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Transformer la crise en opportunité
Publié dans Le Soir d'Algérie le 03 - 01 - 2021


Par Dr Mourad Preure(*)
«Il ne faut jamais gâcher une bonne crise.»
(Winston Churchill)
Tout d'abord, je ne peux ne pas dire toute l'émotion qui m'étreint en abordant cette contribution, mon frère de combat depuis l'université pour cette Algérie qui nous est chère plus que tout, Fouad Boughanem, qui habite mon esprit en cet instant présent. Je voudrais qu'en ce début d'année chargé d'espoirs, ce soit avant tout un hommage à mon ami disparu, Allah yerahamou, mon cher Fouad, engagé, intègre, compétent et discret, plus que tout, la marque des grands, sans aucun doute possible.
La situation du marché pétrolier connaît des évolutions atypiques depuis une année. Nous devons essayer de les comprendre, et surtout tenter d'anticiper les évolutions probables, leur impact sur notre pays et les postures et stratégies à adopter. Ces évolutions sont porteuses de menaces pour notre pays, mais aussi, si nous en faisons une bonne lecture et adoptons une attitude offensive, innovante, porteuses d'opportunités uniques, nous le verrons dans ce bref exposé.
A. Les évolutions connues par le marché pour l'année 2020 et le rôle joué par l'Opep dans sa stabilisation
De fait, le marché est entré dans une zone de turbulences graves dès 2014 où il était soumis à un fléchissement de la demande et une explosion de l'offre avec l'arrivée brutale des pétroles de schiste américains qui ont capté les parts de marché laissées par l'Opec qui devait s'en tenir à un plafond de production de 30 Mbj (millions de barils/jour). La surproduction de l'Opec qui s'ensuivit a achevé de déséquilibrer le marché, amorçant une tendance baissière des prix. C'est dans ces conditions que l'Arabie saoudite a entraîné l'Opec dans une guerre des prix, augmentant sa production au-delà des 9.7 Mbj convenus. L'Opec, en tant que cartel, a toujours été prisonnière de ce dilemme : défense des prix ou défense des parts de marché. Si elle veut défendre les prix, elle baisse sa production ; si elle veut défendre ses parts de marché, elle l'augmente. Depuis 1973 où elle représentait 56% du marché mondial, sa politique de défense des prix, en limitant sa production, a profité à ses concurrents, les producteurs non-Opec qui ont profité des prix soutenus par l'Opec pour rentabiliser leurs productions et lui prendre des parts de marché.
En 1986, elle n'en représentait plus que 29%, ce qui a poussé l'Arabie saoudite à augmenter sa production, renoncer à la ligne de défense des prix et entraîner l'Opec dans une guerre des prix pour gagner des parts de marché. Ce fut catastrophique. En 2014, l'Arabie saoudite réédite la même stratégie avec les mêmes effets catastrophiques. L'arrivée des pétroles de schiste américains, dont la production est flexible (les producteurs arrêtant les puits dès que les prix baissent et les remettant en production dès qu'ils augmentent), a permis aux Etats-Unis de confisquer à l'Opec son rôle de «swing producer», producteur résiduel ajustant la production pour orienter les prix. Cette guerre des prix, désastreuse pour les pays producteurs, a trouvé son terme avec la réunion tenue à Alger en novembre 2016, regroupant les pays de l'Opec et des producteurs non-Opec menés par la Russie que l'on a désigné comme l'Opec+. Ce que nous appellerions le Consensus d'Alger, qui a été confirmé dans la réunion tenue peu après à Vienne, a porté sur un retour à une ligne de défense des prix, associant les pays de l'Opec, qui s'engagent à réduire leur production de 700 000 bj, et dix pays non-Opec autour de la Russie qui s'engagent à réduire leur production de 500 000 bj, la réduction totale est de 1.2 Mbj. Le Consensus d'Alger, qui regroupe des pays représentant 90% des réserves mondiales et 50% de la production, a été un puissant signal envoyé au marché qui a retrouvé une orientation haussière. Le retour à l'équilibre est resté fragile du fait d'une faible croissance de la demande et du dynamisme de la production américaine, cela, alors que les pays de l'Opec+ ont respecté à 150% les réductions de production décidées.
