Le projet de complexes de production d'engrais phosphaté et azoté de Souk-Ahras et de Annaba n'avance pratiquement pas à cause d'une guerre larvée entre les groupes algériens Asmidal et Ferphos. Qatar Petroleum International, leur partenaire, pourrait revoir son engagement en Algérie et investir au Congo ou en Tunisie. Tarek Hafid - Alger (Le Soir) Fraîchement nommé au département de l'industrie et des mines, Abdesselem Bouchouareb va devoir calmer au plus vite les tensions qui opposent le groupe Ferphos à son allié Asmidal. C'est l'avenir du partenariat stratégique avec le partenaire Qatar Petroleum International, et donc du méga-projet intégré de production d'engrais, qui est en jeu. En prenant la tête de ce ministère, Bouchouareb hérite donc d'un dossier économique et politique aussi lourd que sensible. Avec le complexe sidérurgique de Bellara, les projets de production d'engrais de Oued Keberitt et de Hadjar Essoud symbolisent la relation entre les deux pays. Au plus haut niveau. Mais voilà, une véritable guerre de leadership semble bloquer l'avancement de la réalisation de deux complexes de production. Pour bien comprendre la nature de ce conflit, il faut revenir sur cette ressource stratégique qu'est le phosphate. Echecs Le potentiel du sous-sol algérien est estimé à 2 milliards de tonnes, ce qui fait de notre pays une des principales réserves mondiales de phosphate dans le monde. Mais voilà, en plus de n'extraire qu'un petit million de tonnes par an, l'Algérie est le seul pays à ne pas transformer son phosphate en engrais. A titre indicatif, la tonne de phosphate brut s'échange à 130 dollars tandis qu'alors la tonne de phosphate diammonique (DAP) s'élève à plus de 400 dollars. Et avec le développement de l'agriculture mondiale, les prix ne cesseront d'augmenter. Résultat : une perte sèche estimée annuellement à plusieurs centaines de millions de dollars pour l'économie algérienne. Au sein de la direction de Ferphos, la nécessité de développer l'industrie d'engrais phosphatés s'est imposée vers la fin des années 1990. Plusieurs projets ont été initiés en partenariat avec des opérateurs étrangers : avec l'espagnol Fertiberia à Mermouthia, dans le sud de la wilaya de Tébessa, puis avec le pakistanais Engro Chemical pour deux projets à Jijel et à Bouchegouf. Mais Ferphos a toujours essuyé des échecs. Au ministère de l'Energie — département qui gérait le secteur des mines avant son passage à celui de l'industrie — certains cadres estiment que Ferphos porte l'entière responsabilité de ces revers. C'est le cas notamment de la réalisation du complexe de Bouchegouf qui a été abandonné par le groupe Engro Chemical of Pakistan à cause des retards provoqués par le partenaire algérien. Atermoiements Pour le méga-projet avec le qatari QPI, les autorités algériennes ont donc décidé de reprendre les choses en main. «Lors du montage du dossier de partenariat, il a été décidé de confier le statut de chef de file du consortium à Asmidal. Plusieurs raisons ont pesé dans ce choix. La première étant la nature même du projet qui relève de l'industrie chimique, cœur de métier de cette entreprise. Asmidal a également joui de la notoriété du groupe Sonatrach dont elle est la filiale. Enfin, elle a profité des erreurs passées de Ferphos pour s'imposer», explique un responsable du ministère de l'Energie qui a longtemps suivi le dossier du phosphate algérien. Au sein du consortium, Asmidal possède 26% du capital, Ferphos 25% et Qatar Petroleum International 49%. Mais être relégué au rang de simple extracteur de phosphate semble gêner les responsables de Ferphos et de Manal, groupe auquel appartient l'entreprise. «Ces derniers temps, de vives tensions opposent les cadres des deux partenaires algériens. Cette guerre de leadership a déjà provoqué un blocage des premières phases du projet. Ainsi, Ferphos n'a toujours pas payé sa quotepart pour la réalisation de l'étude préliminaire qui a été confiée à un laboratoire européen. On fait également état d'un retard dans l'envoi des échantillons de phosphate pour l'obtention de la licence de production de DAP», indique notre source en précisant que la réalisation du complexe de Oued-Kebaritt risque de tarder. De leur côté, Asmidal et Qatar Petroleum International avancent à bonne cadence pour la réalisation du complexe d'acide phosphorique de Hadjar Essoud. Les études sont actuellement en cours de finalisation. Mais il semble que la situation pourrait s'aggraver pour Ferphos. En effet, pour les besoins de ce partenariat, l'entreprise s'est engagée à produire plus de 6 millions de tonnes de phosphate par an. Actuellement, la mine de Djebel Onk ne produit qu'un million de tonnes. Pour atteindre la quantité prévue, Ferphos doit développer la nouvelle mine de Bled El Hedba. Sauf que l'entrée en exploitation de ce site nécessite au moins quatre années. Et à ce rythme, il n'est pas certain que Ferphos soit prête à l'horizon 2017. «Une lourde responsabilité pèse sur le directoire de l'entreprise et du groupe Manal. Que fera le consortium lorsque toutes les unités de production seront prêtes mais qu'il sera face à l'absence de matière première ? Ira-t-on vers l'importation de phosphate tunisien ? Ce serait le comble», assure le cadre du ministère de l'Energie. Les Qataris semblent avoir pris conscience de cette situation et du danger d'un échec en Algérie. Dans le milieu très spécialisé de l'industrie des engrais on annonce l'intérêt de Qatar Petroleum International pour des investissements en République du Congo, au Togo mais aussi en Tunisie. On évoque surtout un regain d'intérêt du groupe qatari pour le gisement de phosphate de Sra Ouartane, en Tunisie. En attendant que l'Algérie lance sa première unité de DAP d'engrais phosphatés, le Maroc, leader en la matière, s'apprête à acquérir une douzaine de nouveaux complexes...