Par Zineddine Sekfali Alors que la campagne �lectorale ouverte le 15 avril dernier s�est vite essouffl�e, que les r�unions publiques cherchent toujours leurs publics, que les meetings ont beaucoup de difficult�s � rassembler les foules, que les affiches coll�es le jour sont lac�r�es dans la nuit qui suit, le 10 mai approche inexorablement. Or, tout indique et porte � croire que, comme pour les pr�c�dentes �lections l�gislatives, le prochain scrutin sera marqu� par une forte abstention. D�o� les nombreux appels � voter qui se suivent et se ressemblent depuis quelques semaines. D�o� aussi les suppliques adress�es au pr�sident de la R�publique, via certains m�dias en ligne, pour qu�il prenne une initiative forte de nature � �booster� ces l�gislatives�. Dans certains milieux, on craindrait un taux d�abstention si anormalement �lev� que l�on est venu � r�clamer l�introduction dans notre arsenal r�pressif, d�un nouveau d�lit, celui de non-exercice du droit de vote� D�autres personnalit�s en vue en appellent de leur c�t� non pas seulement au sens civique des �lecteurs et �lectrices, mais aussi � leur nationalisme, � leur patriotisme, voire m�me � leur foi en Dieu ! Le prochain vote nous permettrait, affirme-t-on, de nous prot�ger, comme avec une arme de dissuasion massive, de l�action hostile de l�OTAN, qui aurait d�cid� � allez savoir pourquoi et pour quel casus belli ! � de nous attaquer et d�occuper notre pays� Ces r�actions aussi inqui�tes qu�inqui�tantes, d�montrent � quel point le peu d�empressement d�une grande partie des Alg�riens � voter d�range non seulement le pouvoir mais aussi ce qu�on appelle �la classe politique�, tous partis confondus. Pourquoi les Alg�riens s�abstiennent- ils donc d�aller aux urnes ? Telle est la question simple qu�il faut se poser. Existe-t-il des moyens autres que r�pressifs et guerriers de les int�resser � ce scrutin et de les inciter � ne pas s�abstenir ? C�est ce qu�il faut rechercher au lieu de pratiquer la politique de l�autruche. L�abstentionnisme existe partout o� des consultations �lectorales d�mocratiques ont lieu. En g�n�ral, ce ph�nom�ne fait l�objet, de la part de politologues et des sociologues, d�enqu�tes et d��tudes, dans le but de quantifier avec pr�cision le nombre des abstentions, de s�rier leurs diff�rents types, de d�celer les causes et de rechercher les voies et moyens susceptibles de limiter ce ph�nom�ne. J�avoue ignorer s�il existe chez nous des �tudes ou enqu�tes consacr�es � ces th�mes. Mais gr�ce � l�abondante litt�rature acad�mique sur les syst�mes �lectoraux, je sais comme bien d�autres gens que les causes de l�abstention sont en g�n�ral politiques, �conomiques, sociales, culturelles� Il est �vident que de m�me qu�il y a des votes d�adh�sion, des votes de sanction, des votes de rejet, de protestation, de crise, il y a n�cessairement aussi des abstentions � rejet, des abstentions de protestation et des abstentions de crise. Tout le monde comprend qu�il y a, par ailleurs, des abstentionnistes par ignorance ou par insouciance, ou pour des raisons de sant�, d��loignement, voire pour m�connaissance de la proc�dure du vote par procuration. Il y a enfin des �irr�ductibles� de l�abstention, lesquels, quoi qu�on fasse, ne votent jamais ! Il y aurait donc, grosso modo, un abstentionnisme �d�lib�r� et un abstentionnisme �par n�gligence� ; le premier type d�abstention a �un sens�, le second est simplement �conjoncturel � et ne porte aucun message. Ceci �tant rappel�, il est prouv� que les plus forts taux d�abstention (+ de 25%) sont atteints, lorsque l�abstention a des fondements politiques et socio�conomiques ; les autres causes d�abstention (par n�gligence, insouciance ou je m�en-foutisme), n�interviennent que de mani�re marginale (2 � 4%). Or, l�abstention, qui s�annonce � l�occasion du scrutin du 10 mai, sera vraisemblablement lourde de sens et m�rite d�ores et d�j� qu�on l�analyse. Il y a d�j� quelques signes avant-coureurs qui nous renseignent sur son importance ; j�en ai cit� quelques-uns : une campagne �lectorale terne, peu de public aux r�unions et meetings, nombreuses destructions de panneaux d�affichage, lac�ration des affiches dont du reste certaines ont atteint le summum du mauvais go�t ou du ridicule, l�inscription de graffitis peu flatteurs. A cela, il convient d�ajouter l�activit� f�brile qui s�est empar�e des r�seaux sociaux, Facebook et Twitter, o� si des exc�s sont commis, on trouve aussi mati�re � r�flexion. On se rend compte qu�except�s les �lecteurs �encart�s � dans des partis qui, de ce fait, savent d�avance pour quelle liste ils vont voter, la grande masse des �lecteurs, celle des citoyens qui ne sont ni militants, ni adh�rents, ni sympathisants de quelque parti que ce soit, il est difficile d�opter. L��lecteur moyen est en effet plac� face � une quarantaine de listes, une pl�thore de partis lilliputiens issus de la g�n�ration spontan�e, des partis dits islamistes similaires, puisque tir�s les-uns des autres comme des �matriochka � russes, des programmes politiques qui se r�duisent � quelques membres de phrases formant trois ou quatre slogans en langue de