L'année 2020 a été cataclysmique pour le marché pétrolier qui a subi trois chocs : un choc d'offre, un choc de demande, et un choc économique du fait de la pandémie. Durement frappée par la baisse des prix qui en a résulté, l'Arabie saoudite a maintenu son accord avec la ligne de défense des prix, exigeant cependant un plus grand sacrifice de la part des dix pays non-Opec membres de l'Opec+, particulièrement la Russie.
En 2020, menée par l'Arabie saoudite, l'opec engage un bras de fer avec la Russie et refait les mêmes erreurs que par le passé, y entraînant encore l'Opec, augmentant sa production dans des conditions cette fois-ci extrêmes (crise économique mondiale), entraînant encore les producteurs à la catastrophe. Lors de la réunion tenue les 5 et 6 mars 2020 à Vienne, devant l'opposition de la Russie à réduire sa production pour soutenir les prix, l'Arabie saoudite à décidé d'augmenter sa production au-delà des 9.7 Mbj et de réduire ses prix de vente de 10.78 dollars le baril pour l'Europe, entraînant les grands producteurs Opec dans son sillage. La conséquence immédiate a été une baisse des prix de près des deux-tiers. La Russie, dont l'équilibre budgétaire est garanti, selon elle, à partir d'un baril à 42 dollars, a pris à la légère les conséquences d'une guerre des prix dans un contexte de crise économique dont le déclencheur a été une pandémie aux conséquences imprévisibles, nous y reviendrons. C'est ainsi que pour la première fois dans l'Histoire, le pétrole a connu en avril de cette année des prix négatifs (-37 dollars le baril). L'issue de cette dernière manœuvre de l'Arabie saoudite s'explique par le fait qu'une guerre des prix ne peut réussir tant qu'un producteur concurrent ne peut plus produire au coût marginal (c'est-à-dire payer ses frais financiers, intérêt et capital et entretenir ses installations de production qu'il a arrêtées du fait des prix bas), ce qui est arrivé en 2020 pour les pétroles de schistes américains, amenant le Président Trump à appeler à l'union des producteurs pour défendre les prix.
La géopolitique a pesé très fort sur un marché pétrolier dépressif. La Russie souhaitait, par l'effondrement des prix pétroliers, affaiblir les Etats-Unis dont la production s'est totalement effondrée, entraînant une crise de l'emploi (500 000 travailleurs en sont dépendants), mais aussi une crise financière car les producteurs de schiste se sont fortement endettés, comme nous l'évoquerons plus tard. Il fallait faire payer aux Etats-Unis leur opposition, et le blocage qui s'ensuivit, dans la construction du gazoduc Northstream 2 qui relie les gisements sibériens à l'Allemagne via la mer Baltique et permet à la Russie de s'affranchir des pressions des pays de transit de son gaz vers l'Europe, l'Ukraine, ensuite la Biélorussie.
Le marché pétrolier, outre les incertitudes très fortes de la crise, s'est aussi retrouvé pris en tenailles entre deux leaders excessifs et imprévisibles : M. Trump et M. Ben Salmane. Vivement encouragées par le Président Trump, l'Arabie saoudite et la Russie sont vite revenues à la raison et retrouvé la ligne de défense des prix issue du Consensus d'Alger. L'effort de baisse de la production consenti lors de la réunion tenue en avril de cette année est à la mesure du grave déséquilibre du marché. Les pays de l'opec+ s'engagent à reconduire un plafond de production jusqu'à mai 2022, soit à baisser leur production de 9.7 Mbj à partir du 1er mai.
