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C'est ma vie
Sid-Ali, le vilain petit canard
Publié dans Le Soir d'Algérie le 23 - 02 - 2013

El-Ghalia, cette belle blonde aux yeux bleus, au corps svelte et à la chevelure dorée, ne pouvait se douter que son premier mariage allait se solder par un échec. Elle avait tout juste 16 ans et fut répudiée un an plus tard, car elle ne pouvait donner à son époux l'enfant tant désiré. Ainsi, sa stérilité fait l'unanimité au sein de sa belle-famille. Trois ans plus tard, elle convolera en secondes noces. Mais le mauvais sort la poursuivra. Elle ne réussira toujours pas à enfanter. En désespoir de cause, le couple décide d'adopter un enfant.
Le destin frappera à sa porte ce printemps de l'année 1959. Ce jour-là, El-Ghalia venait de terminer son ménage, elle finit de remplir son seau d'eau puisé du puits d'une des belles maisons de La Casbah, puis rentre dans sa ghorfaet ferme sa porte. Un petit somme lui fera du bien en attendant le retour de son époux. Mais voilà qu'elle entend toquer. Elle ouvre et découvre en face d'elle une mendiante en haillons et enceinte. En une fraction de seconde, l'idée folle d'adopter l'enfant que porte cette inconnue lui traversa la tête. Elle n'hésitera pas à lui poser la question.
- Dis-moi brave femme, qu'as-tu l'intention de faire de cet enfant ?
- Je ne veux pas le garder, il n'a pas de père, et je ne pourrai pas le nourrir.
- Veux-tu me le donner ?
- Bien-sûr, il sera à toi.
La mendiante prendra un bain, enfilera des habits propres et sera l'hôte d'El-Ghalia. Elle accouchera d'un petit garçon qu'El-Ghalia prénommera Sid-Ali. Elle rêvait d'avoir un garçon et de lui donner ce nom. Sid-Ali prendra le lait de sa maman pendant 40 jours. Après quoi, la mère biologique quittera la maisonnée sans aucun regret. El-Ghalia ne croit pas à son bonheur. Elle est aux petits soins avec son fils. Le couple semble renaître. El-Ghalia, alerte et prévoyante, prend vite la décision de déménager. «Je veux partir de cette maison, je veux aller là où personne ne me connaît, afin qu'on ne sache pas que Sid-Ali est mon enfant adoptif. Aussitôt dit, aussitôt fait. La naissance du bébé fut célébrée avec faste dans la nouvelle maison. Sid-Ali était choyé, aimé par ses parents qui n'avaient d'yeux que pour lui et qui ne juraient que par lui : six années de pur bonheur qu'ils partageaient. Sid-Ali était un garçon éveillé, joyeux, sociable, épanoui. Mais le destin en décidera autrement, le jour où El-Ghalia fut prise de nausées. N'y prêtant pas trop attention, elle les mettra sur le dos de la nourriture qu'elle a toujours préférée grasse et épicée. Mais les vomissements persistent et la clouent au lit pendant plusieurs jours. Son époux s'inquiète et la conduit chez le médecin. Il l'examine et pose son diagnostic : «Vous êtes enceinte de trois mois», lui annonce-t-il tout de go. El-Ghalia n'en croit pas ses oreilles, elle est prise d'un malaise. «Ce n'est pas possible, docteur !» «Rentrez chez vous, et ménagez-vous.» Elle sortira en pleurs, et annoncera la bonne nouvelle à son époux. Elle mettra au monde une adorable petite fille. Son portrait craché. El- Ghalia sera épatée et fière à la fois par sa beauté. Elle se disait dans son for intérieur : «Comment, moi, la stérile, j'ai pu enfanter une créature de rêve ?» Ghania sera le centre d'intérêt d'El-Ghalia. Sid-Ali, lui, passera en second plan. Cela suscitera sa jalousie. Il deviendra grincheux et provoquera la colère de sa maman. Les jours passèrent, les mois, et voilà que deux années plus tard, El-Ghalia tombera de nouveau enceinte, cette fois, c'est un garçon qui viendra agrandir la petite famille. Réda ressemblait à un ange, disait sa sœur. «Un bébé sorti des revues. Il avait une peau blanche laiteuse, des cheveux soyeux et des yeux d'un bleu azur. On l'appelait, «l'Anglais». El-Ghalia était comblée. Réda était la prunelle de ses yeux. Au fil des jours, elle supportait de moins en moins la vue de Sid-Ali qui, lui, n'a pas été gâté par la nature. Elle finit par le repousser jusqu'à l'ignorer. Son mari la mettait en garde contre ses agissements, Sid-Ali, pour lui, restait ce fils qui a fait leur bonheur. Mais El-Ghalia l'a vite oublié. De nature intravertie, Sid-Ali, «le vilain petit canard», devenait acariâtre, ses résultats à l'école de plus en plus mauvais. Agressif, caractériel, il battait ses camarades. Un jour, dans une folie furieuse, il mord sa maîtresse. Depuis, il refusera de retourner à l'école. Sa mère, qui vivait sur un nuage, n'en avait cure. Pour elle, seul Réda comptait. Il souffrait en silence sans que personne s'en aperçoive. On le réprimandait parce qu'il osait s'approcher de son frère. Et ce qui le chagrinait le plus, ce sont les yeux de sa mère qui brillaient lorsqu'elle regardait Réda, tous ces baisers qu'elle lui donnait, tous ces mots tendres qu'elle prononçait. Il était honni des siens et rejeté par sa mère. «A l'adolescence, qu'il vivra atrocement, il souffrira de troubles du comportement. Il lui arrivait de rentrer dans un mutisme volontaire pendant des mois sans que personne s'en inquiète. Il était là, mangeait, dormait et prenait très rarement ses douches», raconte une de ses amies. En fait, nous explique-t-elle, tout le monde s'accommodait à ses nouveaux comportements sans vouloir le contrarier outre mesure. Il fuguait des jours, des mois, préférant la rue, puis revenait sale en guenilles, quand sa mère lui manquait. Il la regarde tristement, les yeux embués. Ce jour-là, elle était trop occupée à préparer la valise de Réda qui s'envolera pour la France, poursuivre ses études de médecine. Elle remarquera à peine sa présence. Il repartira aussitôt, en silence et reviendra le jour de la mort d'El-Ghalia. «Personne ne saura comment l'a-t-il appris. Toujours aussi discret et ne voulant gêner personne, il prendra un coin dans le couloir pour pleurer sa mère. Depuis, personne ne l'a jamais plu revu.»


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