Dans son dernier livre qui vient de paraître chez Ediff 2000, Lazhari Labter nous fait découvrir la vie et l'œuvre de l'un des plus grands poètes de la poésie populaire amoureuse algérienne de la fin du XIXe et du début du XXe siècle : Abdallah Ben Kerriou. Un hommage qui tombe à point nommé puisque cela fait exactement un siècle que le compositeur du célèbre Gamr Elleil est décédé : le 21 octobre 1921. L'ouvrage de Lazhari Labter est écrit dans deux langues : en français et en arabe. Il est préfacé par Abdelhamid Bourayou. Les lecteurs pourront également découvrir les poèmes de Abdallah Ben Kerriou, traduits par Lazhari Labter «himself». Abdallah Ben Kerriou est né à Laghouat, en 1871. Son père a occupé la fonction de bachadel pendant une trentaine d'années. Abdallah est encore très jeune lorsque ses parents se séparent. Il grandira avec le manque affectif de sa maman. «Souffrant de la rudesse et de la méchanceté de sa belle-mère, Abdallah se réfugia dans les études. Il apprit la langue, la grammaire, le fikh et l'astronomie.» Doté d'un esprit vif et curieux, Abdallah Ben Kerriou était également passionné de philosophie, d'astrologie et d'alchimie. Ben Kerriou aurait commencé à composer sa poésie assez tôt, comme l'écrit Lazhari Labter, «en tout cas avant la trentaine puisque des enregistrements de certains poèmes dès le début des années 1900 en attestent. De tout ce qu'il a déclamé ou écrit, ne nous est parvenue, hélas, qu'une trentaine de poèmes. Le meilleur de sa production poétique est, sans conteste, celui qui a trait à l'amour». Le rapport de Ben Kerriou à sa ville natale était fusionnel, presque charnel. «Poète citadin par excellence, il chérissait sa ville natale dont le nom est devenu inséparable du sien. On ne peut parler de Laghouat sans évoquer Ben Kerriou et on ne peut évoquer le nom de Ben Kerriou sans parler de Laghouat.» Cet attachement viscéral est exprimé dans son poème intitulé Un bonhomme est venu à ma rencontre, composé lors de son exil à El Goléa. «Un bonhomme est venu à ma rencontre me bouleversa, désirant connaître mes origines, il me questionna : ''Pardon de te poser la question, me dit-il. Ne me cache rien, dis-moi la vérité.'' Je suis de Laghouat, non d'ici, lui dis-je, par ta question tu m'as ébranlé et ravivé mes maux...» Ben Kerriou est tombé fou amoureux d'une belle jeune fille du nom de Fatna. Il l'aurait aperçue à sa fenêtre et fut foudroyé par sa beauté «La légende veut qu'il l'ait vue pour la première fois sur le balcon des Bensalem, et ce fut le coup de foudre. Cette légende est fondée sur des poèmes qui font allusion à l'apparition de la pleine lune et tantôt à l'apparition d'une étoile.» La muse de Ben Kerriou appartenait à la famille Bensalem du clan des Zaânin. Ces derniers, avec à leur tête le redoutable bachagha Ben Salem, furent offusqués en découvrant les poèmes que Abdallah avait composés pour Fatna Ezâanouniyya. Les meddahs (rhapsodes) les récitaient dans les marchés, cafés, fêtes populaires et autres célébrations. Scandale, crime de lèse-majesté, levée de boucliers. «Partout du Sahara et dans le Tell algéro-oranais, le nom de Ben Kerriou et celui de sa bien-aimée Fatna Ezâanouniyya furent connus et leur amour commenté et médité, à la grande indignation des Bensalem, qui ne pouvaient rester sans réagir. Ils s'opposaient, le bâton à la main, à leur déclamation publique. Il y eut des bagarres à Laghouat.» Scandalisé, le bachagha Bensalem réussit à éloigner l'amoureux transi en le catapultant à plus de 400 km de Laghouat, à El Goléa. Un exil qui dura de 1899 à 1903. Quatre longues années qui furent synonymes de torture pour le poète de Laghouat. «De cet exil loin de sa belle, il gardera un très mauvais souvenir qu'il traduira, tant son chagrin et ses souffrances sont grands, en des mots peu amènes pour cette ''bourgade'' inhospitalière et ses habitants peu accueillants, selon ses dires. Mais c'est à Laghouat, qui l'a rejeté, qu'il en veut le plus en dépit de son amour pour la ville qui l'a vu naître et où a vu le jour sa bien-aimée.» Ben Kerriou a beaucoup souffert de cet exil. Cette situation lui a inspiré ce poème déchirant : «Jamais je n'aurais pensé que je serais privé des miens, et je n'ai jamais pensé m'éloigner de ma ville natale. Je n'ai pas commis de meurtre pour être banni de ma ville, ni commis un acte répréhensible pour me dégoûter d'elle.» Dans un autre poème intitulé Séparation de Fatna, il écrit : «La vie et ses jours ne sont qu'une succession d'instants amers. Elle sourit aux chanceux et les comble de joie et de plaisir. Au malheureux comme moi, elle n'offre que désillusion.» Le célèbre compositeur de Gamr Elleil décède le 21 octobre 1921, à l'âge de 50 ans. Lui qui était sensible à la beauté sous toutes ses formes était devenu aveugle. La poésie de Abdallah Ben Kerriou est immortelle. De nombreux chanteurs de Laghouat lui ont rendu hommage en chantant ses poèmes à l'instar de Bachir Sarout, Hmida Belhadef, Youcef Bourezgue... «Mais c'est Khelifi Ahmed (1921-2012) qui a porté au firmament le poète, en Algérie, en Tunisie, au Maroc, en Syrie, en Arabie Saoudite, au Yémen et même dans la salle du Zénith de Paris en France, en interprétant, d'une façon magistrale, des chansons du patrimoine poétique saharien dont la célèbre Gamr Elleil, interprétation pour laquelle il a reçu le Prix de la chanson traditionnelle en 1966 et de nombreuses autres prestigieuses distinctions internationales», note Lazhari Labter. Le parcours, la vie et l'œuvre de Abdallah Ben Kerriou, le juge lettré devenu le plus célèbre poète de la poésie populaire algérienne de la fin du XIXe et début du XXe siècle, sont à découvrir dans le nouveau livre du journaliste, écrivain et poète Lazhari Labter. Soraya Naili Abdallah Ben Kerriou ou la quête de l'impossible amour. éditions Ediff 2000. Année : 2021. 196 pages. 1000 DA.