Au 1er juillet, la baisse serait ramenée à 7.7 Mbj pour le second semestre, puis à 5.8 Mbj à partir du 1er janvier 2021. Lors de sa réunion de ce 3 décembre, l'Opec+ avait à décider de porter sa réduction de production à 5.8 Mbj à partir de janvier. Considérant l'évolution du marché encore fragile, nonobstant une appréciation des prix de 25% en novembre, l'Opec+ décide de reconsidérer l'augmentation prévue de 1.9 Mbj et de la réduire de 500 000 bj. Elle décide aussi de suivre mensuellement l'évolution du marché et d'ajuster sa réduction en conséquence.
Pour conclure, nous pouvons dire que cette année 2020 aura été éprouvante autant pour le marché pétrolier que pour toutes les volontés concourant à le stabiliser. L'Opec+, sous l'influence d'évènements hautement imprévisibles, a apporté le pire comme le meilleur. Le Consensus d'Alger a montré sa robustesse, consacrant pour les producteurs une ligne de défense des prix absolument indispensable dans les conditions présentes. Dans ce contexte, le rôle de l'Opec a été éminemment positif et a contribué grandement à stabiliser le marché dans des conditions extrêmes.
B. Evaluation de la situation actuelle du marché et des prix
Mon avis est qu'il est beaucoup plus facile de prévoir le long terme que le court terme. Le court terme est, aujourd'hui, excessivement convulsif, imprévisible comme jamais. La prospective doit identifier les «signaux faibles» signalant les changements structurels. Il doit les dégager des «bruits de fond» générés par l'actualité pour distinguer les tendances lourdes de long terme et leur probabilité d'occurrence. Or, l'immédiat est prégnant comme jamais, avec une charge émotionnelle inédite, avec des discontinuités, des ruptures ou bifurcations qu'aucun stratège n'a osé imaginer il y a seulement une année.
Nous sommes face à une situation inédite dans l'Histoire, soit un violent télescopage entre trois chocs, un choc économique amplifié par une crise sanitaire dévastatrice, un choc d'offre pétrolière et un choc de demande pétrolière.
(i) L'économie mondiale est entrée en récession grave avec un enchaînement chaotique dont il est difficile de prévoir les développements et l'issue. La pandémie n'est pas à l'origine de la crise économique qui dévaste l'économie mondiale. Elle en a été simplement le déclencheur. Les tendances qui travaillaient l'économie mondiale menaient vers cette impasse porteuse de fortes incertitudes, ce qu'intègre parfaitement les marchés. La demande pétrolière s'en est ressentie de manière mécanique, brutalement, avec des effets lourds sur tous les acteurs pétroliers, dont les producteurs de pétrole de schiste américains. L'absence de visibilité affecte les réactions des marchés qui, en recherchant la volatilité, accroissent le chaos.
(ii) Un choc d'offre, soit une offre excédentaire portée par les pétroles de schiste américains essentiellement et aggravée par la guerre des prix déclenchée inconsidérément le 6 mars dernier par l'Arabie saoudite, suite à l'échec de la dernière réunion des pays de l'Opec+ où la Russie a refusé d'abaisser à nouveau la production pour soutenir les prix.
(iii) Ce choc d'offre est aggravé par un choc de demande qui a baissé de 20%. La cause est la pandémie qui dévaste la planète et la crise économique qui était en gestation et qu'elle a déclenchée. Dans le même temps, les stocks mondiaux sont proches de la saturation. Ainsi, les fondamentaux du marché ne pouvaient pas connaître une situation plus catastrophique.
Il nous faut, ici, insister sur la volatilité des marchés, particulièrement forte en temps de crise. Selon le FMI, le tableau est noir pour l'économie mondiale en général qui connaîtra une récession de 4.3% en 2020, avec un ralentissement sévère de la croissance généralisé. Le Royaume-Uni et la France -9.8%, Zone Euro -8.3%, I'Inde -10.3%, cela alors que la Chine connaîtra une timide croissance de 1.9%. Dans ces conditions, il est évident que la demande pétrolière s'en ressent, orientant les prix à la baisse. L'AIE (Agence internationale de l'énergie) prévoit une baisse de la demande de 8.4 Mbj cette année. L'Opec est plus pessimiste, estimant la baisse de la demande à 9.5 Mbj pour 2020. L'OCDE, violemment frappée par la crise, représente tout de même 46.6% de la demande mondiale, la Chine en représentant 14.3%. N'étaient les interventions vigoureuses de l'Opec+ et la modeste reprise de la demande durant cet été, les prix auraient facilement plafonné à moins de 20 dollars le baril, sinon même moins ! Dans ce contexte, l'industrie pétrolière est à l'agonie, avec beaucoup de faillites des compagnies engagées dans des pétroles difficiles et coûteux comme les pétroles de schiste américains dont celle du leader Chesapeake.
