AMBIANCE. C'était, il y a 30 ans. Dans ce bureau de vote de Bab-el-Oued, face à un électeur en kamis qui n'avait pris qu'un bulletin, le n°6, celui de l'ex-FIS, le président du bureau de vote, lui-même membre du parti dissous, lui enjoignait de prendre les bulletins des autres partis et de faire son choix dans l'isoloir. L'homme en kamis s'excuse et explique sur un ton désolé qu'il venait juste de faire ses ablutions et qu'il ne pouvait donc toucher les bulletins des partis « impies » ! En effet, dans le premier numéro de son organe, El Mounquid du 5 octobre 1989, le FIS ne s'était-il pas défini ainsi : « un parti religieux, son seigneur est Dieu, Mohamed, son prophète et la Kaâba, sa direction » ? L'histoire ne dit pas si cet électeur était présent au dernier meeting de l'ex-FIS ce 23 décembre au stade du 5-Juillet, où l'ex-colonel de la Wilaya III, feu Mohammedi Saïd, l'index pointé vers le ciel, déclarait devant plus de 100 000 personnes : « Le 26 décembre sera le jour de séparation entre les mécréants et les musulmans [...] Nous écarterons ces néocolonialistes et tous ceux qui s'acharnent à étouffer l'Islam. Nous effacerons les rêves des communistes et des capitalistes » avant de conclure : « Nous sommes prêts pour assainir ce pays et édifier l'Etat islamique, à sacrifier (« en'dhahou ») deux millions de ses habitants » ! La suite ? En remportant dès le 1er tour, 188 sièges (3,2 millions de voix) sur les 430 en lice, l'ex-FIS n'était plus qu'à 28 sièges de la majorité absolue. Il était suivi du FFS avec 25 sièges (510 000 voix) et du FLN qui, bien qu'avec 1,6 million de voix, n'obtenait que 15 sièges. Mais l'abstention est massive : 5,4 millions d'Algériens sur 13,4 millions d'inscrits n'ont pas pris part au vote, soit plus de 40% ! Pour le second tour, le 16 janvier 1992, sur les 199 sièges restant à pourvoir, le FIS est en ballottage très favorable dans 135 circonscriptions, le FLN dans 45 et le FFS dans 13. Même en cas de second tour, cela n'aurait rien changé à la situation. Autant dire que les jeux étaient faits, d'autant que Abdelkader Hachani, qui n'avait jamais laissé planer le moindre doute sur les intentions de l'ex-FIS, s'était chargé de le leur rappeler ce 3 janvier à la mosquée Es-Suna de Bab-el-Oued. Qu'on en juge : « Les pharaons ont fait appel aux magiciens pour combattre Moïse et ils ont perdu. Le pouvoir a fait appel aux démocrates et il a perdu. Il n'y a qu'un seul parti en Algérie, c'est le parti de Dieu. » En verve, Hachani dénonce « cette démocratie défendue par l'Occident qui prétend préserver les libertés, celles des homosexuels, et qui nous a amené le communisme, le marxisme et le capitalisme, des systèmes qui asservissent l'homme, alors que l'Islam, lui, le libère », ajoutant: « Notre combat est celui de la pureté islamique contre l'impureté démocratique » ! 30 ANS APRÈS, QU'EN RESTE-T-IL ? Au sein du Hirak, la tentation de reprendre le processus électoral là où il s'était arrêté en 1991-92 était dans l'air. Certains slogans, écrits et discours relayés sur les réseaux sociaux et par des chaînes satellitaires affiliées à la mouvance islamiste, poussaient dans ce sens. Or, il aurait été plus judicieux de tirer les leçons des années 1989-91 où des partis fondés sur des bases religieuses, pour qui la démocratie est une « impiété » et qui faisaient prévaloir la primauté du religieux sur le politique et la citoyenneté, ont été légalisés en violation de la Constitution par un système disqualifié par Octobre 88, au lieu de s'évertuer à nous convaincre que les islamistes ont changé. Or, s'ils avaient vraiment changé, ils ne seraient pas islamistes mais démocrates et acquis aux valeurs de la citoyenneté et de l'égalité entre femmes et hommes ! Quant à la décennie noire imputée aux seuls militaires, il y a beaucoup à dire. Notons simplement que le « djihad » a commencé en 1982 avec le MIA (Mouvement islamiste armé) de Mustapha Bouali, un MIA qui sera réactivé en juin 1991 dans les monts de Zbarbar... six mois avant l'arrêt du processus électoral en janvier 92 ! FRANCE, DAME PECRESSE ET SIEUR ZEMMOUR EN CROISADE ? La route de l'Elysée passe-t-elle par l'Arménie, pays qui serait menacé par l'islam ? C'est du moins le chemin choisi par Eric Zemmour et la candidate gaulliste Valérie Pécresse qui cherchent à donner une assise géopolitique à leur obsession identitaire du choc de civilisation et de défense de la chrétienté. Comme au bon vieux temps des Croisades, voilà donc le Sieur Eric Zemmour, de confession juive, qualifiant l'Arménie de « vieille terre chrétienne » et de « berceau de notre civilisation » ! Et, pour ne pas être en reste, voici Dame Pécresse s'en allant à son tour loin de ses terres françaises vers la lointaine Arménie. « Quand ils [les Arméniens] sont attaqués, c'est l'Europe que l'on attaque avec ses valeurs et sa civilisation », a-t-elle déclaré ! Et Israël dans ce conflit dit de civilisation ? Et bien, Zemmour et Pécresse feignent hypocritement d'oublier que c'est grâce aux drones « kamikazes » et autres armes sophistiquées fournis par Israël à l'Azerbaïdjan, tous deux liés par une coopération militaire, que les Azéris ont écrasé militairement les Arméniens. Tout comme ils feignent, par ailleurs, de mentionner que l'Iran musulman soutient l'Arménie chrétienne au détriment de l'Azerbaïdjan chiite. On a envie de dire à ces deux candidats déguisés en croisés d'aller se rhabiller... H. Z.