L'Etat de droit se construit avec un système judiciaire indépendant et efficace. Un pays dont la justice est paralysée par de nombreux dysfonctionnements ne peut pas assurer le fonctionnement démocratique de ses institutions. Dans un tel contexte, les citoyens perdent confiance en leurs élus, et la crédibilité de la justice est sérieusement entamée. Cette situation fait le lit de la corruption avec toutes les conséquences sociales, politiques et économiques qu'elle engendre. Garantir l'indépendance de la justice suppose une exigence de probité pour le corps des magistrats, des juges et des auxiliaires de justice. Une justice indépendante, compétente et intègre peut à son tour être garante de l'efficacité du dispositif légal de lutte contre la corruption. Dans une société démocratique, le système judiciaire a la mission essentielle de garantir le fonctionnement de l'Etat de droit et de veiller au respect des droits et libertés consacrés par la Constitution. À ce titre, la justice assume une fonction essentielle de régulation et de stabilité sociale, en assurant le respect des lois et règles de l'organisation sociale et politique d'un pays. Elle a également un rôle important à jouer pour garantir la transparence et l'intégrité de la gestion des affaires publiques et le respect des principes de bonne gouvernance. Elle est un pilier essentiel du système national d'intégrité et, à ce titre, détermine le bon fonctionnement des autres composantes de ce système. Pour assumer pleinement ce rôle, la justice doit être indépendante, impartiale et intègre, et les dispositions qui régissent son fonctionnement doivent permettre de garantir ces principes.
Rôle essentiel dans la prévention et la sanction de la corruption Dans la plupart des Etats, la place et les fonctions de la justice sont définies par la Constitution. De nombreux textes constitutionnels reprennent ainsi les dispositions des instruments juridiques internationaux relatifs aux droits de l'homme pour proclamer l'indépendance de la justice, l'égalité de tous devant la loi, ainsi que le droit à un procès juste et équitable. Le principe d'indépendance protège les institutions judiciaires des pouvoirs exécutif et législatif et constitue l'essence même du concept de la séparation des pouvoirs. La consécration de ce principe ne s'accompagne pourtant pas toujours de la reconnaissance de la justice en tant que pouvoir distinct par rapport à l'Exécutif et au législatif. Certaines Constitutions qualifient la justice «d'autorité judiciaire», tandis que d'autres évoquent seulement la «fonction juridictionnelle» pour éviter les conflits de compétences entre les différents pouvoirs. Toutes s'accordent cependant, au moins théoriquement, sur la nécessité de protéger sa neutralité, garante de son intégrité, et lui confèrent un rôle essentiel dans la prévention et la sanction de la corruption. Le principe d'indépendance ne se limite pas seulement à protéger les magistrats contre d'éventuelles pressions de l'Exécutif mais s'applique aussi à toutes les autres formes de pressions possibles. Dans beaucoup de pays d'ailleurs — et l'Algérie en fait partie —, les pressions subies par les juges, volontairement ou à leur corps défendant, sont d'origines diverses et ne proviennent pas seulement du pouvoir politique ou des autres pouvoirs constitutionnels. Le principe de l'inamovibilité des juges L'intégrité des magistrats, incompatible avec une quelconque forme d'allégeance au pouvoir politique ou à d'autres forces de pression, est consubstantielle à leur indépendance. Dans la pratique, en dépit de la consécration généralisée du principe d'indépendance du juge, on constate qu'il est possible de porter atteinte à sa neutralité par de nombreux procédés qui sont souvent liés à son statut. Il est donc essentiel que les magistrats, tout en disposant des garanties que la loi confère à tous les fonctionnaires, bénéficient d'un statut adapté à leur fonction. En Algérie, les juges bénéficient le plus souvent d'un statut particulier qui détermine les conditions de leur formation et les règles de leur recrutement, de leur rémunération, de leur affectation et les mesures disciplinaires qui leur sont applicables. À ce statut s'ajoutent les règles du fonctionnement général des services de justice. L'ensemble de ce dispositif renforce ou, à l'inverse, fragilise la position individuelle ou collective des magistrats, par rapport aux pressions qu'ils peuvent subir en tant que corps ou à l'occasion du traitement de dossiers particulièrement sensibles. Le principe de l'inamovibilité des juges est un élément fondamental pour garantir l'indépendance des magistrats. Il s'agit, par ce principe, d'éviter que l'on écarte indirectement le juge d'une affaire sensible par une affectation impromptue ou que le système de nominations ne permette de sanctionner les juges de manière dissimulée. Les contraintes de gestion des ressources humaines disponibles peuvent cependant justifier une dérogation au principe de l'inamovibilité, en ayant recours à la notion de nécessité de service. Cette entorse à la règle de l'inamovibilité doit être strictement réglementée pour éviter les abus. Ce principe n'élimine pas totalement les atteintes à l'indépendance du juge ou les risques de pression acceptée ou subie, et il arrive que le magistrat lui-même consente à se subordonner au pouvoir politique ou à d'autres forces de pression. Il est important de préciser que le principe de l'inamovibilité s'applique aux juges du siège, les magistrats du parquet étant soumis à l'autorité hiérarchique de l'Exécutif, qui ne les prive cependant pas de toute autonomie pour déclencher et poursuivre l'action publique. Le système de gestion de carrière des magistrats est également un élément important qui conditionne l'indépendance de la justice. Les carrières sont gérées par le Conseil supérieur de la magistrature qui est seul compétent pour décider de la nomination, de l'affectation, de la promotion et des mesures disciplinaires relatives aux juges. La composition et les attributions de cette instance peuvent limiter son indépendance réelle, en fonction du rôle dévolu à l'autorité politique dans la nomination de ses membres, ou dans la définition de leurs compétences. En Algérie, par exemple, ce Conseil est présidé par le chef de l'Etat qui exerce ainsi une influence directe sur ses décisions et sur la carrière des magistrats. Par ailleurs, l'Exécutif ou certaines autorités judiciaires peuvent avoir recours de manière abusive à des mesures d'affectation provisoires, dans l'attente d'une convocation hypothétique du Conseil. Les conditions matérielles assorties à la fonction de juge peuvent aussi avoir une influence sur leurs comportements. Des rémunérations faibles fragilisent les juges et les exposent davantage aux risques de complaisance à l'égard de l'Exécutif ou des justiciables. Le fonctionnement général et les moyens des services judiciaires sont également des facteurs susceptibles d'affecter la neutralité et l'indépendance des magistrats. Les conditions matérielles de travail dans les juridictions ont une influence certaine sur la motivation du personnel et il est important que les services judiciaires soient dotés des ressources humaines et matérielles nécessaires pour fonctionner de manière indépendante à toute pression. L'état des locaux, les équipements et la compétence des personnels auxiliaires contribuent à renforcer ou à diminuer l'autorité et la crédibilité du magistrat. C'est pourquoi l'autonomie budgétaire de la justice, voire la gestion autonome des tribunaux pourraient contribuer à donner à la justice les moyens de sa dignité, consubstantielle à sa probité. L'ensemble de ces éléments contribue à créer un environnement propice ou non à l'indépendance du corps de la magistrature et, de manière subséquente, à favoriser ou non la corruption dans l'appareil judiciaire. Au-delà des règles mises en place, il faut aussi préciser que la valeur personnelle du juge est souvent déterminante, les principes d'indépendance et d'intégrité étant aussi une question d'état d'esprit individuel. Djilali Hadjadj