Le neuvième épisode de LSA direct a connu un autre grand moment, hier dimanche, avec une invitée connue pour son franc parler, ses phrases choc et des positions qu'elle assène et qu'elle revendique même si elles doivent être à contre-courant de la pensée générale. Leïla Aslaoui, face à Hakim Laâlam, tout ce que vous devez savoir de l'interview. Abla Chérif - Alger (Le Soir) - Leïla Aslaoui se passe presque de présentation: ancienne magistrate, ministre écrivaine essayiste, elle fait aussi partie de ce cercle restreint d'anciens responsables ayant préféré claquer la porte que de renier ses principes. «Elle l'a fait dans une lettre rendue publique devenue référence», rappelle Hakim Laâlam. Leïla Aslaoui est aujourd'hui de nouveau aux affaires, elle a été nommée sénatrice du tiers présidentiel et la première question que lui pose Laâlam n'est autre que celle relative à la condamnation de Khaled Drareni à trois ans de prison. Voici sa réponse : «Ayant appartenu au corps de la magistrature, je ne me permettrais pas d'injurier les collègues d'aujourd'hui en commentant leur décision, en disant c'est trop ou c'est peu car je ne connais pas le dossier, je ne le maîtrise pas, mais on oublie souvent de dire que le magistrat est très seul, que l'avocat est dans son rôle en disant que mon client a été condamné à une lourde peine, et que l'opinion publique est, elle aussi, dans son rôle parce qu'elle n'a pas le dossier. Ce que j'ai su est ce qu'en a dit la presse, je n'irai pas au-delà. De la même façon, je ne me suis pas solidarisée tant qu'il aurait fallu se solidariser pour être à la mode avec des personnes qui étaient acoquinées à El Magharibiya, qui prenaient presque leurs ordres là-bas, en commentant les marches. Cela dépassait le beau contexte du Hirak. J'ai pour principe de dire un magistrat c'est impartial, il n'est ni gentil, ni méchant. Il est face à la loi seulement. Ce n'est pas quelqu'un qui fait ce qu'il veut. C'est quelqu'un qui applique la loi. Souvenez-vous en 2003, l'invalidation du 8ème congrès du FLN. Les militants ont porté l'affaire devant le juge administratif, on a dérangé un magistrat femme à une heure tardive de la nuit pour prendre une décision. Un procureur adjoint a été révoqué parce qu'il avait dit qu'il n'avait pas assisté à cette audience et que c'était un faux. On a alors donné à la justice le surnom de ‘'adalat ellil'', la justice de la nuit. Il y a quelques jours, j'ai lu que des personnes ont dit qu'au lieu de condamner Khaled Drareni à trois ans de prison, il fallait ramener Chakib Khelil. Zeghmati l'a fait, et il a été interrompu dans son élan et il a été sévèrement puni.» Les réponses déclenchent un commentaire chez Hakim Laâlam : «Droite dans vos bottes de magistrate !» Une seconde question suit : «Comment a-t-on fait pour vous convaincre de revenir dans l'arène ?» Leïla Aslaoui répond : «La proposition m'a été faite par Abdelmadjid Tebboune. Ma seule honte est d'avoir été nommée par le passé par Abdelaziz Bouteflika et d'avoir été la collègue de certains sénateurs aujourd'hui en prison. Accepter de mettre à disposition son expérience capitalisée pourquoi pas, quand les choses sont claires et que vous savez qui vous a fait cette proposition.» S'ensuit une autre question incisive : «On a l'habitude de comparer le Sénat à une sorte de centre de vacances de luxe où les pensionnaires sont payés pour ne pas faire de vagues, c'est un cliché ?» Pour Leïla Aslaoui, «l'opinion a certainement toutes les raisons de penser qu'un parlementaire ne sert à rien. Lorsqu'on voit des images de citoyens dans des zones reculées parler du dénuement, du mépris avec lequel ils ont été traités, c'est horrible. Un citoyen a prononcé une parole qui m'a émue : si tu parles tu meurs. Qu'est-ce qui empêcherait un député ou un sénateur élu de se déplacer, de porter les doléances des citoyens au président de la République ? Comment pourraient-ils avoir confiance après que des partis eurent envoyé des dobermans attaquer en 2003-2004 des mouhafadhas, recommencer en interdisant l'accès à son président ? Je comprends fort bien que les citoyens soient très déçus par le choix des parlementaires. Quant au Sénat, je reste convaincue, et je l'ai dit quand on m'a