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Smart partnership
Vérité au-delà des mers, erreur en deçà (*)
Publié dans Le Soir d'Algérie le 03 - 02 - 2018


haut fonctionnaire, retraité
Des hommes politiques, des économistes, des intellectuels réfléchissent en permanence sur la problématique du développement et la manière de concilier puis unir les efforts des acteurs économiques, l'objectif étant d'améliorer les performances de l'économie d'un pays donné ou d'un ensemble régional. Il s'agit essentiellement de réussir à augmenter le taux de la croissance, améliorer la gestion des entreprises, produire davantage de richesses et surtout créer des emplois pour réduire le chômage, des jeunes notamment, et mettre en place des mécanismes de solidarité sociale efficaces.
Historiquement, la réflexion sur l'utilité et l'intérêt de concilier secteur privé et secteur public pour réaliser ces objectifs est née et a connu un développement remarquable dans les pays du Commonwealth. Les anciennes colonies britanniques, notamment celles de l'Asie du Sud-Est, se sont emparées du concept et l'ont fait évoluer dans des groupes de travail, des conférences, des ateliers, des colloques, etc. Le concept fut appelé en anglais «smart partnership», littéralement traduit par partenariat intelligent. Il concerne tous les secteurs d'activité d'un pays. C'est-à-dire aussi bien le secteur économique que culturel, scientifique ou technique. Le sujet continue à être étudié, commenté, débattu, enrichi depuis une quarantaine d'années dans les pays émergents (pays du Sud-Est asiatique, l'Afrique du Sud et la quasi-totalité des anciennes colonies du Royaume-Uni).
Une des formes les plus courantes du smart partnership dans ces pays est régie par des contrats par lesquels l'Etat confie à un opérateur privé une mission globale. L'opérateur privé choisi prend en charge la conception, la réalisation, l'exploitation et la maintenance d'un équipement nécessaire au service public, mais également son financement.
Ce type de contrat permet généralement de financer des investissements lourds, tels des aéroports, des lignes de chemin de fer à grande vitesse, ou encore des infrastructures énergétiques, sans pour autant engager les finances de l'Etat dans l'immédiat.
L'Etat malaisien a ainsi fait construire une autoroute qui relie sur 720 km le nord au sud du pays, et un aéroport considéré à la fin des années 90 comme le plus moderne du monde, sans dépenser le moindre centime. C'est un type de contrat dont la pratique est courante dans ces pays depuis plusieurs années. Ces contrats courent sur une très longue période de temps, afin que l'opérateur privé puisse rentabiliser ses investissements.
L'actualité algérienne, en ce début d'année 2018, traite de ce sujet dans la tripartite en donnant l'impression que le pays vient de découvrir ce concept baptisé partenariat public privé (PPP). Ces initiateurs ont pensé qu'il était judicieux d'introduire le débat au cours d'une des grandes messes que le pays se plaît à organiser en mobilisant tous les moyens de l'Etat : la tripartite qui réunit autour du Premier ministre du moment les responsables du patronat et du syndicat. C'est incontestablement une excellente chose de penser à unir les efforts des secteurs public et privé pour améliorer les rendements de notre économie et adoucir le quotidien de la grande masse des Algériens. On ne peut que s'en réjouir.
Il convient toutefois de rappeler certaines réalités de l'histoire contemporaine de l'Algérie qui rendent particulièrement ardu le parcours du pays dans cette nouvelle voie du partenariat intelligent. Lahouari Addi s'est aventuré à défricher le sujet : (dans Le nationalisme arabe radical et l'Islam politique. Produits contradictoires de la modernité. Editions Barzakh 2017.
«L'Algérie a investi des centaines de milliards de dollars dans la création d'une industrie moderne qui devait entraîner l'économie nationale vers le développement de la croissance. Cet effort s'est réalisé dans le cadre de l'économie socialiste, contrôlé par l'administration qui a refusé le système des prix du marché soupçonné d'entraver le développement du pays. Le secteur économique privé a été limité en attendant son extinction ou son absorption par le secteur public. (...) Il n'y a pas eu d'opposition forte à l'étatisation de l'économie et un consensus est apparu : l'Etat généreux devait combattre les intérêts privés des groupes sociaux que le marché avait enrichis.»
