Par Zineddine Sekfali Durant ce mois de mars qui s�ach�ve, on a vu les imams, d�habitude r�serv�s comme il sied aux gens pieux et sages, subitement monter au cr�neau au moins � deux reprises : d�abord pour appeler � l�application du �quissas� et manifester leur opposition � une improbable abolition de la peine de mort, ensuite pour annoncer qu�ils s�organisaient en syndicat des travailleurs salari�s, affili�s � l�UGTA. Le premier fait a, comme par miracle, rel�gu� au second plan les affaires Sonatrach et les scandales de corruption qui secouaient le pays. Le second fait a r�v�l� au grand jour, en m�me temps qu�un d�but de confessionnalisation de l�UGTA, une habile op�ration de recrutement de militants religieux, utiles pour les prochaines �ch�ances �lectorales. Ces deux faits, assur�ment tr�s peu banals, quasi concomitants et apparemment convergents, m�ritent qu�on s�y int�resse. S�agissant de la peine de mort, tout le monde sait qu�elle est inscrite dans notre code p�nal et notre code de justice militaire. Depuis l�ind�pendance, elle a �t� prononc�e maintes fois et plusieurs ex�cutions ont eu lieu. Aujourd�hui encore, elle est parfois requise par les procureurs qui sont plac�s sous l�autorit� hi�rarchique du ministre de la Justice, et il arrive qu�elle soit prononc�e par nos tribunaux criminels. Mais, depuis � peu pr�s une quinzaine d�ann�es, aucune ex�cution n�a eu lieu ni dans les affaires de terrorisme ni dans les affaires de droit commun. Les autorit�s gouvernementales expliquent cela par le fait qu�elles ont adopt� un moratoire sur les ex�cutions capitales, ce qui veut dire qu�elles ont d�cid�, sans toutefois inscrire cela dans un texte l�gislatif ou r�glementaire, de ne plus ex�cuter de condamn� � mort. Mais cette situation est quelque peu kafka�enne. En effet, le pouvoir ex�cutif continue � faire requ�rir la peine de mort par ses procureurs, et quand celle-ci est prononc�e, il en suspend l�ex�cution ! Or, un moratoire est par d�finition provisoire et une suspension sine die s�analyse en un �d�ni de justice �. Il y a donc, dans le moratoire sur la peine de mort, comme une sorte d�impasse dans laquelle l�Etat s�est lui-m�me fourvoy�. Ce qui rend encore la situation plus compliqu�e � r�soudre, c�est que le d�bat sur la peine de mort, jusque-l� limit� � des cercles restreints, a pris une dimension �religieuse�, depuis l�affaire criminelle de la ville Ali Mendjeli, qui a donn� lieu � des mouvements de foules au cours desquels, sous le pr�texte de l�application du �quissas �, on a appel� au lynchage public des deux pr�sum�s coupables. Ce mot �quissas� r�sonne encore � l�int�rieur des mosqu�es o� il est diversement interpr�t� ! C�est devenu un sujet de disputes et de pol�miques dangereuses pour la paix publique qu�il conviendrait de faire cesser au plus vite. Car le �quissas� n�est synonyme ni de lynchage, ni de vengeance, ni m�me d�ex�cution capitale syst�matique et automatique ! Certes, en droit musulman classique, l�homicide volontaire est en principe punissable de mort. Mais cette peine n�est pas ex�cut�e, quand les ayants droit de la victime, c�est-�-dire ses ascendants ou ses descendants ou ses collat�raux, d�cident de pardonner au coupable et acceptent une compensation p�cuniaire. Le texte sacr� de r�f�rence est clair, net et pr�cis sur ce point (Sourate II Verset 178). Ajoutons que le code p�nal actuel punit de mort l�assassinat, c�est-�-dire l�homicide volontaire commis avec guet-apens ou pr�m�ditation, ainsi que le meurtre pr�c�d�, accompagn� ou suivi d�un autre crime, ce qui a priori est le cas dans l�affaire de la ville Ali Mendjeli et point n�est besoin donc d�en appeler � l�application du �quissas � dans cette affaire. C�est du reste ce que je crois avoir compris des propos tenus par cheikh Bouamrane, pr�sident du Haut Conseil islamique, au sujet des lois applicables dans cette affaire, propos que j�approuve et partage enti�rement. Ce qu�il faut par contre r�gler rapidement, c�est la situation de gel auquel a abouti le moratoire sur la peine de mort. Des solutions existeraient. Les condamnations � mort rendues contradictoirement et devenues d�finitives � il ne doit pas en avoir beaucoup � pourraient �tre toutes graci�es. Pour l�avenir, ceux qui militent contre la peine de mort proposent son abolition pure et simple, soit par la loi soit par la Constitution. En