Par Dr Bachir Chara(*) Dans son discours d'investiture, le président de la République, Monsieur Abdelmadjid Tebboune, avait, notamment, affiché son intention de réviser la Constitution, qu'il a considérée comme étant la pierre angulaire pour l'édification d'une nouvelle république, avec comme objectifs de limiter les prérogatives du président de la République, de prémunir le pays de toute autocratie, de garantir la séparation des pouvoirs et d'assurer leur équilibre, de conforter la lutte contre la corruption, de protéger la liberté d'expression et de manifestation et de ne permettre qu'un seul renouvellement du mandat présidentiel. Il a également souligné que l'Algérie «a besoin, en cette période délicate, de classer ses priorités pour éviter des lendemains incertains» en précisant que «l'Etat sera à l'écoute des aspirations profondes et légitimes du peuple, au changement radical du mode de gouvernance et à l'avènement d'une nouvelle ère, fondée sur le respect des principes de la démocratie, de l'Etat de droit, de justice sociale et des droits de l'Homme». Pour relever les défis futurs, il a estimé qu'il est indispensable de dépasser les problèmes actuels et de rétablir la confiance du peuple vis-à-vis des institutions de l'Etat». La lutte contre la corruption et la distribution anarchique de la rente ont, également, été des points forts de son discours. De la lecture du projet de la Constitution élaboré par le panel d'experts constitutionalistes, on relève les observations suivantes : - Article 59 Le contenu de cet article, qui stipule : 1- L'Etat œuvre à la promotion des droits politiques de la femme en encourageant ses chances d'accès à la représentation dans les assemblées élues. 2- Les modalités d'application de cet article sont fixées par une loi organique. est en contradiction avec celui de l'article 37 qui précise que : les citoyens sont égaux devant la loi et ont droit à une égale protection de celle-ci, sans que puisse prévaloir aucune discrimination pour cause de naissance, de race, de sexe, d'opinion ou de toute autre condition ou circonstance personnelle ou sociale. Au vu de cela, il est donc indispensable de supprimer l'article 59 et permettre au peuple algérien de désigner ses représentants en tenant compte des capacités et de la représentativité de chacun des citoyennes et citoyens candidats, quitte à ce que 100% des élus choisis par le peuple soient des femmes. La politique des quotas est discriminatoire. Article 75 Comme pour l'article 59, l'alinéa 2 de l'article 75 est à supprimer du fait qu'il est en contradiction avec le contenu de l'article 37 cité plus haut. Article 95 Contrairement aux déclarations du président de la République, les propositions du panel d'experts tendent plutôt vers un renforcement des prérogatives du chef de l'Etat. À cet effet, il lui attribut : Alinéa 2 : Il est responsable de la Défense nationale. Dans toutes les Constitutions des pays démocratiques, le président de la République est le chef suprême des forces armées de la République, ce qui est d'ailleurs mentionné dans l'alinéa 1 de l'article 95, mais la fonction de ministre de la Défense est occupée par un ministre le plus souvent civil. Il serait souhaitable de supprimer cet alinéa de sorte à renforcer la démocratie dans le pays. Alinéa 6 : qui donne la possibilité au président de la République de désigner un vice-président, lequel pourrait, en cas de vacance du poste du président de la République, assurer la continuité du mandat jusqu'à son terme. Cet alinéa est en complète contradiction avec les articles 7, 8, 9 et 11 du présent projet de Constitution. Si on veut avoir un vice-président de la République, comme cela se pratique aux Etats-Unis d'Amérique, il faudrait qu'on opte pour un régime présidentiel et, dans ce cas, chaque candidat à la présidence de la République choisit un colistier qui sera proposé au même titre que lui au suffrage universel à bulletins secrets. Du fait que dans ce projet de Constitution on a opté pour un régime semi-présidentiel, il serait donc nécessaire de supprimer cet alinéa. Alinéa 7 : Il précise que le président de la République nomme le chef du gouvernement, après consultation de la majorité parlementaire, alors qu'on parle d'un régime semi-présidentiel. Dans ce cas de figure, le président de la République doit nommer le chef du gouvernement de la majorité parlementaire. Si celle-ci émane du même parti politique que le président de la République, le chef du gouvernement appliquera le programme du président qui n'est autre que celui du parti politique auquel il appartient. Par contre, si la majorité parlementaire n'émane pas du même parti politique que le président de la République, le chef du