[email protected] Puisqu'il n'y a plus de «printemps arabe», en dépit de la saison, pourrait-on alors taxer de «miracle arabe» cette levée de boucliers sunnites contre l'Iran chiite? Peut-être faudrait-il parler plutôt de «miracle iranien», car ce que réalise Téhéran ces derniers jours est quasiment miraculeux. Depuis Saladin, on n'avait pas vu cela : réunir autant de capitales, coaliser autant d'armées arabes, mettre en attente la Palestine, pour libérer le Yémen, si ce n'est pas un miracle, ça pourrait être son frère. Et pour porter ce miracle sur les fonts baptismaux, quoi de plus valorisant que la bénédiction d'Israël ? Le Raminagrobis du Moyen-Orient a de quoi se pourlécher les babines, en effet, car il ne s'agit plus de libérer Al-Quds, mais d'empêcher les Iraniens, ou les chiites, de lorgner de trop près vers les Lieux Saints. Yasser Arafat rêvait jadis d'aller prier à Al-Quds, il s'agit désormais de faire barrage à ces chiites qui ambitionnent de faire le pèlerinage à La Mecque, mais en conquérants. Oubliée la ville sainte, priorité aux Lieux Saints et à la défense de l'Islam wahhabite contre l'intégrisme chiite, véhiculé par un nationalisme persan, vindicatif et revanchard. Toutefois, l'Iran ne semble pas s'émouvoir outre mesure de ces cris de guerre qui se perdent dans les vallons escarpés du Yémen, après un transit sur les chaînes satellitaires à la botte. Les mollahs et les Iraniens, abusés, ne pensent qu'à célébrer un accord sur le nucléaire, vu comme un triomphe. Apparemment, l'hostilité aux Etats-Unis et l'intransigeance paient puisqu'à la déception et aux menaces d'Israël, font écho les réprobations feutrées des membres de l'alliance militaire sunnite. Cependant, des voix égyptiennes s'élèvent, avec plus de force, pour critiquer cette politique, au point de susciter, au niveau des médias, une polémique qui ne semble pas près de s'éteindre. Ainsi, l'un des éditorialistes du quotidien Al-Misri al-youm, Ala Al-Dib, a lancé hier cet appel pathétique : «N'allez pas là-bas, je vous en prie !» Et il explique qu'en faisant valoir le devoir de solidarité de leur pays avec le Yémen, comme en 1962, les responsables égyptiens ne vont pas au secours du peuple yéménite. Ils s'engagent plutôt aux côtés d'une faction, d'une alliance de circonstance, entre les Houthistes et la tribu de l'ancien président Abdallah Saleh. Notre confrère dénonce ce duo formé par une faction zaydite, conduite par un imam intégriste, et un clan tribal. Le chef de ce clan, Abdallah Saleh, a dirigé le pays durant trente-trois ans, plus que Moubarak en Egypte, et il devrait être tenu pour responsable de la situation actuelle. Quant aux Houthistes qui se réclament du zaydisme, ils sont en réalité des Djaroudistes, des adeptes de l'imam Abou Djaroud, du Khorasan, souligne Ala Al-Dib. Ils sont différents des chiites iraniens, en dépit de leur entraide et de la convergence d'intérêts, et ils ont les mêmes slogans, avec plus de dureté : «Allah Akbar, mort à l'Amérique et à Israël, maudits soient les juifs.» Tout le monde doit déclamer ces slogans à haute voix, dans les mosquées et les places publiques, et ceux qui ne les entonnent pas avec assez de vigueur sont châtiés. Ils se déplacent dans des véhicules américains, ont des armes américaines, et ils ont soutenu la révolution populaire, avec les mêmes calculs que les Frères musulmans en Egypte. Ibrahim Aïssa, le célèbre chroniqueur de l'ONTV, n'est pas du même avis, en ce qui concerne les Houthistes. Il affirme que ces derniers ne sont pas des terroristes, alors que la majorité de ceux qui se font exploser en Irak et en Syrie sont des Saoudiens. Même Al-Azhar est noyautée par le wahhabisme, et il n'y a plus aucun espoir de rémission. D'ailleurs, ajoute-t-il, les bombardements saoudiens ne visent pas des bases terroristes, mais les aéroports et les infrastructures du pays. Quant aux Houthistes, ils font partie du peuple yéménite, dit-il, et les attaques de la coalition profitent surtout aux Frères musulmans. «Je ne comprends pas que les Saoudiens soient hostiles à ce mouvement en Egypte, et qu'ils s'allient aux Frères musulmans du Yémen contre les chiites», a-t-il ajouté. Toutefois, on peut relever dans les attaques d'Ibrahim Aïssa contre l'Arabie Saoudite une critique indirecte de l'engagement de l'Egypte aux côtés de l'Arabie Saoudite, et des déclarations belliqueuses de Sissi. Ce dernier a multiplié, en effet, durant ces derniers jours, les gestes de solidarité avec Riyad, pour ne pas paraître ingrat. Cependant, ses compatriotes craignent qu'il ne se laisse tenter par une nouvelle aventure au Yémen, qui serait encore plus désastreuse que celle entreprise par Nasser, dans un contexte moins favorable. Sans attaquer frontalement le pouvoir, un autre chroniqueur de l'ONTV, Youssef Al-Husseini, a tourné en dérision l'appellation de «Tempête de la fermeté», qui ressemblerait, pour l'heure, à une tempête dans un verre d'eau. Il a mis en doute le professionnalisme de ses confrères saoudiens qui avaient accusé la presse égyptienne d'être subordonnée au pouvoir. Le journaliste, un tantinet méprisant et hautain, a ainsi répliqué aux attaques des journalistes saoudiens contre son collègue, Ibrahim Aïssa, cible régulière des cheikhs wahhabites. Le propriétaire et éditorialiste unique de la chaîne Al-Faraeen s'est mis aussi de la partie, en brodant sur le même thème de la tempête et tournant en dérision les maigres résultats obtenus. Relevons, enfin, les propos désabusés de l'islamiste Tarek Ezzamr, l'un des instigateurs de l'assassinat du Président égyptien, Sadate, et dirigeant du parti Edification et développement. Emprisonné jusqu'en 2011, et ayant officiellement renoncé à la violence, Tarek Ezzamr a suggéré de changer de slogan et de crier «mort à l'Amérique» durant les trente prochaines années. Autrement dit, de se comporter comme l'Iran : «Ainsi, au bout de cette période de trente ans, nous verrons pousser de l'uranium enrichi sur la terre d'Egypte», a-t-il prédit. A. H. http://ahmedhalli.blogspot.com/