La débâcle des compagnies engagées dans les pétroles de schiste américains est significative et signifiante. Schlumberger, le géant du service pétrolier, vient, après un autre leader dans le domaine, Baker Hugues, de vendre ses actifs dans la fracturation hydraulique. Les pétroles de schiste américains, dont le seuil de rentabilité moyen est aux alentours de 40-50 dollars le baril, ont été frappés de plein fouet, entraînant, à terme, avec eux une hausse significative du chômage. Fortement endettés, ils ont provoqué de graves dommages pour le système financier américain qui les a portés à bout de bras. L'éclatement de la bulle des schistes américains n'a pas encore montré tous ses effets dévastateurs pour le système financier et l'économie américains, mais aussi, à l'instar des subprimes, en plus déflagrant, sur l'économie mondiale.
En conclusion, nous sommes en présence d'un collapsus de l'économie mondiale. Le marché pétrolier connaît, en conséquence, une situation chaotique qui se manifeste par un choc baissier unique dans l'Histoire par sa violence et par son ampleur. Le front pétrolier est en ébullition et connaît des évolutions erratiques qui ne sont pas signifiantes. Les acteurs sont dans la réaction, je dirais même qu'ils ont tendance à surréagir car disposant de peu d'éléments pour être dans l'anticipation.
La forme du jeu pétrolier s'en ressent, dominée par la spéculation et les spectateurs financiers, portant la volatilité des prix à son maximum. Les acteurs étatiques sont eux-mêmes dans la réaction, pour les plus influents d'entre eux, lourdement affectés par les prix bas. L'incertitude est à son maximum quant à l'évolution des fondamentaux pétroliers, eux-mêmes déterminés par l'évolution de l'économie mondiale. Celle-ci connaîtra en 2020 et 2021 une dynamique unique dans l'Histoire. Dans tous les cas de figure, une orientation haussière des prix pétroliers, souhaitée et encouragée par les producteurs, n'est pas à l'œuvre dans un horizon proche. Les interventions volontaristes de ces derniers, par la réduction de la production, contiennent tant bien que mal la volatilité et les tendances de très court terme. On sait que la discipline entre pays producteurs pour le partage des sacrifices est un exercice difficile porteur de désunion, donc autant d'incertitudes qu'intègrent les traders. Mais les marchés sont surtout gouvernés par la peur. Ils savent la demande atone sur une échéance difficile à évaluer. On l'a compris, si la pandémie n'a été que le déclencheur de cette crise économique qui déséquilibre gravement le marché pétrolier, elle en est désormais le moteur, concentrant toutes les incertitudes quant à la sortie de crise. Dans ce contexte, les perspectives ouvertes par le vaccin anti-Covid-19 tendent à faire surréagir les marchés, portant les prix à un niveau inconnu depuis mars 2020. Le niveau atteint de 50 dollars le baril, qui est, selon nous, une très bonne performance, est-il soutenable sur le très court terme ? On peut en douter, considérant les perspectives de demande que nous verrons plus loin. Il est cependant le bienvenu et corrige salutairement à la hausse la moyenne annuelle des prix pétroliers pour 2020.
