Envoyé spécial Ammar Belhimer Le général de corps d'armée Mahmoud al-Shawa a tout d'un «bon père de famille» : affable, peu bavard, attentif, posé, le regard profond. Il compte de nombreux amis algériens qui ont partagé avec lui les bancs des académies militaires soviétiques ou encore celle de Damas. De général-major directeur de l'administration ayant en charge les officiers supérieurs, il est promu général de corps d'armée, adjoint-chef d'état-major en janvier 2012. Aujourd'hui, il est un pilier de l'appareil militaire. Au cœur de l'arabité Mahmoud al-Shawa a très tôt soutenu le peuple algérien dans sa lutte contre le colonialisme. Ainsi, rappelle-t-il ses engagements dans des campagnes de solidarité avec l'Algérie en guerre contre le colonialisme ou encore sa première rencontre avec Djamila Bouhired à Alep alors qu'il n'avait que 10 ans. Il se félicite que, des décennies plus tard, les relations entre les deux pays restent toujours «excellentes» et ne souffrent aucun différend. Il développe une vision ouverte du patriotisme : «La Syrie est le pays de tous les Arabes, le cœur de l'arabité. Nous n'instaurerons jamais de visa, quelle que soit la situation. Le sentiment national est également très fort en Algérie qui a toujours été à nos côtés au sein de la Ligue arabe, même si, déplore-t-il, cette instance divise plus qu'elle ne rassemble.» Il garde en mémoire la menace du Qatar envers l'Algérie : «Ce qui se passe en Syrie viendra à vous !» Dans son action de tous les jours, il affronte des mercenaires venus de 87 pays. Quel crime a commis la Syrie pour subir un tel assaut de professionnels du crime recrutés sur fonds saoudo-qataris et équipés par les Etats-Unis, la France et d'autres démembrements du complexe militaro-industriel états-unien ? Mahmoud al-Shawa apporte un éclairage particulier sur ce qui se trame contre le monde «arabo-musulman» que l'islamisme radical contient hors de toute ambition de modernité et de transition démocratique : «Nous vivions dans la paix et la sécurité. Hommes et femmes circulaient librement, de jour comme de nuit, sans s'exposer au moindre vol ou agression lorsqu'intervient le pseudo-"printemps arabe". Au début, l'Etat accède à toutes les doléances de la feuille de route : les élections, le multipartisme, etc., mais le but inavoué n'était pas l'instauration de la démocratie : la supervision des élections par l'Occident doit nécessairement installer des islamistes au pouvoir, faute de quoi elles ne seraient pas démocratiques.» L'escalade Faute de parvenir à leur fin par la voie des urnes, les «amis du peuple syrien» passent «un cran au-dessus». Des manifestations sont suscitées et des billets de 20, 50 ou 100 livres sont distribués à des jeunes chargés de crier «liberté», avant que n'interviennent des hommes armés qui tirent sur les manifestants, assassinent et imputent leurs crimes au régime, alors que tous savent que les éléments des forces de l'ordre avaient été désarmés afin de lever toute équivoque. Le complot prend graduellement forme : aux manifestations clamant des slogans de «liberté» et de «pluralisme» succède la revendication de la chute du régime, puis celle du départ de Bachar El Assad, avant que n'apparaissent les autres «monstruosités des palaces» mises au point par les «amis du peuple syrien» : «Au début, c'était l'Armée libre, puis apparurent le Front islamique, Al-Nosra, Daesh et, très récemment, l'opposition modérée. Le même Daesh était résistant en Syrie et terroriste en Irak.» Ankara qui parraine la plupart des groupes armés ne sait plus sur quel pied danser. Elle a, en quelques mois, installé une guerre civile en espérant une chute rapide du régime de Damas après avoir rompu avec lui pendant l'été 2011. Depuis la mi-2012, sa frontière avec la Syrie est devenue la base arrière de toutes les oppositions dites «syriennes». Celles-ci sont en perpétuelle mutation : en 2013, les mouvements islamistes les plus radicaux ont largement marginalisé les autres forces dites «modérées», notamment l'Armée libre syrienne (ASL). Plus récemment, le gouvernement turc a conditionné sa participation à la coalition contre Daesh à une intervention dirigée aussi contre le régime