Par Naoufel Brahimi El Mili Une présidentielle même fortement contestée représente quand même un grand événement. Qualifiées de passage en force, de mascarades par les uns, et de grand moment démocratique, de sortie de crise politique par les autres, ces élections sont chargées de surprises. C'est une grande nouveauté. En premier, le taux de participation officiel est stupéfiant. Ensuite, la soirée électorale, selon les chaînes de télévision, a une curieuse dramaturgie. Après avoir annoncé des estimations donnant Abdelmadjid Tebboune vainqueur avec 51%, les journalistes évoquent aux téléspectateurs la possibilité d'un second tour avec une date imprécise. Habituellement, en Algérie, les élections sont affectées d'un très faible coefficient d'incertitude. Ce soir, ce n'est pas le cas, cela mérite une attention particulière. Comme de nombreux Algériens, je me suis mis devant mon poste de télévision. Vers 23 heures, sur une chaîne algérienne privée, sur un ton docte chargé de certitudes, un intervenant dévoile aux téléspectateurs que depuis 1976, date du référendum sur la Charte nationale, à peine plus d'un tiers des Algériens avaient participé à ce scrutin. Il se rapproche du micro et il affirme que depuis cette date, ce taux n'a pas varié et les autorités du moment n'ont cessé de falsifier les chiffres. Avec une intonation au-dessus, l'invité du plateau conclut que ce soir, l'Anie, en livrant le taux de participation légèrement au-dessus de la moyenne historique, n'a dit que la vérité. CQFD. Eclairant, non ? Cet illustre invité, que je ne nommerai pas, insinue que ce vote quasi-massif est un échec du Hirak. Abasourdi, je zappe sur une autre chaîne et je découvre un discours insidieux anti- Hirak, distillé par Aboudjerra Soltani. Comme il a changé depuis que je l'avais croisé un dimanche, place de la République à Paris, alors qu'il tentait de s'infiltrer dans le Hirak de la diaspora algérienne en France. Une fois reconnu, ce chef d'un parti islamiste était arrosé de cannettes de bière par quelques jeunes indélicats. Monsieur Soltani devait son salut à la proximité d'une bouche de métro dans laquelle il s'était prestement engouffré. Ce soir, il retrouve sa superbe pour parler de la nouvelle démocratie algérienne avec les mêmes éloges qu'il consacrait à la gouvernance de Bouteflika. Aucune surprise, comme les vestes, les gandouras sont réversibles. Suspense, rebondissements et incrédulité caractérisent cette inédite soirée électorale. Donné vainqueur au début, Tebboune doit faire face à un second scrutin. Circulent dès lors sur le net des vidéos où les partisans d'un des derniers Premier ministres de Bouteflika (2017) laissent éclater leur joie. Immédiatement, toujours sur la toile, une autre vidéo est postée en boucle. Il s'agit de celle du possible futur Président qui déclarait moins d'un an et demi avant le célèbre 22 février en jurant solennellement : «Je ne cesserai d'appliquer le programme de Fakhamatou Bouteflika !» La traduction de ce vocable en «sa grandeur» ne rend pas vraiment compte du grossier du titre mais Tebboune n'était pas le seul à en abuser. En effet, cette vidéo est une piqûre de rappel de la continuité du système mais à travers des élections où les candidats sont triés sur le volet. Puisque les chaînes de télévision et les radios sont sur la même ligne officielle, sur internet, unique espace de liberté, circulent de nombreux documents audio et vidéo des grands moments de la carrière du candidat arrivé en tête. Tout y passe, parfois avec excès : affaire Khalifa, celle de Kamel El-Bouchi et autres faits saillants de la prédation Bouteflikienne. La nuit électorale se prolonge. Les manifestations aussi. Vendredi 13, midi, dans une longue locution digne de la feue Pravda, Mohamed Charfi, ancien ministre de la Justice de Bouteflika (emploi fictif ?) et président de l'Anie à l'occasion, sur un ton de cymbale, livre le nom du vainqueur. Finie la symphonie électorale, peu harmonieuse. Il n'y aura donc pas de second tour. Ouf ! La marque de fabrique de la démocratie algérienne est préservée. Après un début de campagne houleux, Abdelmajid Tebboune a finalement réussi. Bouteflika aussi. Sans étiquette, donc forcément indépendant, Tebboune entre de plain pied dans les élections, novembre dernier, en se présentant comme le foudroyeur des oligarques, Ali Haddad en tête. Alors Premier ministre pendant deux mois et 21 jours (une semaine de vacances à l'étranger comprise) en 2017, Tebboune ne pouvait s'attaquer aux puissants et proches du président-frère sans bénéficier d'un soutien haut placé. A croire que ce soutien est aujourd'hui encore plus haut placé pour permettre au nouveau Président une remontada spectaculaire. En effet, sa campagne était mal enclenchée. Après des démissions au sein de ses équipes en cascade, le candidat indépendant entame une course à la virginité politique. Et voilà Tebboune en posture victimaire depuis que quelques hommes d'affaires proches de lui, une sorte d'oligarques 2.0, se trouvent incarcérés. Victime et indépendant, ce candidat ne peut, selon son «story-telling», bénéficier de l'appui de l'armée déclamée neutre par ailleurs. Il est donc l'élu dans des élections «propres et honnêtes», selon l'expression consacrée. Contrairement aux traditions démocratiques occidentales, le nouveau Président algérien ne peut jouir d'aucune période de grâce. Aussi ne peut-il prendre de sitôt des vacances dans quelques pays européens en incluant la Turquie dans l'Europe. Encore moins voyager dans un jet privé. Abdelmajid Tebboune va (enfin ?) travailler durement. Que va-t-il faire ? Une autre question se pose : «Bouteflika es-tu encore là ?» N. B.-E.-M.