Tout acheter et ne rien manger. Tel semble le credo ramadhanesque de Noureddine. Et ça fait un quart de siècle que ça dure. Du moins depuis qu'il a perçu son premier salaire. Optimiste qu'elle l'est, sa maman a cru qu'avec l'âge, il va s'assagir. Rien n'y fait. Même sa femme, réputée avare et adepte de la thésaurisation, n'a pu le dissuader de faire trop de dépenses inutiles. Deux heures en moyenne avant la rupture, haro sur tout ce qui est mangeable. Ne faisant pas trop dans la recherche sélective respectueuse du rapport qualité/prix, Noureddine achète tout ce qui lui tombe «sous les yeux». Toutes les boissons que l'être humain peut consommer en une semaine sont soigneusement superposées dans son couffin, dans la perspective de les siffler en une veillée. Martinazi, N'gaous, Coca-Cola, Sélecto, jus, eau gazeuse... Et la liste est longue. En jetant un coup d'œil sur le siège arrière de son véhicule, on peut trouver pizzas, kalbelouz, pain, galette, mille-feuilles entassés héroïquement dans une aura d'odeurs appétissantes. Noureddine est très content de s'être ruiné pour son épouse et ses trois enfants. En rentrant à la maison, c'est le moment, récurrent depuis une quinzaine d'années, de subir les remontrances de sa femme, liées aux impératifs d'austérité. Imperturbable, l'acheteur de tout se met au lit, attendant l'adhan. Et voici le moment venu, pour paraphraser Jacques Brel, pour que les produits achetés ne soient pas... consommés ! Quelques minutes après el adhan, un tour de table vous permettra de relever que les produits précités n'ont pas bougé. Noureddine et sa famille n'en ont mangé que le un dixième ! La leçon ne sera pas apprise de sitôt : la même méthode est reconduite jusqu'à l'Aïd-el-Fitr, faisant le bonheur des commerçants et celui des envies immodérées et non satisfaites de Noureddine.