fait l'honneur de me demander mon avis sur la Constitution, le Conseil de la Nation doit avoir plus de moyens pour capitaliser l'expérience. Rien ne nous empêche d'interpeller le président et en être intermédiaire entre les citoyens et les gouvernants. Pour se débarrasser de cette image, il faudrait que l'élu travaille.» Les citoyens parlent de travaux entamés sous caméras et arrêtés à leur départ, relance Hakim Laâlam. «Vous savez que si vous demandez audience au président de la République ou un ministre, il vous recevra, selon son emploi du temps bien sûr, mais pour un wali, ce n'est pas évident du tout. Une fois qu'ils sont sur place, ils s'enferment dans une notion du pouvoir qui devient despotique.» L'invité de LSA direct poursuit sur le même sujet en répondant cette fois à la question de savoir si les franches décisions du président de la République pouvaient agir en «électrochoc». «Je pense que oui, dit-elle, mais nous devons nous mobiliser pour que la transparence aille jusqu'au bout. Elle nous permettra d'être vigilants, mais entre-temps, il faut encore nettoyer, cela fera perdre du temps, mais c'est une obligation. Regardez ce que nous apprenons chaque jour. C'était une mafia. C'est pour ça que je ne me permettrais pas d'injurier mes collègues qui ont des dossiers très lourds. Ils les maîtrisent très bien. Pour moi, ce sont des délinquants, c'est fini les fonctions. Ils ne sont plus d'anciens ministres, ce sont des délinquants ! ces gens-là ont ruiné le pays, ils n'ont aucune dignité, ça pleurniche !» Justement, poursuit Hakim Laâlam, après 20 années de diktat, on entend aujourd'hui des voix parler de traitements inhumains... «L'Algérien est très versatile, sentimental. Il n'a pas de dossiers entre les mains, il réagit parce qu'il voit un détenu menotté. C'est la loi. Si Ouyahia n'avait pas été autorisé à se rendre à l'enterrement de son frère, on aurait dit que la justice est cruelle. Ces mêmes voix disent que Abdelaziz Bouteflika doit être jugé, surtout pas, c'est le meilleur service à faire à un dictateur. Il va venir sur une chaise roulante, il ne parle pas, on dirait le pauvre, on devrait au contraire se pencher sur l'histoire de sa famille, détester son pays, ce n'est pas normal.» L'interview passe à présent à un autre registre : la pandémie est-elle bien gérée ? Leïla Aslaoui rappelle que des mesures draconiennes ont été prises au moment voulu et que «s'il y a une hausse des contaminations et de décès qui demeurent tout de même variables, cela incombe davantage à l'indiscipline et l'incivisme. Nous sommes cependant dans la prise de conscience (...) Avec la réouverture des plages, si cela ne change pas, il y aura probablement confinement...» Lorsque Aslaoui est invitée à livrer son avis au sujet de la décision de soutenir l'avis de ceux qui ont émis des fatwas contraires aux recommandations des médecins pour l'Aïd, elle répond : «On ne peut pas toujours s'opposer à tout. Il y a des personnes tapies dans l'ombre. Vous avez vu, il y a eu les saboteurs de l'eau, de l'électricité, des banques, chez les gens de l'argent sale qui ont des milliards et qui le distribuent. Il y a l'énergie du désespoir, il n'est pas dit qu'il n'y aura pas récidive. Tantôt c'est l'armée qui est attaquée, tantôt c'est l'opinion publique et les institutions qu'on déstabilise.» Hakim Laâlam tient à ajouter deux petites questions : la présence en force de Rachaad et des acteurs de la pensée islamiste sur les réseaux sociaux, et le code de la famille. «Rachaad n'a jamais cessé de se mouvoir, Dhina est tenace», répond Leïla Aslaoui, l'islamisme a été vaincu militairement, mais il est tapi dans l'ombre. Il distille son fiel et espère qu'un jour ou l'autre, il y aura une opportunité (...)» Concernant le code de la famille : «Il y a tellement de problèmes immédiats, dit-elle, mais les articles discriminatoires doivent disparaître. J'attends aussi la parité, pas du remplissage, j'attends que la femme soit protégée(...) » Autre question de LSA direct : «Quel sens donnez-vous à yetnahaw gaâ ?» Réponse : «Le Hirak a été magnifique contre le cinquième mandat, lorsqu'il a réclamé le jugement des corrompus, mais après, il y a eu déviation vers quoi nous ne savons pas.» A. C.