bois, parfois farfelus et d�autres fois sibyllins, enfin des candidats quasiment sans CV connus, ou au contraire avec des CV d�lirants, comme celui diffus� par un journal �lectronique d�o� il ressort qu�une candidate � dont je ne dirai pas le nom � aurait obtenu en une dizaine d�ann�es, 6 � 7 fois le baccalaur�at, et qui serait titulaire � la fois d�une licence en droit, d�une licence en biologie, d�une licence en pharmacie, d�un dipl�me d�ing�nieur : il ne lui manque plus que le prix Nobel ! C�est grotesque. Il y a ce constat terrible que chacun a pu faire : l�argent est partout et pourrit cette �lection. Ce � quoi le gouvernement devrait rapidement s�atteler, c�est de lutter avec la plus grande rigueur contre cette gangr�ne mortelle qu�est la pratique de la �tchipa� en g�n�ral et, de la �chekara� qui s�vit lors des p�riodes �lectorales. Il faut, toute affaire cessante, d�noncer ce mal politique absolu et clouer au pilori, sans faiblesse ni piti�, tous les �porteurs de chekara� qui vendent et ach�tent les �lecteurs, les faveurs des chefs de parti, le meilleur rang ou la bonne place sur la liste �lectorale, etc. Si en d�pit de tout cela, la citoyennet� encore a un sens, il est hautement souhaitable que l�on rappelle, en haut lieu et � tous les niveaux des responsabilit�s politiques et administratives, que les citoyens alg�riens sont, malgr� leurs divergences politiques et leurs diff�rences sociales et culturelles, tous des citoyens �gaux ; les passe-droits et les privil�ges d�mobilisent les gens honn�tes et sinc�res ; ce sont de plus, dans une soci�t� �galitaire et fi�re comme la n�tre, des maux sociaux dangereux qui peuvent �tre � l�origine d�un nouvel incendie ravageur dans un pays d�j� tant de fois traumatis�. Si le politicien ou le responsable administratif ou le magistrat, ou ce qu�on appelle �el quiyada� et plus g�n�ralement le pouvoir tiennent � ce que le simple citoyen au nom et au service duquel ils agissent, les respecte � je ne dis pas les craint, ce qui est autre chose � il faudrait qu�en retour eux aussi le respectent. Ce serait une bonne chose que �les princes qui nous gouvernent� en montrant leur attachement � l�Etat de droit et aux valeurs de la d�mocratie, proclament haut et fort que l�Alg�rien a le droit � l�gitime, inali�nable, et imprescriptible �de critiquer ses gouvernants et leur mani�re de gouverner et qu�il peut exercer ce droit sans �tre aussit�t trait� de tra�tre ou de comploteur, et tra�n� devant les tribunaux, antichambres des prisons. Il est par ailleurs grand temps d�en finir avec ce r�flexe pavlovien qui consiste � r�pondre aux adversaires politiques comme aux simples contradicteurs, en agitant de fa�on parano�aque le spectre du complot ourdi par des puissances myst�rieuses et des forces occultes, qui activeraient avec la complicit� de quelques �vendus� locaux, aspirant � mettre le pays � feu et � sang� Que l�Alg�rie ait des ennemis obsessionnellement pr�ts � nous causer des difficult�s est une hypoth�se plausible, mais que nos responsables nous cachent les noms de ces ennemis-l� c�est quelque chose de difficile � admettre. Il faut nommer un chat un chat et un ennemi un ennemi ! Il y a lieu, en effet, entre, d�une part, de mettre en garde ses concitoyens contre un danger r�el, grave et imminent, et d�autre part, susciter leur peur. C�est de cette peur qu�il faudrait avoir peur, dirais-je en plagiant un vers de W. Shakespeare. Qu�on cesse donc de se voiler la face et de se comporter au regard de l�abstentionnisme comme l�autruche qui plonge sa t�te dans le sable� L�Alg�rien s�abstient de voter pour beaucoup de raisons : on vient d�invoquer tr�s bri�vement certaines d�entre elles. Mais il faut dire aussi que l�Alg�rien a quelques motifs de penser que ses pr�c�dents et multiples votes n�ont pas �t� suivis de changements positifs et qualitatifs. Ce qu�il voit et vit au quotidien c�est, soit une lente et irr�sistible r�gression �conomique et sociale, soit une stagnation �tal�e et un immobilisme paralysant, absolument inacceptables, sachant que les caisses de l�Etat regorgent de devises. Qui n�a pas encore lu ou entendu cette terrible phrase et �trange oxymore : �L�Alg�rie est un pays riche et sous-d�velopp�.� Le malheur dans ce pays, c�est que le changement est devenu un spectre qui hante les esprits. Or, on sait depuis H�raclite que �rien n�est permanent, sauf le changement � ! On exprimera enfin l�espoir, pas aussi utopique qu�il para�t de prime abord, que nos gouvernants, reprenant leur esprit, se fassent cette id�e de bon sens, que dans toute R�publique le pouvoir politique n�est pas un monopole attribu� � vie. Il n�est pas naturellement h�r�ditaire et transmissible, �ni ab intestat ni par voie testamentaire�, � l�int�rieur d�un parti, quel qu�il soit, de quelque pass� glorieux qu�il se revendique ou de quelque inspiration divine qu�il se pr�tende d�positaire exclusif. L�Alg�rien a montr� plus d�une fois que que lorsque les r�gles de la comp�tition �lectorale sont claires, que les enjeux sont honn�tes et que les choix sont d�cisifs, il vote en masse et point n�est besoin alors de bourrer les urnes.