C. Perspectives pour 2021
La surveillance du marché pétrolier et du commerce gazier peut être considérée d'un intérêt moindre par rapport au suivi et au travail d'anticipation systématique sur les évolutions particulièrement aléatoires de l'économie mondiale durement frappée par la pandémie. Celle-ci a aggravé tous les risques systémiques du fait des tendances à l'œuvre accentuées par la globalisation : interconnexion des marchés financiers à travers la planète et de ceux-ci avec les marchés de commodities, dont les marchés pétroliers dont ils renforcent la spéculation et auxquels ils transmettent leur forte volatilité. Assujettissement de l'économie réelle à ces mêmes marchés financiers avec pour effets une dichotomie entre la nature de l'économie réelle, la production, orientée par des logiques de long terme et les marchés financiers orientés par une logique spéculative de très court terme, où les transactions à travers la planète sont prises en charge par des algorithmes, s'opèrent en nanosecondes et portent sur des masses financières exceptionnellement fortes. Dans ce contexte, une géopolitique turbulente et chargée de fortes incertitudes particulièrement dans les zones de production pétrolière, excessivement prégnante dans le jeu pétrolier international, achève de planter un décor où l'imprévisibilité est à son maximum.
Notre conclusion est que cette crise s'apparente au concept de «Cygne noir» développé par Nassim Nicholas Taleb,(1) soit un évènement fortement improbable et dont les effets sont incommensurables. Ce «Cygne noir» n'a pas donné toute la mesure de sa force et de son pouvoir déflagrant. Cette donnée nous paraît fondamentale dans la lecture du jeu économique et politique mondial. L'imprévisibilité absolue de cette crise sanitaire dans son potentiel de diffusion de l'instabilité et dans la capacité à la contenir dans un délai acceptable, sinon évaluable, exerce un effet de levier dans cette instabilité latente, en réalité, depuis la crise de 2008 qui n'a jamais été totalement résorbée.
Le vaccin a déchaîné les espoirs portant à l'euphorie sur les Bourses et les marchés pétroliers. Notre souci premier est de comprendre le futur immédiat de la santé de l'économie mondiale et du rythme humainement maîtrisable de la reprise de l'économie réelle ainsi que de la performance des mesures de déconfinement et de vaccination avec pour conséquence un retour à la vie normale. Nous considérerons que les fondamentaux de l'économie mondiale comportent une forte inertie qui pèsera sur le rythme de la reprise, quelles qu'en soient les volontés des dirigeants.
Ces incertitudes, excessivement fortes, quant à l'évolution de l'économie mondiale et les évolutions entropiques possibles, orientent les marchés, qui sont psychologiques et tendent à surréagir aux crises, entraînant un «effet papillon», un enchaînement chaotique qui risque fort d'être inédit dans l'Histoire. On peut donc raisonnablement prévoir que l'aversion au risque va s'accentuer avec la crise.
A présent, les traders font des achats spéculatifs et non des investissements et surveillent attentivement les jeux d'acteurs. Le niveau de 50 dollars est, selon nous, une belle performance. Souhaitons vivement qu'elle perdure, ce qui portera nos recettes en hydrocarbures au-dessus du seuil dramatique de 20 milliards de dollars. Ainsi, comme nous l'avons indiqué plus haut, dans le cas d'une contraction forte de la croissance mondiale, ce qui est le cas aujourd'hui, la corrélation entre croissance économique et prix pétroliers est à son maximum. Sans croissance il n'y a pas de demande ; sans demande, les prix s'effondrent, aussi simple que cela. Les prix ne repartiront d'une manière robuste et durable qu'avec un retour de la croissance, ce qui n'est pas envisageable dans l'immédiat, voire même, selon nous, pour 2021.
Les incertitudes sur la demande sont amplifiées par les incertitudes sur l'offre. Premièrement, toute remontée des prix va faire revenir les pétroles de schiste américains sur le marché. Deuxièmement, il faut dès à présent prendre en compte la montée de la production libyenne et le retour très probable de la production iranienne. Ainsi, si l'offre, puissamment soutenue par les pétroles de schiste américains, est surabondante, si la demande reste fragile, si, encore, aucune force de rappel n'est en mesure d'agir sur l'offre, il va de soi que l'évolution des prix sera erratique, avec un accroissement de la volatilité et une tendance baissière affirmée, au moins pour les deux premiers trimestres.
