'habitués des manifestations à Tizi-Ouzou, mais comme une habitude bien établie, depuis dix semaines maintenant, les premières clameurs se faisaient entendre peu avant midi. Tel un rituel, depuis plus de deux mois maintenant, c'est peu avant midi donc que les premières clameurs se faisaient entendre, au moment où de petites vagues de personnes de tous âges commençaient à déambuler au centre-ville pour prendre la même direction à partir de midi trente, puis se transformer, au fil des minutes, en flots humains qui se déversaient sur la route de l'hôpital, en direction du lieu de rendez-vous habituel, aux portes du campus de l'Université de Tizi-Ouzou. «Lorsque vous voyez comment l'armée s'immisce dans la politique, lorsque vous voyez comment la justice s'y prend pour regagner de sa crédibilité perdue depuis des années, il devient primordial de maintenir le mouvement.» Il a tout résumé cet ingénieur agronome, proche de la cinquantaine, noyé au milieu de la foule de manifestants qui entamait la marche hebdomadaire dans les rues du centre-ville de Tizi-Ouzou à partir des environs du campus de Hasnaoua. En fait, à travers les pancartes brandies et les slogans entonnés, hier, les milliers de manifestants ont, comme qui dirait, voulu passer en revue, sans rien omettre pratiquement, les hauts faits ayant émaillé, ces tout derniers jours, l'actualité du mouvement populaire avec une grande insistance sur les sorties du chef d'état-major de l'ANP. Toujours aussi motivés, les manifestants ayant voulu marquer ce 10e acte du mouvement populaire ont improvisé plein de tableaux pour dire ce qu'ils pensent de la conjoncture. Tableau très significatif, tout en tête de la procession de manifestants, un véhicule maquillé, avec une petite barque en bois sur son toit, ouvrait la colonne de manifestants, un véhicule dont le propriétaire voulait visiblement rappeler le drame vécu par des centaines d'Algériens victimes de la harga, en clamant «Hadi bladna, c'est fini el harga. Babor elouh, combien de vies il a prises». Une cinquantaine de mètres plus bas, sur la montée de l'université menant à la route de l'hôpital, une floraison de pancartes annonçait le ton de l'acte 10 des manifestations. En effet, alors que sont entonnés les mêmes slogans que l'on entend un peu partout à travers le pays depuis plusieurs semaines, le lexique des slogans écrits et brandis sur des pancartes, s'est étoffé de nouveaux mots d'ordre plutôt aigres envers surtout le chef d'état-major de l'armée et le chef de l'Etat par intérim. Ainsi, un manifestant invitait «Gaïd Salah à être du bon côté de l'Histoire ou se mettre au ban de l'Histoire». Un exemple de slogans parmi tant d'autres, à l'instar de celui brandi par cet homme d'un certain âge accompagné d'une jeune fille qui n'a pas remis les pieds en Algérie depuis 12 ans jusqu'à mercredi dernier. Son père se présentera comme étant un Algérien établi en France depuis 32 ans, venu pour la deuxième fois depuis la mi-mars exclusivement pour prendre part aux manifestations du vendredi. Sur la pancarte brandie par sa fille toute heureuse d'être là : «La 2e République, c'est aujourd'hui ou jamais.» Les slogans de ce vendredi étaient donc inspirés par les derniers développements survenus notamment avec les deux prises de parole de Gaïd Salah. Comme celui réservé par cette dame portant un bébé de moins d'une année drapé du drapeau amazigh sur le dos et un bandana aux couleurs nationales autour du front «pour répondre au chef de l'armée que le drapeau amazigh dérange visiblement». Ou encore cette autre dame qui n'a pas trouvé mieux que de brandir une pancarte en contre-plaqué sur laquelle elle a écrit «L'armée au service du peuple, pas l'inverse». Des dizaines de slogans du même genre, parfois même avec des mots du genre à heurter sévèrement la fierté de n'importe quel militaire. Autrement, les slogans entonnés par les milliers de voix qui ont traversé les principales artères de Tizi-Ouzou, hier, ont été enrichis de quelques nouveaux, tels «Chaâb yourid iqaf Saïd» (le peuple veut l'arrestation de Saïd Bouteflika) ou encore celui dédié au patron de Cevital «Libérez Rebrab, arrêtez Saïd». Azedine Maktour