Avec ses sandales, sa chemise à carreaux et son éternel pantalon de velours côtelé, Pierre Rabhi donnait l'image d'un « ascète inspiré ». Et d'une idole louangé par les médias, il est devenu un saint laïque. En 2018, il alignait une trentaine d'ouvrages et un cumul de ventes chiffré à 1,16 million d'exemplaires. Il soulève les foules. Son créneau : le retour à la terre, aux valeurs de « simplicité, humilité, sincérité, vertu ». Il prône une « insurrection des consciences » et une économie frugale en réaction au consumérisme à outrance et aux catastrophes environnementales qui caractérisent nos sociétés. En 2006, il cofonde le mouvement Colibri, du nom de ce conte qu'il se plaît à citer, celui du colibri qui s'active à éteindre l'incendie de quelques gouttes d'eau récoltées dans son bec. En 2002, il se présente à l'élection présidentielle en France en qualité, selon ses termes, d'« expert international pour la sécurité alimentaire et la lutte contre la désertification ». Il renonce faute d'un nombre suffisant de parrainages. Celui qui est connu comme le « paysan ardéchois » naît le 29 mai 1938 à Kenadsa. À l'âge de 4 ans, après le décès de sa mère, le petit Rabah est adopté par une famille de colons. Il reçoit une éducation bourgeoise et catholique en partie à Oran, avant que son père adoptif le mette à la porte et qu'il se retrouve à Paris. Pendant la guerre le voici, selon ses dires, « brandissant mon petit drapeau par la fenêtre de la voiture qui processionne dans la ville en donnant de l'avertisseur Al-gé-rie-fran-çai-se ». Dès la fin des années 1950, il va se rapprocher de personnages connus pour leur idéologie d'extrême droite, le Dr Richard, apôtre du retour à la terre, et Gustave Thibon, écrivain ardéchois vichyste et défenseur de l'Algérie française. Il subira bientôt l'influence de Steiner et de la société anthroposophique, un mouvement international de pensée ésotérique. Conservateur, Pierre Rabhi avoue avoir détesté les philosophes existentialistes, et se distingue par une récurrente misogynie. Sa fréquentation de René Dumont dans les années 1970, lequel ne dissocie pas combat internationaliste, écologie politique et science agronomique, se solde par un désaccord, l'agronome fondateur de l'écologie politique française dénonçant son manque de connaissance scientifique. L'engouement pour Pierre Rabhi est un phénomène symptomatique des sociétés occidentales marquées par un retour à la terre, à la tradition, à la nature et en quête de spiritualité face au capitalisme destructeur. A. T.