v�rit�, il existe bien une autre alternative : elle consisterait � ne pr�voir la peine de mort que pour certains crimes limitativement �num�r�s. On peut par ailleurs �tre plus restrictif en d�cidant que la peine de mort ne peut �tre prononc�e par les juges qu�� l�unanimit�, ou par quatre voix sur cinq, puisque les tribunaux criminels sont form�s de trois magistrats et de deux jur�s. Ainsi, on voit bien qu�il est possible de d�battre de la peine de mort, sans se traiter de m�cr�ants ou d�obscurantistes, et sans brandir ni le Livre Saint ni la D�claration universelle des droits de l�homme ! Cela �tant dit, je pense personnellement qu�une abolition pure et simple de la peine de mort en Alg�rie est impossible en l��tat actuel de l�opinion publique alg�rienne. Il suffirait en plus qu��clate, ce qu�� Dieu ne plaise, une autre affaire du type de celle de la ville Ali Mendjeli, pour que la loi d�abolition qui serait par extraordinaire prise, soit elle-m�me � son tour abrog�e. En tout cas, ma conviction est qu�aucune loi ne peut aller � l�encontre de la volont� populaire et qu�aucun Parlement n�acceptera de se faire hara-kiri en votant une loi rejet�e d�avance par les �lecteurs ! S�agissant � pr�sent de la syndicalisation des imams et des hommes du culte, op�ration r�cemment finalis�e et officiellement annonc�e par la presse, cela est � mon avis la chose la plus �trange qu�on ait jamais vue dans un pays musulman. En effet, on ne conna�t pas d�exemple identique dans aucun autre pays musulman. Une fois encore l�Alg�rie a innov�, mais cette innovation n�est pas tr�s heureuse et laisse perplexe. Notre presse a r�cemment rapport� que pour Bouguerra Soltani, le pr�sident du parti islamiste MSP, cette syndicalisation du corps des imams est tout simplement, je le cite �une h�r�sie�, donc pas seulement une contestable innovation mais franchement �une bida�. D�autres n�y voient qu�une op�ration de r�cup�ration lanc�e par l�UGTA sur les imams qui sont d�efficaces rabatteurs d��lecteurs et d��lectrices d�autant plus qu�ils disposent gratuitement et en exclusivit�, dans plusieurs milliers de mosqu�es, de tribunes d�o� il est possible de passer des messages �lectoraux. Pour d�autres, ce sont les imams qui sont en train d�infiltrer l�UGTA, car la r�cup�ration de cette organisation de masse, toujours proche du pouvoir politique, peut �tre payante pour les partis islamistes ou certains d�entre eux� Pour d�autres, enfin, cette alliance entre le syndicat et le corps religieux n�est qu�un �remake� � l�alg�rienne, des vieux films italiens des ann�es 1950, avec les personnages de Peppone et Don Camillo : on ne peut qu�en rire ! J�avoue que cela a �t� ma premi�re r�action quand j�ai lu la presse qui a annonc� la cr�ation de ce syndicat ! J�ajouterai � ceux qui pourraient faire un parall�le avec des exp�riences occidentales que le seul exemple de syndicat confessionnel que l�on connaisse est la CFTC cr��e en 1919, en France pour contrer l�influence de la CGT qui fut pendant longtemps un syndicat r�volutionnaire et marxiste. La CFTC se revendique encore de la doctrine sociale chr�tienne, d�velopp�e par l�Eglise catholique. Mais � la diff�rence de ce que l�UGTA et les imams sont en train de monter, la CFTC n�a jamais �t� un syndicat de cur�s ni d�hommes du culte ! C�est un syndicat auquel peut adh�rer toute personne, homme ou femme, tout travailleur salari� qui se reconna�t dans les valeurs sociales du christianisme. Or, le syndicat des imams et des gens du culte n�est apparemment ouvert qu�aux hommes du culte, � condition qu�ils soient des salari�s de l�Etat� La cr�ation chez nous d�un syndicat des imams, vue sous cet angle, n�est � mon avis qu�une op�ration politique. Au demeurant, il reste un grand nombre de questions � r�soudre, pour �tre fix� sur les tenants et les aboutissants de cette cr�ation. Parmi ces questions, on citera les suivantes : les int�ress�s auront-ils le droit de faire gr�ve ? Placer des piquets de gr�ve devant les mosqu�es ? Manifester dans les rues ? Tenir des �sit-in� ? S�organiser en sections syndicales ? Poursuivre en justice en tant que syndicat ?, etc. Je terminerai cet article, inspir� directement de deux �gr�nements de l�actualit�, par ces quelques mots : il est imp�rieux et dans l�int�r�t de tous de sortir la religion du champ des conflits politiques et des man�uvres politiciennes.