En conclave pendant cinq jours en Suisse, les participants au dialogue interlibyen, réunis sous les auspices de l'ONU, sont parvenus à élire, hier vendredi, Abdul Hamid Dbeibah Premier ministre de transition, en vue de préparer le scrutin national du 24 décembre. Une élection surprise, selon des observateurs qui n'entrevoyaient pas de résultat positif dans la rencontre des frères ennemis. Après cinq jours de réunion, l'actuel ministre de l'Intérieur du Gouvernement d'union nationale (GNA), Fathi Bashagha, un poids lourd de la politique locale, faisait figure de favori pour le poste de Premier ministre. Mais c'est la liste d'Abdul Hamid Dbeibah qui l'a emporté, avec 39 voix sur 73. Il est originaire de Misrata, ingénieur, fondateur du mouvement Libya al-Mostakbal (la Libye de l'avenir). Il avait occupé un poste clé sous le régime de Mouammar Kadhafi en présidant la Compagnie libyenne d'investissement et de développement (Lidco). Son colistier, Mohammad Younes Menfi, a, lui, été élu président du Conseil présidentiel transitoire, a indiqué l'émissaire par intérim de l'ONU en Libye, Stephanie Williams, à l'issue du dépouillement retransmis en direct par l'ONU. Selon l'ONU, le futur exécutif transitoire aura pour mission de «réunifier les institutions de l'Etat et assurer la sécurité» jusqu'aux élections prévues en décembre. «Le Premier ministre désigné doit, dans un délai ne dépassant pas 21 jours, former son cabinet et présenter son programme de travail (...) à la Chambre des représentants pour approbation complète». Il disposera ensuite de 21 jours supplémentaires pour obtenir le vote de confiance au Parlement. En cas d'échec, la question sera tranchée par les participants au dialogue interlibyen, a indiqué l'émissaire de l'ONU. Les 75 participants au dialogue interlibyen étaient réunis cette semaine dans les environs de Genève, dans un endroit tenu secret par l'ONU, pour élire l'exécutif de transition. Un premier tour a eu lieu mardi mais aucun des candidats n'ayant atteint le seuil des 70% des voix, un second tour a été organisé hier vendredi sous le format de listes cette fois. «Vous avez surmonté vos différences, vos défis ... dans l'intérêt de votre pays et du peuple libyen», a déclaré Mme Williams, l'émissaire par intérim de l'ONU en Libye. Même si cette désignation constitue une avancée, le nouveau Premier ministre va désormais devoir affirmer rapidement sa légitimité sur le terrain auprès d'une myriade d'acteurs politiques, dont certains ont déjà pris leurs distances avec les pourparlers de Genève. En 2015-16, nommé au terme d'un précédent processus onusien se voulant inclusif, le chef du GNA Fayez al-Sarraj avait mis plusieurs mois avant de pouvoir rejoindre - par la mer depuis la Tunisie, faute de contrôler les airs - Tripoli. S'il était parvenu à obtenir progressivement le ralliement de nombreuses milices, notamment dans la capitale, M. Sarraj n'a jamais pu obtenir la confiance du Parlement élu, et à faire reconnaître son autorité auprès de l'ensemble des forces politiques et militaires du pays. Mme Williams a d'ailleurs demandé vendredi, en début de journée, aux participants au dialogue interlibyen de s'engager «à accepter le résultat du vote». Elle a par ailleurs souligné que les candidats se sont engagés à nommer «au moins 30% de femmes à des postes de direction dans le nouveau gouvernement». Il faut rappeler que deux autorités se disputent le pouvoir: à l'Ouest, le Gouvernement d'union nationale (GNA à Tripoli), reconnu par l'ONU et soutenu par la Turquie, et un pouvoir incarné par Khalifa Haftar, homme fort de l'Est, soutenu par la Russie et les Emirats arabes unis notamment. Après l'échec d'une offensive lancée par le maréchal Haftar en avril 2019 pour conquérir Tripoli, les deux camps ont conclu un cessez-le-feu en octobre et retrouvé le chemin du dialogue, encouragé par l'ONU. Le dialogue interlibyen a été lancé en Tunisie en novembre 2020. Mi-novembre, les participants ont trouvé un accord sur l'organisation d'élections «nationales» le 24 décembre 2021. Et le Conseil de sécurité a ordonné jeudi au secrétaire général de l'ONU Antonio Guterres de déployer une avant-garde d'observateurs du cessez-le-feu en Libye. «Le nouvel exécutif unifié doit soutenir et appliquer pleinement l'accord de cessez-le-feu. Cela nécessitera une action audacieuse et déterminée de la part du nouveau gouvernement (...) y compris le retrait de toutes les forces étrangères et des mercenaires», a indiqué vendredi Mme Williams. Elle a également appelé le nouvel exécutif à «lancer un processus global de réconciliation nationale basé sur les principes de la justice transitionnelle» et «à promouvoir la culture de l'amnistie et de la tolérance parallèlement à la recherche de la vérité et des réparations». Les armes se sont tues démontrant qu'il ne peut y avoir de solution militaire. Cela conforte l'Union africaine qui a appelé, lors du dernier sommet, à œuvrer à faire taire les armes et à s'inscrire dans la résorption pacifique des conflits. Pour l'heure, on n'enregistre aucune réaction des acteurs directs ou indirects dans la crise libyenne, vieille de 10 ans aujourd'hui. Brahim Taouchichet