Nul autre dey n'a pu garder les rênes du pouvoir aussi longtemps que lui ! Mohamed ben Othmane est resté 25 ans sur le trône. Paradoxalement, il est peu connu. Dans cet essai publié chez l'Anep, Mohamed Balhi lève le voile sur le dix-huitième dey d'Alger en revisitant les années de son règne (1766-1791). La période allant de 1671 à 1830 a vu défiler vingt-sept deys, arrivés pour la plupart d'Anatolie, dont Mohamed ben Othmane. Il fut désigné dey en 1766, à 55 ans, succédant à Baba Ali, devenant ainsi le dix-huitième dey d'Alger. Au préalable, il avait occupé le poste de khodja (secrétaire) avant de devenir khaznadji (trésorier) à la fin du règne de Baba Ali, son prédécesseur. Mohamed ben Othmane a été aux commandes de la Régence d'Alger pendant 25 ans, de 1766 à 1791, un exploit lorsqu'on sait que de nombreux deys étaient assassinés à peine installés sur le trône. Néanmoins, lui aussi a failli mourir de la même manière, comme nous le rappelle l'auteur. «Le dey Mohamed ben Othmane déjoue, pour la deuxième fois en six mois, une tentative d'assassinat ; cette fois-ci au moment où il devait sortir de la mosquée ; les conspirateurs sont exécutés.» Par ailleurs, Mohamed Balhi relève qu'en dépit de l'importance de ce souverain, on connaît peu de choses le concernant. «Quel paradoxe, écrit-il, on ignore les traits du visage, la date de naissance exacte et la filiation.» Pour reconstituer la trame de sa vie, il reste alors la documentation et les récits historiques à l'instar des ouvrages de Venture de Paradis, Vallières, Henri Delmas de Grammont, Jean André Peyssonnel, Laugier de Tassy. Une chose est sûre, le règne de Mohamed ben Othmane fut caractérisé par une certaine stabilité doublée d'une prospérité. Son prédécesseur Baba Ali, alias Bousbaâ, a pris les rênes du pouvoir le 11 décembre 1754. Il fut le dix-septième dey d'Alger. Le 2 février 1766, il disparaissait suite à une courte maladie. Baba Ali est aussitôt remplacé par son trésorier, le dey Mohamed ben Othmane. Son investiture est saluée, comme l'exige la tradition, par des coups de canon. Ce dey est réputé pour son sens de l'économie à la limite de l'avarice. «Il n'était pas connu pour le goût de luxe, il se contentait de peu. Il lui arrivait même de rapiécer ses vêtements usés. Il a rompu avec la tradition, en ne portant qu'un yatagan en argent, et non en or, lors des séances qu'il tenait dans son diwan ou à la mosquée.» Venture de Paradis écrira après sa disparition le 12 juillet 1791 : «Le seul vice qu'on puisse lui reprocher, c'est une trop grande économie ; il ne laisse échapper aucun moyen d'accroître le trésor du beylik, et il ne peut se déterminer, même dans les occasions les plus importantes, à faire sortir l'argent qu'il y a versé.» Côté vie privée, l'auteur écrit que Mohamed ben Othmane connut un mariage éclair et qu'il n'eut pas de descendance. «Sous l'insistance de ses ministres, Mohamed Othmane avait accepté de se marier, mais pas pour longtemps car le lendemain de son mariage avec El Aldja, il a divorcé. En répudiant sa femme, il avait dit : «Je mourrai célibataire.» Le dey Ben Othmane a eu un fils adoptif : son propre neveu, Hassan. La période où il régna fut stable sur le plan économique en dépit des cataclysmes naturels comme les séismes. «Une année avant l'avènement du dey Mohamed ben Otmane le 20 janvier 1765, il y eut des secousses suivies de répliques. En 1768, dans la nuit du 15 au 16 août, et le 18 septembre, le même scénario se répète. En avril et août 1772, c'est la panique chez les populations. Huit ans plus tard, en juin 1780, les séismes reprennent.» Les épidémies et les guerres contre des nations européennes ont également marqué cette période. Sur le plan naval, le dey a innové dans la construction de nouvelles embarcations. «Il a donné un nouveau souffle à la pratique de la course et encouragé les raïs. Parmi ces derniers, et le plus célèbre, il y avait el Hadj Mohamed Captan... Du temps du dey Mohamed ben Othmane, la marine algérienne était crainte par les Etats-Unis d'Amérique qui n'avaient pas encore une tradition de la mer à l'instar des Anglais. Pourvus alors d'une petite marine, les états-Unis n'eurent qu'à accepter les conditions d'Alger pour la libération de deux de leurs navires marchands capturés par les Algériens en juillet 1785. Les Américains s'acquittèrent d'une rançon de 60 000 dollars, montant de la rançon demandée par Mohamed ben Othmane.» Le 12 juillet 1791, Mohamed ben Othmane décède à l'âge de 90 ans suite à une dysenterie. C'est Hassan, son neveu, qui lui succède. «Son successeur désigné, Hassan avait pris ses précautions en prévision de cet évènement et se fit proclamer immédiatement, en même temps qu'il faisait arrêter, emprisonner et priver de ses biens l'agha des spahis, son compétiteur.» Mohamed Balhi est né en 1951 à Biskra. Journaliste, reporter et écrivain, il a commis de nombreux ouvrages : des essais, un roman noir et des beaux-livres. Soraya Naili Le long règne du dey Mohamed ben Othmane (1766-1791). Mohamed Balhi. éditions Anep. 2021. 1 000 da, 199 pages.