De Tunis, Mohamed Kettou Au Journal officiel, un décret présidentiel comportant une série de mesures concrétisant la rupture que le Président Kaïs Saïed n'a cessé de marteler depuis deux mois. Nous relevions, mercredi dernier, que le Président tunisien Kaïs Saïed était décidé à rompre avec le passé. Quarante-huit heures seulement après son discours prononcé à Sidi Bouzid (sud du pays), il fait publier au Journal officiel un décret présidentiel comportant une série de mesures concrétisant la rupture dont il n'a cessé de parler depuis deux mois, soit depuis qu'il a décidé de prendre les choses en main en accaparant tous les pouvoirs. Même si les récentes mesures n'évoquent pas clairement la dissolution de l'Assemblée des représentants du peuple (ARP) gelée depuis le 25 juillet, les observateurs estiment que le Président a bel et bien enterré le Parlement. En effet, les ex-députés ne percevront plus leurs indemnités, et l'islamiste Rached Ghannouchi, parmi les plus en vue, perd du coup tous les privilèges dont il bénéficiait en tant que président du Parlement. D'ailleurs, la perte de l'immunité parlementaire a coûté, à ce jour, la prison à certains députés poursuivis pour des délits desquels ils s'étaient soustraits depuis 2019. Selon le décret présidentiel, excepté les deux premiers articles de la Constitution, des amendements pourraient être apportés à bon nombre d'articles pour absence d'harmonie ou du fait qu'ils sont «en contradiction avec les intérêts du peuple», lit-on dans le Journal officiel. Les réactions sont mitigées. Pour Rached Ghannouchi, il s'agit d'un pas vers la dictature. Pour l'ex-député Nabil Hajji, les mesures prises par Kaïs Saïed ne sont rien d'autre qu'une «suspension de l'Assemblée», ajoutant que le Président devrait avoir le courage de dire qu'il avait «fomenté un coup d'Etat contre la Constitution». Même son de cloche chez sa collègue Samia Abbou qui estime que «celui qui viole la Constitution perd sa légitimité». À l'opposé, Zouheir Maghzaoui, secrétaire général du Mouvement Ach-chaâb, considère que ces décisions sont salutaires et répondent aux revendications de bon nombre de partis politiques y compris des opposants au chef de l'Etat. Déception de l'UGTT Du côté de la puissante centrale syndicale, c'est la surprise et la déception. Elle regrette qu'elle n'ait pas été consultée par Kaïs Saïed et que ce dernier ait ignoré le secteur économique dans un pays en crise sans précédent. Reste une grande question à laquelle le Président tarde à répondre : la formation d'un gouvernement. Le pays en a grandement besoin d'autant plus que les négociations avec les bailleurs de fonds sont à l'arrêt depuis assez longtemps. Une omission que la Tunisie ne peut pas se permettre dans cette période marquée par une grave crise économique, financière et sociale. Pour les observateurs de tout rang, les mesures, rendues publiques mercredi, s'apparentent aux «missiles» placées sur la rampe de lancement et dont parle Kaïs Saïed depuis des mois. La date du lancement serait donc arrivée. D'abord le 25 juillet, ensuite le 22 septembre. Y en a-t-il d'autres ? Lui seul en détient la réponse. M. K.