Il ajoute qu'à cette époque, il ne pouvait y avoir de partenariat entre le secteur privé et le secteur public, car la logique qui prédominait était celle de la confrontation : «Le marché réunit différentes classes sociales qui, opposées dans la production et la répartition des richesses, s'affrontent à travers les prix des marchandises, mais aussi à travers les unions patronales, les syndicats ouvriers, les associations des divers métiers (...) Le marché libère ainsi une dynamique conflictuelle qui gêne le régime dans sa volonté de soumettre toute la population au pouvoir exécutif sans aucun contre-pouvoir institutionnel (...) Il s'agit surtout de s'opposer à l'existence d'unions patronales et de syndicats ouvriers libres.»
C'est durant approximativement la même période que dans les pays du Commonwealth, en Asie, en Afrique et partout ailleurs dans le monde (Canada, Australie) naissait et se développait le concept de smart partnership. On mesure l'étendue du retard... Dans le partnership intelligent version Commonwealth, l'opération doit évoluer selon la formule gagnant-gagnant pour l'ensemble des parties. C'est-à-dire qu'il ne saurait y avoir un partenaire dominant et un partenaire dominé, car pour réussir dans cette «association», il est impératif que les avantages soient équitablement répartis entre les participants indépendamment de leur contribution aux projets discutés.
Le partenariat doit être fondé sur l'idée selon laquelle il faut faire prospérer le partenaire conformément aux valeurs universelles de confiance, respect, compréhension, bonne foi et de fair-play, car en aidant le partenaire à s'enrichir, on s'enrichit soi-même (ou l'entité représentée) et, au final, c'est tout le pays qui prospère ! Le Sud-Est asiatique offre aujourd'hui le parfait exemple de la réussite de ce concept, notamment en Corée du Sud, Malaisie, Singapour, Indonésie et même au Vietnam qui est entré tardivement dans l'engrenage vertueux du développement.
Le smart partnership se développe au plan interne d'abord, puis s'étend naturellement au plan régional, en s'épanouissant davantage et en produisant toujours plus de richesses.
La coopération entre les pays du Sud-Est asiatique dans le cadre de l'Asean est à cet égard exemplaire. Peut-on affirmer, dans la version algérienne du smart partnership, que les valeurs universelles de confiance, respect, bonne foi et de fair-play sont présentes dans l'esprit des participants à la tripartite ? Le contexte actuel au plan politique est dominé par de nombreuses préoccupations tant internes qu'internationales qui interfèrent directement sur la mise en œuvre du PPP. Au plan économique, la crise résultant de la chute des prix du pétrole brut pose des équations dont la résolution s'annonce particulièrement ardue.
Le contexte politique
Le contexte politique algérien est, au moment de la tenue de la tripartite, dominé par la prochaine élection présidentielle. Chaque initiative, chaque mouvement, chaque nomination, chaque revendication, chaque affaire de justice, est commentée, évaluée, sous-pesée à l'aune politicienne qui enrobe cette importante échéance. Le chef du parti majoritaire a même lié les grèves déclenchées fin janvier 2018 à la compagnie Air Algérie, ainsi que la grève des médecins résidents, durant la même période, à l'élection présidentielle qui doit se tenir dans... trente-six mois. On ne sait pas encore tout ce qui s'est réellement dit lors de la dernière tripartite, mais il semble que le seul contenu donné au concept PPP durant cette tripartite, c'est la privatisation partielle ou totale des entreprises publiques.
Or, dans l'esprit et dans la culture politique des Algériens, l'évocation du principe d'une privatisation provoque immanquablement un véritable tsunami dans la classe politique algérienne. Le débat sur ce sujet semble perturber un jeu subtil et mystérieux des équilibres qui garantissent la stabilité générale du pays. L'inscription à l'ordre du jour des travaux de la tripartite de la privatisation des entreprises publiques fut aussitôt considérée comme une pernicieuse manœuvre d'un des acteurs de la tripartite dans la perspective de l'élection présidentielle prochaine ! L'idée de privatiser est pourtant bien ancienne. Le principe des privatisations est entré dans les faits dès 1995 puis relancé avec la révision de la loi prévoyant, entre autres, la privatisation totale des entreprises publiques déficitaires. Même le concept du PPP dont débattaient les participants à la tripartite ne fut considéré que comme un subterfuge sournois en vue de doter un virtuel candidat à l'élection présidentielle de moyens d'action pouvant potentiellement assurer son succès ! ... On peut imaginer le rire de l'observateur asiatique adepte du smart partnership qui suit l'actualité politique algérienne.