gouvernement appliquera le programme de son parti dans le cadre d'une cohabitation qui respectera les prérogatives de chacun définies par la Constitution. Alinéa 13 : modifier cet alinéa en le rédigeant comme suit : «Il ratifie les traités internationaux adoptés par le Parlement.» Article 96 Alinéa 1 : Les nominations par le président de la République aux postes de président de la Cour suprême, de président du Conseil de l'Etat, de magistrat et sa présidence du Conseil supérieur de la magistrature peuvent remettre en cause la liberté de la justice et la séparation des pouvoirs, car cela pourrait constituer une épée de Damoclès sur la tête des magistrats qui seraient amenés à obéir aux injections de l'Exécutif et ne pas exercer leur mission en toute équité et en rapport avec la loi. Article 97 Cet article, avec ceux qui précèdent, confère au président de la République un pouvoir absolu qui s'oppose à la séparation des pouvoirs recherchée par le peuple algérien et présentée par le président de la République comme une nécessité pour l'édification d'une nouvelle république avec comme objectif de prémunir le pays de toute autocratie et d'assurer les équilibres des institutions. Par conséquent, toutes les institutions de la République, qui ont un pouvoir législatif et judiciaire, doivent désigner leurs membres au suffrage direct (Assemblée nationale) et indirect (Conseil de la Nation, Cour constitutionnelle, Cour suprême, Conseil de l'Etat et le Conseil national de la magistrature). Les présidents de ces institutions seront élus par leurs pairs. Le Haut Conseil de sécurité est présidé, quant à lui, par le président de la République. Article 98 Alinéa 3 : À supprimer du fait qu'on se place dans un régime semi-présidentiel. Alinéa 4 : Supprimer, «en l'absence d'un vice-président», le reste sans changement. Alinéa 7 : (texte en arabe) alinéa 8 texte en français : à supprimer. Alinéa 9 : à supprimer. Alinéa 10 : Supprimer «de conjonction» le reste inchangé jusqu'à «de la République» puis suppression «démission ou du décès du vice-président» le reste sans changement jusqu'à la vacance définitive de la présidence de la République, puis suppression «et de démission ou de décès du vice-président», le président du Conseil de la Nation et le reste inchangé jusqu'à l'article 100 de la Constitution. Le texte en français est incomplet. Il faut le compléter par : «dans le cas où le poste de Président du Conseil de la Nation est vacant, le président de l'Assemblée nationale assurera, en lieu et place du président de la Cour constitutionnelle les fonctions de chef de l'Etat suivant les conditions et les procédures définies plus haut. Observation : Le remplacement du président de la Cour constitutionnelle par le président de l'Assemblée nationale obéit au fait que ce dernier est élu au suffrage universel, il représente donc le peuple et que le président de la Cour constitutionnelle est élu au suffrage indirect par ses pairs ce qui pourrait être en contradiction avec les articles 7, 8 et 11 de la présente Constitution. En plus, les raisons qui ont conduit à l'élimination du président de l'Assemblée nationale de la prise de la fonction de chef de l'Etat dans les Constitutions de 1989, 1996, 2008 et 2016 ne sont plus d'actualité. Article 108 Alinéa 1 : à rédiger comme suit : Le président de la République désigne le chef du gouvernement de la majorité parlementaire et le charge de constituer le gouvernement et de présenter le programme de la majorité au Parlement. Article 117 Alinéa 3 : Sans changement jusqu'à «empêchement» ; remplacement du vice-président par : le président du Conseil de la Nation, le reste sans changement. Alinéa 4 : à supprimer. Article 126 Alinéa 2 : à rédiger comme suit : les membres du Conseil de la Nation sont élus au suffrage indirect et secret à raison de trois sièges par wilaya, parmi les membres des Assemblées populaires communales et des membres des Assemblées populaires de wilayas. Alinéa 3 : à supprimer. Observation : Les désignations dans les Assemblées législatives et juridiques deviennent des facteurs bloquants qui contrecarrent la démocratie. Article 127 Alinéa 6 : à supprimer. Observation : une telle disposition tue la pratique de la politique dans le pays. La limitation des mandats ne peut s'appliquer et n'est de mise dans les autres pays démocratiques que pour la présidence de la République et ce, afin d'assurer l'alternance dans l'exercice du pouvoir exécutif pour une meilleure gouvernance et éviter par là même l'autocratie, le népotisme, le despotisme, le clientélisme, le favoritisme et la corruption. Par contre, le nombre de mandats de député et de sénateur ne doit en aucune manière être limité, car la fonction de