[email protected] L�absence de cadre de dialogue et de concertation est associ�e � un processus de r�gression de la responsabilit� politique, avec pour corollaire l�impunit�. Que des agr�ments soient accord�s ou non � de nouveaux partis ne change rien � la logique de client�lisme et d�all�geance, sur laquelle repose fondamentalement le syst�me alg�rien. Nous avons d�j� d�pass� le seuil des 60 partis sans que l�exercice de la souverainet� politique par des voies d�mocratiques n�goci�es et partag�es ne soit un tant soit peu entrevu, que l��lectorat ne se sente concern� au-del� du taux de participation ridiculement bas ou qu��merge une classe politique comp�tente, int�gre et responsable. Le �cheptel politique� aux commandes (issu pour l�essentiel du m�me moule de l�article 120 des ann�es 1980) et qui se profile encore occasionnellement (souvent pour les besoins des th��tralisations �lectorales p�riodiques) derri�re les �crans de fum�e ne peut occulter l��chec r�p�t� � mettre d�finitivement notre pays sur les rails de r�formes cumulatives et durables en faveur du progr�s, de la justice sociale et de la d�mocratie. De la m�me fa�on, l'Alg�rie compte 81 000 associations agr��es � ce jour sans qu��merge une v�ritable soci�t� civile. Le nombre ne fait pas la qualit�. Les gesticulations de quelques apparatchiks h�rit�s du national populisme du parti unique ne compensent pas le vide sid�ral et le divorce consomm� entre l�Etat et la soci�t�. Les r�centes r�v�lations concernant Sonatrach ont fini par achever le moral des hommes et des femmes qui s��chinent quotidiennement � la t�che pour gagner honn�tement des moyens de subsistance sans cesse amoindris par l�inflation. Il en r�sulte, par ailleurs, un climat malsain de suspicion � l�endroit des cadres, pr�sum�s tous enclins au d�tournement. Le danger � combattre ici est, comme l��crit Gramsci � dans un texte des ann�es 1920 � de p�daler dans le vide, d��tre �le poids mort de l�Histoire� : �Un homme ne peut vivre v�ritablement sans �tre un citoyen et sans r�sister. L�indiff�rence, c'est l'aboulie, le parasitisme, et la l�chet�, non la vie. C�est pourquoi je hais les indiff�rents. L�indiff�rence est le poids mort de l�Histoire�. L��tat des lieux est inqui�tant et n�augure rien d�optimiste. Il tient � cinq grandes tendances lourdes qu�il convient naturellement de juguler. Primo, la construction d�ensemble est d�essence autoritaire : la violence est � la fois ressource et langage. La meilleure mesure de ce param�tre reste l�indice Global Peace Index, une moyenne agr�g�e de 24 indicateurs qui mesure le degr� de pacifisme d�un pays. L�Alg�rie y est class�e 107e sur un total de 121 avec la mention �lourd potentiel de violence�. On pourra s�appesantir sur ce param�tre mais pas dans le cadre restreint de cette chronique. Plus grave encore, il semble de plus en plus acquis que, chez nous, ni la r�pression, ni le droit ne sont en mesure de venir � bout de tant d�incivisme, de d�ficit de citoyennet�. Sur ce point pr�cis, on rejoindra Aziz Krichen lorsqu�il rel�ve : �Lorsque des comportements donn�s sont r�pandus massivement au sein d�une population, ils ne renvoient plus seulement � des �tats individuels, ils expriment plus fondamentalement une situation collective ; ils ne s�expliquent plus par la psychologie mais par la culture.�(*) Secundo, cette m�me construction est tentaculaire. Alors que le v�ritable capital d�un pouvoir fort et sage est sa raret� et ses mythes, ici la peur, la conspiration, la cooptation occulte, sectaire et discr�tionnaire l�ont ass�ch� de toute dimension mythique. Tertio, la r�gulation instaur�e est d�essence polici�re. Freud soutenait, � juste titre, que �la coh�sion d�une communaut� repose sur deux facteurs : la contrainte de la force et les liens affectifs � en termes techniques : les identifications � entre les membres�. Le rel�chement du second facteur risque d�induire une contraction ultime sur la contrainte comme moyen de survie de l�Etat. Il s�agit d�y rem�dier avant qu�il ne soit trop tard, en r�habilitant les valeurs p�rennes du �vivre-ensemble �. Quatro, c�est aussi une construction � haut risque oligarchique. L�oligarchie est ce qui oppose le groupe � la d�mocratie pour que le pouvoir se transmette en son sein. Or, il semble que m�me �teinte physiquement, la premi�re g�n�ration n�entrevoit pas un autre mode de transmission du pouvoir. A bien des �gards, la r�volte des jeunes contre l�Etat est d�abord une r�volte contre le p�re. Comme l�est la travers�e de la mer pour chercher refuge chez son adversaire d�hier. Y-a-t-il meilleur t�moin de l��chec du p�re que ce geste de l�enfant qui cherche refuge chez son ennemi d�hier ? Aziz Krichen que nous �voquions plus haut avait �galement raison d�associer cet �chec ou cette impasse � la d�faite des unilat�ralismes ou �tentatives de lib�ration unilat�rales�, � savoir l��limination du pass� par l�assimilation totale � l��tranger, dans les ann�es soixante et soixante-dix, d�une part, puis l��limination de l��tranger par l�assimilation totale au pass�, dans les ann�es quatre-vingt-dix, d�autre part. A ses yeux, �ces deux unilat�ralismes ont d�montr� dans la pratique leur caract�re illusoire et fonci�rement inad�quat : on ne sort pas d�une prison en s�enfermant dans une autre�. A bien des �gards, l�exercice post-colonial qui se d�roule encore se trouve r�duit � une vell�it� doublement pervertie : une d�mos an�mi�e, infantilis�e, apr�s avoir �t� hypertrophi�e, d�une part, et un kratos falsifi�, d�autre part. Ce faisant, le syst�me a consacr� une vision totalitaire de la volont� populaire, dilu�e, au gr� des circonstances, de fa�on d�magogique, dans la d�mol�trie (le peuple authentique, r�volutionnaire), la massocratie (la soci�t� des masses populaires) ou encore la d�mophilie (l�amour des pauvres et des d�sh�rit�s, antichambre du populisme). Ces travers sont � l�image des monstruosit�s institutionnelles et politiques qui nous ont p�riodiquement accompagn�s pendant le court laps de temps qui nous s�pare de la d�colonisation formelle. Que vous saupoudriez cela de dix, vingt, cinquante ou cent partis, au demeurant inconsistants parce qu�ils ne seront pas porteurs d�int�r�ts sociaux ou de classes aussi fondamentaux que structurants, ne change rien. A. B. (*) Aziz Krichen, Le syndrome Bourguiba : Repenser la modernit� au Maghreb, Polycom Editions, Col. Maghreb, Alger 1994, pp. 39- 40.