[email protected] Zohra est recroquevillée à même le sol dans un coin de sa chambre. Elle a les mains serrées sur ses oreilles. Mourad, son cadet de cinq ans, hurle, postillonne, s'époumone, le visage rouge : - Tu as vu l'heure qu'il est ? 18h : c'est maintenant que tu rentres ? Il joint le geste à la parole, et de toutes ses forces, tel un chien déchaîné, la gifle. Zohra pousse un cri, met sa main sur sa joue et ne prononce pas un mot. Du revers de sa manche, elle essuie ses larmes. - Parle, dis, que faisais-tu dehors ? Sa mère, apeurée, tente d'ouvrir la porte, mais elle est fermée à double tour. Ses deux sœurs, tétanisées, se cachent dans le débarras. Mourad, fou furieux, revient à la charge. Il l'attrape par les cheveux et la traîne au milieu de la pièce en la secouant. Il lui assène plusieurs coups à l'abdomen. - Réponds-moi, où étais-tu ? Elle se tient le ventre, meurtrie par la douleur et lui lance : - Tu oublies que je travaille, que je quitte à 17h et que je prends le bus ? Puis s'affale, ferme les yeux et ne bouge plus. Son visage livide est tuméfié, ses lèvres virent au violet. Mourad la regarde, indifférent, ouvre la porte et appelle sa mère. - Viens voir ta fille, comme d'habitude, elle joue la comédie. Il sort de la maison en claquant la porte. La mère, affolée, frappe de ses mains sa poitrine et crie en voyant sa fille inerte. Elle appelle ses filles : - Vite ! apportez de l'eau, du parfum... Elles essayent de la ranimer, mais Zohra, plus pâle que jamais, ne réagit pas. - Réveille-toi ! réveille-toi ! Je t'ai dit plusieurs fois de ne pas rentrer si tard. Mais tu n'en fais qu'à ta tête. On dirait que les coups ne te font plus rien. Maintenant, tu nous as mises dans de beaux draps. Zohra revient à elle, ouvre ses paupières. «Dieu soit loué, notre sœur est vivante.» La mère prend son air le plus dur et lui dit : - A partir de demain, je viendrai moi-même te chercher. Zohra se redresse et lui répond : - Je ne vais plus jamais travailler. - Mais tu es folle, tu veux que ton frère te tues ? Qui va nous nourrir ? qui va lui donner son argent de poche ? - J'ai décidé de ne plus faire le ménage chez les gens. Je me marierai avec le premier venu. Si Zohra a eu la chance de s'en sortir, Nadia, elle, est passée à trépas. Un jour, alors qu'elle allaitait son bébé de deux mois, sa belle-mère l'exhorte de débarrasser la table d'abord. Nadia, de son air le plus soumis, lui répond qu'elle le fera dès que bébé aura terminé sa tétée. La belle-mère sort de ses gonds et appelle son fils qui était tranquillement lové sur le divan en train de regarder son match de foot. Furieux d'être dérangé, il se lève, et sans chercher à comprendre, arrache l'enfant des bras de sa mère et comme un lion saute sur sa proie, lui assénant de violents coups de pied sur le visage et tout le corps. Ses hurlements, son appel au secours n'ont pas ébranlé la belle-mère qui, derrière la porte, encourageait son fils. - Encore, ça lui apprendra à me désobéir. Le beau-père, quant à lui, sera défendu par son épouse d'intervenir. Le fils, une fois sa salle besogne accomplie, rabat ses manches, ajuste son pull, puis retourne à son écran. - Mère, prépare-moi un bon café. - Bien sûr, mon fils, tout de suite. Personne n'entendra les gémissements de Nadia, qui rendait son dernier souffle. Ce sont les cris du nourrisson qui attireront la maisonnée. Dans la chambre, les bourreaux découvriront leur proie sans vie, les yeux ouverts.