Aujourd'hui, même un aveugle « verrait » que le pays est confronté à de multiples menaces ! Menaces économiques, menaces sociales, menaces sécuritaires, menace pandémique et menaces de déclin culturel ! Vaste contestation politique via un Hirak mutant et portant désormais des germes de subversion, de sédition et de sécession. Un Hirak qui s'extrémise et se radicalise à un moment où le front social risque de s'embraser, l'érosion extrême du pouvoir d'achat, la malvie et les revendications catégorielles lui servant alors d'étincelle et de combustible. Périls en la demeure Algérie ! Pour conjurer le mauvais sort qui s'annonce, une seule attitude : réformer ou périr ! Donc former un front intérieur plus solide que jamais et reposant sur un socle patriotique de fer ! Libérer les énergies et mobiliser les réelles compétences nationales en interne et en externe. Mais pour débloquer les énergies et rassembler les compétences, il faudrait donc, banale évidence, mais préalable nécessaire, procéder à de profondes réformes. En priorité absolue, l'administration et notamment le système bancaire qui représentent tous les deux un grand danger pour la bonne gouvernance du pays. «Si nous avions une administration efficace, nous aurions été un pays émergent», a déclaré un jour Liès Kerrar, expert financier algérien. Le président d'Humilis Finance utilisait le verbe être au passé, manière de dire que l'administration, ce Léviathan bureaucratique, est le frein permanent qui empêche toujours l'Algérie de posséder une économie développée et créatrice de richesses. Dans la bouche de ce fils d'homme d'affaires avisé qui a appris le business en Chine de Mao et de Deng Xiao Ping, le constat est limpide : «La faiblesse de l'industrie est liée directement à l'environnement juridique et administratif qui ne favorise pas le développement industriel.» Sa réforme, comme il le suggère, est donc vitale. C'est le premier chantier à lancer. On parle souvent de pouvoir réel ou occulte. On fantasme beaucoup sur l'influence d'un supposé cabinet noir. On spécule aussi sur des pouvoirs exorbitants que détiendraient l'armée et la présidence de la République qu'on imagine toutes les deux en démiurges omnipotents et omniscients. On oublie toujours que le vrai pouvoir est celui du «Système». Ce pouvoir, avec un grand P, est celui d'un véritable Léviathan. Dans la Bible, cette créature indéfinie est un monstre colossal, un dragon, un serpent, un immense crocodile de forme imprécise. Et, chez le philosophe Hobbes, le Léviathan est une métaphore qui désigne l'Etat comme abstraction. En Algérie, l'Etat se confond souvent avec l'administration. Ce Léviathan spécifique, certains de ses représentants au niveau national, à l'échelon intermédiaire et dans les territoires, sont souvent plus puissants que des ministres en vue et bien en cour. Ce Système, c'est donc, en premier lieu, l'administration et les cercles concentriques des différents groupes d'intérêts rattachés. Pouvoir abstrait mais bien réel qui constitue une immense force inertielle. Gigantesque machine de gestion de la rente pétrolière qui génère corruption et rentes de situation. Sa puissance d'immobilisation peut empêcher de réformer, réaliser et bien exécuter. La vocation première de cette monstruosité est de garantir sa propre survie. Alors la machine bloque, retarde, déforme, paralyse ou sabote. Bref, met d'autant plus en échec que ses agents sont souvent incompétents, généralement médiocres et nécessairement corrompus. L'administration, avec ses déficits structurels et humains, et surtout sa mentalité spécifique, est un vrai fléau. Sempiternel constat, elle est sous-équipée, en manque criant d'effectifs, surtout en cadres d'exécution, de suivi, de contrôle et d'évaluation de qualité. S'agissant d'autre part du système bancaire public, et hormis quelques avancées techniques encore mal maîtrisées, l'outil peine à sortir de son incroyable archaïsme. Des réformettes ont été menées jusqu'ici pour ne pas déranger des banques publiques conçues pour servir un système rentier et bureaucratique en lieu et place de l'investissement et du développement économique. Elles ne pouvaient pas, logique conséquence, tirer le secteur vers son indispensable modernité et sa nécessaire efficacité. Comparativement, le degré de maîtrise des nouvelles technologies financières et l'efficacité du service sont de très loin meilleurs au Maroc, en Tunisie ou en Côte d'Ivoire, entre autres exemples. C'est évident, la faiblesse structurelle et la médiocrité intrinsèque de nos banques sont les produits d'un système financier sclérosé par des décennies d'économie dirigée, rentière et prébendière. Hormis des aménagements à la marge, aucune action innovante majeure n'a été effectuée jusqu'ici. Mauvais accueil, tendance des agents à compliquer la vie aux clients, procédures complexes et longs délais pour ouvrir un compte bancaire, délivrer un carnet de chèques, calculer des intérêts, effectuer une opération de change, sans parler du peu d'engouement pour l'investissement, distinguent toujours les banques algériennes. Sans oublier une gestion artisanale des comptes-clients qui favorise l'émission de chèques sans provision. Ces derniers se multiplient à cause également des dysfonctionnements d'un traitement informatique qui a du mal à se mettre en place, tant est absente la volonté d'introduire le maximum de rigueur et de transparence. Un système bancaire aussi bureaucratique et aussi peu performant n'est certainement pas en mesure de favoriser la bancarisation des capitaux privés. Et c'est en partie pour cette raison que la monnaie fiduciaire joue encore un rôle primordial dans les habitudes de thésaurisation et de paiement des Algériens, au détriment de la monnaie scripturale. Encore plus grave, les banques étrangères censées montrer la voie de la modernité aux banques publiques ont été, au contraire, tirées vers le bas à cause de la législation bancaire incroyablement archaïque, conçue davantage pour mettre des freins que pour favoriser l'initiative et la prise de risque. Difficile sinon impossible d'opérer des changements réellement innovants avec une telle législation que les pouvoirs publics successifs ne se sont pas empressés d'adapter aux normes universelles. Réformes vitales ou dépérissement fatal, là est la question ! N. K.