législateur doit être assumée par des personnes d'expérience et d'une compétence avérée. Ne dit-on pas que c'est en forgeant qu'on devient forgeron ? Article 132 Article à supprimer : car il est en contradiction avec les articles 7, 8 et 11 du présent projet de Constitution. Un parlementaire qui est élu au suffrage universel secret direct ou indirect ne peut être destitué par ses pairs qu'au cas où la justice demande sa levée d'immunité pour être jugé pour un délit. Même dans ces conditions, le parlementaire doit avoir la possibilité de se défendre directement ou par un de ses pairs. Article 144 Ajouter un alinéa qui concerne la ratification des traités conclus par le pays tant sur le plan bilatéral que multilatéral. Article 150 Alinéa 3 : Corriger dans la version arabe le texte de cet alinéa : celui-ci reste inchangé du début jusqu'à «visée» à : remplacer « l'article 141 par l'article 140.1». Article 187 Alinéa 2 : A modifier comme suit : le Conseil est présidé par le président de la Cour suprême. Alinéa 3 : Supprimer la première ligne de l'alinéa ; modifier la deuxième ligne comme suit : le président du Conseil d'Etat, vice-président ; et modifier l'avant-dernier paragraphe comme suit : deux personnalités, n'appartenant pas au corps de la magistrature, représentant la société civile, seront choisies pour leurs compétences par le président de la République, deux députés seront élus par leurs pairs au sein de l'Assemblée nationale et deux sénateurs seront élus par leurs pairs au sein du Conseil de la Nation. Observation : Il est indispensable que le peuple soit représenté au sein de ce Conseil par quatre parlementaires élus au suffrage universel direct et indirect secret. Les rédacteurs du présent projet de Constitution essayent de mettre en place une disposition qui leur permet, le cas échéant, d'être désignés au sein du Conseil supérieur de la magistrature au détriment des élus du peuple. Etant des universitaires, il serait plus utile à la nation d'assurer la formation des hommes au niveau des universités du pays où ils pourraient encadrer les conseils scientifiques et éventuellement avoir la qualité de membres au sein du Conseil national de la recherche scientifique et l'Académie algérienne des sciences et technologies institués par les articles 226 et 228 du présent projet de Constitution. Article 194 Alinéa 1 : A modifier comme suit : La Cour constitutionnelle est composée de douze membres : - huit magistrats seront élus par leurs pairs : deux magistrats de la Cour suprême, deux magistrat du Conseil de l'Etat, un magistrat des cours, un magistrat des juridictions administratives, un magistrat des tribunaux de l'ordre judiciaire et un magistrat représentant le syndicat des magistrats ; - deux députés élus par leurs pairs, - deux sénateurs élus par leurs pairs. Alinéa 2 : Le président de la Cour constitutionnelle sera élu à la majorité simple des membres de la cour. Observation : La désignation des membres de cette cour pourrait constituer une entrave à l'exercice constitutionnel, vu que les personnes désignées ne seront pas tout à fait libres de leur jugement et auront souvent tendance à s'aligner sur les intérêts de la personne qui les désigne. Article 195 Alinéa 1 : - supprimer les mots «ou désigné» dans la première ligne ; - supprimer les mots «de leur désignation ou» dans la seconde ligne ; - supprimer «dans l'enseignement supérieur ayant grade de professeur» dans le troisième paragraphe. Alinéa 2 : Supprimer «ou désignés» de la première ligne. Article 196 Alinéa 1 : à modifier comme suit : le président de la Cour constitutionnelle est élu pour un mandat de six ans. Article 201 Alinéa 2 : à changer comme suit : elle peut être également saisie par vingt-cinq députés ou vingt-cinq membres du Conseil de la Nation. Observation : Il n'est pas normal qu'il y ait des disparités entre les parlementaires. Un député et un sénateur représentent chacun une voix dans le Parlement quand il s'agit, par exemple, d'adopter une Constitution. Pourquoi alors dans le cas de la saisine de la Cour constitutionnelle, il faudrait quarante députés et seulement vingt-cinq sénateurs ? N'est-il pas plus juste d'avoir la parité ? Article 212 Alinéa 1 : à modifier comme suit : l'Autorité nationale indépendante est composée de magistrats, de compétences nationales et de personnalités de la société civile. Observation : La précision de la présence d'enseignants universitaires prête à équivoque et donne l'impression que les rédacteurs du présent projet de Constitution veulent être désignés dans toutes institutions de la République. B. C. (*) Ex-vice-président de l'Assemblée nationale et ex-président d'une commission permanente de Parlement panafricain.