de Bachar Al-Assad – il est surtout préoccupé par l'idée de sécuriser les positions de l'ASL dans le nord de la Syrie. Aujourd'hui, Daesh, ce sont «30 000 hommes soutenus par 40 pays associés à des frappes aériennes : "La raison peut-être d'admettre une telle mise en scène ?"» Pour Mahmoud al-Shawa, tous les chemins du complot ourdi contre la Syrie mènent la feuille de route tracée par Condoleeza Rice, avec ses trois conditions : primo, la normalisation des relations avec Israël au détriment de la question palestinienne ; secundo, la rupture avec l'Iran ; tertio, l'isolement du Hezbollah libanais. Condoleeza Rice exigea enfin l'expulsion de Khaled Mechaâl, le chef du Hamas palestinien, et l'arrêt des aides militaires aux Palestiniens. Mechaâl a tourné le dos à Damas, s'est rangé avec le Qatar et ses gardes du corps ont constitué un groupe armé dit Aknaf Beit Almaqdas non pour combattre Israël mais les Syriens. Damas paiera le prix en subissant l'assaut de milliers de «takfiristes» tunisiens, égyptiens, marocains, tchétchènes, anglais, fortement armés et payés : «Les prisons jordaniennes et saoudiennes ont été vidées pour nourrir en chair à canon les groupes qui nous agressent. Ils détruisent nos infrastructures, nos mosquées, nos églises, nos écoles, nos voies ferrées, nos stations électriques. Ils assassinent, enlèvent des gens, fomentent des attentats, coupent des têtes et jouent au football avec. 31 enfants de 6 à 11 ans ont été égorgés. En quoi ces actions participent-elles à la réforme de quoi que ce soit ?» Le fil conducteur Les commanditaires des groupes de mercenaires opérant en Syrie usent de tous les subterfuges pour occulter et rendre peu visibles leurs plans : «Ils prétendaient, il y a peu, que Daesh était notre création. Ils créent le terrorisme et prétendent le combattre. C'est grotesque. Sur les 3 000 juifs qui travaillaient habituellement dans les tours du World Trade Center, aucun ne se trouvait curieusement le jour des attentats, le 11 septembre.» Pour le général de corps d'armée, il y a un fil conducteur, forcément relié à Israël, qu'il ne faut pas perdre de vue : «L'Algérie avait été visée dans les années 1990 pour empêcher son passage d'une économie en développement à un pays émergent. On observe également que tous les conflits internes ont été fomentés dans le sillage de la guerre d'Octobre 1973 et visent en premier lieu les pays de la ligne de front antisioniste.» L'égypte a abdiqué aux accords du kilomètre 101 en normalisant ses relations avec Israël alors que la Syrie s'est toujours refusé à lui emboîter le pas : «Nous nous sommes opposés à la partition du Liban. Les Américains ont quitté honteusement l'Irak. Or, qui a aidé la résistance irakienne ? La Syrie. Qui a aidé la résistance libanaise à chasser Tsahal hors du Liban en 2000 ? La Syrie.» Sur l'avenir de la résistance, notre interlocuteur reste confiant pour peu que les amis de la Syrie «rapportent ses positions officielles constantes, rendent compte objectivement de la réalité et soulignent les initiatives populaires». Le tournant de guerre imposée au peuple syrien est l'assaut contre la ville de Qoussair le 19 mai 2013. Bastion de la rébellion pendant plus d'un an (la ville avait été occupée en 2012 par la brigade Omar al-Farouq, de l'Armée syrienne libre, repliée de Homs, soutenue par Fatah al-Islam) la ville est stratégique, car elle est située dans la province centrale de Homs et sur l'axe reliant la capitale Damas au littoral. Sa libération permet de sécuriser cet axe et de couper l'approvisionnement des terroristes combattant à Homs. Depuis cette date, les experts occidentaux sont unanimes à reconnaître que l'Etat syrien a étendu son emprise sur de vastes zones, et que le gouvernement contrôlerait désormais 80% du territoire et toutes les grandes villes et la campagne environnante. Les affrontements avec les groupes terroristes se concentrent dans la bande frontalière proche de la Turquie, dans les provinces d'Idleb et d'Alep et certains bastions limitrophes du Liban, dans la campagne de Damas et de Homs. L'Etat est également un fervent défenseur «d'un dialogue syro-syrien, ouvert à tous mais sans ingérence étrangère».