Si nous partons sur une hypothèse optimiste où le vaccin serait efficace pour traiter le Covid-19 et suffisamment généralisé pour contenir la pandémie, il serait raisonnable d'anticiper des effets positifs sur l'économie mondiale à partir du second semestre.
L'AIE et l'Opec ont toutes deux revu à la baisse leurs prévisions de demande pour 2021, prévoyant pour la première une croissance de 5.5 Mbj et pour la seconde 6.2 Mbj. Si on prend en compte une remontée de la production libyenne à 1.4 Mbj au premier semestre et un retour d'au moins 1 Mbj iranien au second semestre, du fait de la levée de l'embargo par la nouvelle Administration américaine, l'équilibre du marché pétrolier restera difficile à approcher en 2021 avec des prix qui fluctueront autour d'un pivot de 40, au mieux 45 dollars le baril. Le chef économiste de la Banque centrale européenne estime l'économie européenne durablement affaiblie. Le PIB européen ne retrouvera pas son niveau de 2019 avant 2022. Dans tous les cas de figure, autant la Banque mondiale que le consensus des experts estiment que l'économie mondiale connaît la plus sévère dépression de son histoire et que le retour au niveau de PIB mondial de 2019 n'est pas à espérer avant trois années au moins. Il semble évident, également, que l'économie mondiale connaîtra une ascension difficile, inégale, longue et comportant de fortes incertitudes que nous avons, dans l'intérêt supérieur de notre pays, l'obligation de comprendre, d'en identifier les déterminants et la pondération de leur impact, de comprendre et anticiper les tendances lourdes et les jeux d'acteurs. Dans ce sens, il apparaît que la prospective, soit la compréhension du futur non pas seulement comme la continuation des tendances du passé, mais comme des «futuribles», des futurs possibles, est indispensable. Cela, car le changement devient des plus chaotiques, imprévisibles, avec des accélérations, des discontinuités, des bifurcations qu'il faut impérativement comprendre. Plus encore, nous affirmons que la prospective est, dans les conditions présentes, une fonction de souveraineté dont dépend la capacité à sortir vainqueur de cette crise cataclysmique inédite.
D. Quelques observations portant sur la stratégie à adopter par l'Algérie face à la crise mondiale
Cette crise est une excellente occasion pour nous remettre en cause et reconsidérer en profondeur nos approches. L'économie mondiale, fortement interconnectée avec une interdépendance des acteurs, est secouée dans ses profondeurs par cette crise sanitaire qui en a révélé tous les anachronismes, les injustices et les aberrations, les asymétries absurdes qui la fondent.
Les marchés pétroliers expriment de manière mécanique les violentes convulsions qui en résultent. Notre pays, à l'économie insuffisamment diversifiée, fortement dépendant des évolutions erratiques du marché pétrolier, en subit durement les effets. Mon sentiment est que l'Algérie a les moyens humains, mais aussi financiers, pour passer le cap de la crise. Cela, pour peu qu'elle adopte une attitude offensive et visionnaire, qu'elle opère les réformes économiques nécessaires avec rigueur, méthode et toute la volonté requise, qu'elle place au centre de son projet économique et politique l'entreprise, l'université, l'innovation et la recherche de l'excellence. Que notre pays considère que sa richesse la plus sûre est l'intelligence, le patriotisme des Algériens, qu'ils exercent en Algérie ou à l'étranger. Pour dire les choses crûment, la solution n'est pas dans le marché pétrolier, soit une hausse durable des prix (qui serait la bienvenue, même si elle reste peu probable dans l'immédiat), la solution est en nous.