Comment parler de confiance et de sérénité des partenaires dans de telles conditions ? On peut décrire davantage le contexte politique du moment en rappelant que le Premier ministre qui a présidé la première séance des travaux de la tripartite a officié trois mois avant d'être remercié et remplacé par l'actuel Premier ministre qui, lui, a exercé trois fois ces hautes et prestigieuses fonctions de fusible.
Qu'en est-il du contexte économique et social ? L'Algérie vit au rythme des fluctuations des prix du pétrole sur lequel le pays n'a aucune prise. Depuis 2014 le cours est à la baisse et a atteint des seuils critiques en 2015 et 2016. En 2017, les cours se sont redressés tout en restant éloignés du niveau qui peut assurer l'équilibre budgétaire, évalué à 90 dollars le baril. Cette baisse des revenus du pays a soulevé d'inextricables questions de gestion et de gouvernance parmi lesquelles on peut citer celle des subventions prodiguées par l'Etat aux produits de première nécessité. Tous les experts s'accordent à dire que ces subventions ont un effet dévastateur sur les finances publiques. Elles sont totalement antiéconomiques et leur opportunité tant au plan de l'équité qu'à celui de la morale ne se justifie pas. Leur poids sur le budget de l'Etat est considérable et prive le gouvernement de moyens d'action dans des secteurs vitaux du pays. Les subventions encouragent le gaspillage, le plus visible étant le gaspillage du pain alors que la farine est importée. Autre effet pernicieux, des centaines de boulangeries sont en train de fermer du fait de la perte des valeurs liées à ce noble métier qui ne permet plus aux boulangers de vivre décemment de leur travail. La subvention non réfléchie dénature la valeur que la morale universelle associe à la notion de travail. En Algérie, hélas, on ne gagne plus son pain à la sueur de son front. (La baguette est vendue à 10 DA, soit moins de 5 centimes d'euro). La paix sociale n'a pas de prix.
Au plan stratégique, le lancement du concept de PPP intervient à un moment particulièrement inopportun en raison des multiples préoccupations du pays tant au plan économique avec la baisse importante des revenus comme déjà évoqué, qu'au plan politique avec l'approche d'une élection présidentielle qui est un moment d'une sensibilité extrême dans le système hyper-présidentialisé de l'Algérie. La sensibilité politique est exacerbée par une conjoncture régionale, lourde de menaces.
En effet, les six frontières du pays totalisant quelque 6 000 km sont en état d'alerte avec notamment les menaces de retour des djihadistes chassés d'Irak et de Syrie suite à la défaite de l'Etat islamique. Un autre problème supplémentaire se pose avec une certaine acuité aux autorités algériennes, l'arrivée massive de migrants originaires du Sahel.
Toute initiative engagée pour contenir ce mouvement provoque des commentaires désobligeants envers un pays particulièrement susceptible sur les questions africaines. La gestion hésitante de ce flux migratoire, inattendu par son ampleur, n'a pas bonne presse.
La diplomatie algérienne fondée en partie sur une politique de grande générosité envers l'Afrique en a pris un coup. Une situation dont profite perfidement le rival marocain pour se déployer avec un certain succès dans le continent noir (46 visites du roi du Maroc dans 25 pays africains depuis son intronisation et 5 milliards de dollars d'investissements en 2016, sans parler du retour en grande pompe à l'Union africaine), au grand dam de la diplomatie algérienne qui répond parfois à sa rivale en omettant d'y mettre les formes. C'est pendant que le pays doit faire face à toutes ces menaces déstabilisantes et coûteuses que cette initiative de partenariat intelligent est lancée. L'opération est censée augmenter les ressources d'un Etat durement éprouvées par le retournement du marché des hydrocarbures. Un observateur a relevé à juste titre que «c'est parce qu'il n'a plus les moyens de mettre les moyens financiers nécessaires à la disposition du secteur public que l'Etat a recours à la formule du PPP». La réussite du partenariat est intimement liée au respect par les parties prenantes des valeurs universelles de confiance, respect, compréhension, bonne foi et de fair-play, avons-nous écrit en introduction.
A. L.
* J'ai emprunté cet adage de Blaise Pascal, selon lequel la perception de certaines vérités est dépendante de beaucoup de facteurs : la localisation géographique, la culture, la mentalité, l'époque... Autrement dit, ce qui est une vérité pour quelqu'un à un moment ou un lieu donné ne l'est peut-être pas pour une autre personne d'une autre région.


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