Par Maâmar FARAH [email protected] Cela fait des années, voire plus d'une décennie que nous appelons de toute la force de nos écrits – hélas, bien loin d'égaler l'image et le son – à une révision des choix économiques majeurs. Ayant découvert les vertus de l'économie de marché sur le tard, les responsables actuels, certainement convaincus de l'inadéquation des choix précédents, avaient pensé qu'un changement à 180 degrés allait nous mener vers le paradis. Au mois de juillet 2008, la sentence est tombée de la bouche du principal responsable de cette mutation, M. Abdelaziz Bouteflika, qui reconnaissait que la politique menée jusque-là ne conduisait pas vers l'éden. Le chef de l'Etat avait prononcé le mot qui aurait dû réveiller tout le monde : ECHEC ! Le capitalisme, sous sa forme connue ces dernières années, est moribond. On a beau dire qu'il s'en sortira plus fort après sa crise actuelle, tout indique que les pays symboles du capitalisme mondial vont plutôt renforcer la présence de l'Etat dans l'activité financière et les rouages économiques. Ce n'est qu'un début. Après la nationalisation en série de certaines banques, on parle carrément de la nationalisation de branches de l'économie en danger de mort. D'une manière générale, l'ère de l'ultralibéralisme est terminée. Les pays qui ont abandonné un certain équilibrage et se sont laissés aller à un système déréglé, basé sur le seul profit, ont été les plus touchés par la crise. Il n'est pas surprenant que les premières secousses de ce séisme soient parties d'un secteur entièrement régi par la spéculation : l'immobilier. Les déséquilibres qui ont lézardé par la suite le mur du capitalisme financier ont montré que l'on venait d'atteindre les limites du système tout entier. Quand une minorité contrôle et l'argent et le pouvoir, ses réflexes de classe l'emportent sur tout le reste. Sa voracité devient telle qu'elle oublie même les règles premières du capitalisme ! La mondialisation va lui ouvrir des perspectives dont elle ne rêvait même pas. En s'installant dans des pays où les bas salaires des ouvriers leur permettent d'augmenter substantiellement leurs bénéfices, les multinationales vont réaliser une opération doublement rentable puisqu'elle leur permet également de «casser» les classes ouvrières des grandes nations capitalistes. A ce titre, les délocalisations sont le visage le plus hideux de la mondialisation. Nos pays sont tombés dans le piège : on leur a fait comprendre que c'était la seule voie possible pour se développer. Investissement étranger ! Le mot est lâché ! Qu'apporte réellement ce type d'investissement à nos pays ? Je viens de lire qu'une société avait planifié de réaliser chez nous une production dont elle allait exporter les 95%. Visiblement, ce qui intéresse cette société est le bas prix de notre main d'œuvre. Revoilà le temps de l'esclavage ! Et quand nous soulevons ces problèmes, on nous répond que les pays voisins se sont bien débrouillés avec cette politique. Je regrette, mais nos ambitions pour l'Algérie sont tout autres : la grande manne financière, les richesses de notre sous-sol (hydrocarbures et minerais de toutes sortes, à forte teneur de matières premières comme le fer, le phosphate, le zinc, le plomb, le manganèse, le mercure et même l'or et l'uranium !), la grande variété et l'étendue de nos terres, l'énorme capacité industrielle héritée des années soixante-dix et le formidable potentiel humain formé au forceps par la démocratisation de l'enseignement font que ce pays peut devenir un nouveau Canada ou une nouvelle Australie ! Pour y arriver, il suffit simplement de voir grand et d'abandonner les solutions qui nous sont proposées par ceux-là mêmes qui veulent nous maintenir dans l'état où nous sommes, c'est-à-dire dépendants d'eux pour nous nourrir et nous équiper. Il est possible de corriger le tir. Imaginons que nos décideurs aient choisi une autre voie. Imaginons que le même effort consenti pour les routes, l'eau et l'habitat au cours des dix dernières années ait été fourni pour moderniser le tissu industriel existant et bâtir une forte industrie nationale indépendante ! Imaginons que les maffias de l'importation qui ont mené notre pays à une dépendance totale vis-à-vis de l'étranger n'aient pas réussi à tuer dans l'œuf toute tentative de produire ici et en quantités suffisantes nos pommes de terre, notre viande, notre lait, nos médicaments, nos équipements industriels ! Avec ces centaines de milliards de dollars disponibles, nous aurions pu développer toutes les activités industrielles en maintenant la mainmise de l'Etat sur les secteurs stratégiques. Une question à deux sous : que se serait-il passé si Sonatrach avait été privatisée et si le FLN de M. Ali Benflis n'avait pas bloqué le projet ? Et dire que nous aurions pu sauver notre industrie mécanique en agissant de la même manière, en maintenant la présence de l'Etat et en finançant la modernisation des installations. Nous aurions pu sauver l'industrie textile intégrée des années soixante-dix (du mouton au prêt-à-porter) ou celle du cuir. Nous aurions pu construire avec notre propre argent le complexe sidérurgique prévu à Bellara qui devait fournir l'acier spécial nécessaire à notre industrie aéronautique en préparation ! Quand nous regardons en arrière, ce n'est pas simplement pour faire refleurir des sentiments, c'est aussi parce que nous croyons sincèrement que les choix économiques de l'époque étaient les bons. J'entends des amis me dire : oui, mais maintenant tu as le choix entre plusieurs marques de beurre, sans compter tous ces produits qui inondent le marché et dont nous rêvions ! A l'époque, il est vrai que l'on ne trouvait pas tous les biscuits, jus, fromages qui nous inondent aujourd'hui et les voitures n'étaient pas dans les vitrines. L'Algérie ne le faisait pas parce que nos ressources en devises étaient encore faibles et qu'il fallait les utiliser avec parcimonie pour bâtir un minimum d'infrastructures. Mais la plus grande partie de ces ressources fut consacrée à la création d'une base industrielle d'une importance telle que notre pays fut baptisé le «Japon de l'Afrique». Cette industrie visait à transformer sur place nos richesses naturelles, ces matières premières que la colonisation destinait aux usines de la Métropole. Partout, grâce à un programme ambitieux de construction d'unités clés en main, s'élevèrent des forteresses industrielles qui ont été détruites l'une après l'autre par la politique de privatisation. Des vautours ont profité de l'aubaine pour racheter ces usines à des prix dérisoires. Leur objectif : récupérer l'assiette foncière qui sera négociée cent fois le prix d'achat ! Il est toujours facile d'importer tout ce que l'on veut quand on a de l'argent. Lorsque nous achetons des produits importés dans ces supermarchés bariolés de couleurs et de marques, quel est le mérite de ceux qui dirigent notre économie ? L'Algérie se trouve à la croisée des chemins. Il n'est plus possible de continuer le bricolage actuel au niveau économique. Lorsque l'Allemagne libérale veut nationaliser Opel pour la sauver et maintenir cette marque sur le marché mondial et lorsque la France investit de grosses sommes dans l'industrie automobile et se dit prête à en faire autant dans n'importe quel secteur stratégique en péril, nous ne comprenons pas les réticences de l'Etat algérien à sauver des complexes comme ceux du téléphone ou de la soie à Tlemcen ! La nouvelle vision, plus «patriotique», perceptible dans le travail de M. Rahmani, nouveau ministre de l'Industrie, est-elle temporaire ou prélude-t-elle à une réelle remise en marche de la machine industrielle nationale ?