Sur le front pétrolier, nous devons partir d'un paradigme nouveau qui préside à l'industrie pétrolière et gazière internationale : la puissance des pays pétroliers ne réside plus dans le niveau de leurs réserves et de leurs productions mais dans la puissance, la compétitivité de leurs compagnies pétrolières nationales qui bénéficient du soutien total de leurs Etats dont ils fondent la puissance et qui vont jusqu'à les inclure dans leurs chaînes diplomatiques pour soutenir leur développement international. Le niveau de nos réserves et de nos productions étant limité, notre potentiel de montée en puissance pétrolière et gazière réside dans la montée en puissance de Sonatrach qui doit être soutenue pour se développer sur les plans managérial et technologique, augmenter sa base de réserves en Algérie et viser à détenir des réserves à l'étranger et s'intégrer dans l'aval de la chaîne gazière et dans la génération électrique sur notre marché gazier naturel, l'Europe, comme évoqué plus haut. Sonatrach doit aussi, à l'instar des compagnies pétrolières dans le monde, opérer sa mue et évoluer vers une compagnie énergétique fournisseur au client final, «from well to wheel», du puits à la roue, de carburant, molécules de gaz et kilowattheures. Dans le même mouvement, elle s'engagera résolument dans la transition énergétique avec comme facteur-clé de succès l'ensoleillement exceptionnel de notre pays qui lui ouvre des perspectives stratégiques inédites. Sonatrach doit être soutenue pour construire des partenariats stratégiques internationaux dans ce sens et également pour faire des acquisitions d'actifs en profitant de la dépréciation de ceux-ci du fait de la crise. Au plan international, il faut garder à l'esprit que la crise frappe tout le monde et qu'elle est génératrice d'opportunités pour les plus intelligents, les plus déterminés, les plus audacieux. Tout en gardant à l'esprit nos difficultés financières présentes, il nous revient d'envisager sérieusement, en recourant aux ressources de l'ingénierie financière (nous avons d'excellents experts nationaux dans le domaine), l'acquisition d'actifs en international.
La mission de Sonatrach est de procurer des ressources pour le développement national, d'être un pôle de rayonnement, une locomotive pour les entreprises, les universités et la recherche nationales.
Elle a pour mission fondamentale d'assurer la satisfaction des besoins énergétiques nationaux dans le court, moyen et long terme. Elle est le vaisseau amiral de l'économie algérienne et doit être traitée comme tel.
Insistons encore, pour terminer, sur quelques considérations importantes portant sur la détérioration de l'état de santé des acteurs pétroliers du fait de cette crise. Elles nous intéressent d'abord pour nous mettre en perspective et relativiser nos faiblesses et erreurs. Elles nous intéressent, surtout, et au premier chef, car les crises sont toujours, dans l'industrie pétrolière, à l'avantage des acteurs qui anticipent, identifient les cibles potentielles à absorber, évaluent avec exactitude leurs forces et leurs faiblesses, les opportunités et les menaces amenées par la crise. C'est toujours à la faveur des crises que l'on fait les avancées les plus fulgurantes. D'abord renforcer sa résilience et sa capacité prospective, soit considérer que «plus on veut aller vite, plus les phares doivent porter loin».
À partir de là identifier les cibles, et elles sont nombreuses aujourd'hui ! Nous l'avons évoqué plus haut, beaucoup de petits producteurs de schistes sont, sinon en faillite, au bord. Les sociétés de service pétrolier, dont celles qui opèrent en Algérie, en perte de plan de charge, sont en grandes difficultés. Les grandes comme les petites. Il est estimé qu'en Europe seulement, 20% des sociétés de service risquent la faillite. Si on ajoute les petits producteurs, ce sont au total plus de 200 compagnies, principalement en Angleterre et en Norvège, qui vont sûrement vers la faillite. La situation de dépression exceptionnelle que vit le marché pétrolier met en graves difficultés y compris des leaders qui vont être amenés à céder des actifs ou à ouvrir leur capital. Voilà pourquoi nous terminons avec cette belle phrase de Winston Churchill : «Il ne faut jamais gâcher une bonne crise.»
M. P.
(*) Expert pétrolier international. Président du cabinet Emergy.
1) Taleb (Nassim Nicholas), Le Cygne noir. La puissance de l'imprévisible. Les Belles Lettres éditeur, Paris, 2011.


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