Le projet de loi de finances pour 2016 prévoit que les étrangers devront déclarer leurs avoirs supérieurs à 1000 euros et effectuer leur change au niveau des banques. Cette mesure est-elle pertinente, opérante ? Cherif Bennaceur - Alger (Le Soir) - Adopté par l'Assemblée populaire nationale (APN) et en attente d'être validé par le Conseil de la nation, le projet de loi de finances pour 2016 comporte une disposition qui concernera les étrangers. Dès la signature de la loi et son entrée en vigueur, les étrangers seront tenus de déclarer à l'entrée du territoire national leurs avoirs en devises. Ces étrangers devront effectuer le change d'une partie au moins de cet argent déclaré auprès des banques agréées, au taux de change officiel. En effet, la disposition, en fait l'article 75 bis, oblige tout étranger «à la sortie du territoire douanier national à présenter un relevé bancaire prouvant qu'il avait effectué le change d'une partie de l'argent déclaré à l'entrée du territoire national dans un circuit légal de change». Cette disposition légale devra s'appliquer sur les montants de 1 000 euros et plus. Les émigrés ne sont pas concernés Une obligation qui concernera, ce faisant, les étrangers et non les membres de la communauté nationale établie à l'étranger. En effet, une interprétation fausse, involontaire ou malintentionnée de la disposition a induit l'opinion publique en erreur, voire a suscité la polémique au niveau de cette communauté. Des Algériens résidant à l'étranger, notamment en France, ont cru qu'elle s'appliquait à eux, d'autant qu'une disposition en ce sens avait été incluse dans le projet. Ainsi, certains Algériens émigrés ont considéré cette disposition comme inappropriée, car n'encourageant pas leurs déplacements dans leurs pays d'origine et risquant de limiter leur revenus. Or, cette obligation ne concernera que les étrangers et ne s'appliquera pas aux Algériens résidents. En effet, la disposition relative aux membres de la communauté établie à l'étranger a été modifiée par la suite pour les exclure de l'obligation. Une mesure opportune... Cela étant, cette mesure est-elle pertinente ? Cette disposition est «opportune», «tout-à-fait normale» selon l'analyste financier et économiste Ferhat Aït-Ali qui rappelle que cette obligation est en vigueur dans plusieurs pays dans le monde. Selon cet analyste, contacté, une telle obligation qui prévalait voilà quelques années avant d'être levée aurait pu être réinstaurée durant les dernières années, lorsque la situation financière était meilleure que celle prévalant actuellement. L'institution d'une telle obligation aurait relevé alors d'une décision de souveraineté, observera Ferhat Aït-Ali, et non d'une quelconque quête de palliatifs financiers et économiques, de «repêchage» comme il pourrait être supputé. Néanmoins, la disposition est assez «opérante» même si cet analyste observe que sa mise en œuvre ne devrait pas avoir un impact significatif sur la balance des paiements, le niveau des revenus financiers. Certes tenus de déclarer leurs devises et d'effectuer le change au niveau du circuit légal, les étrangers ne devraient toutefois contribuer financièrement qu'à hauteur de quelques millions d'euros. Quid de l'impact sur le marché parallèle ? Tenus de procéder au change au taux officiel, les détenteurs de devises pourraient être tentés de recourir au marché informel de la devise. Ce sont deux contextes indépendants, relève cependant cet analyste qui rappelle que le marché parallèle est alimenté principalement par les pensions de retraite des émigrés, les surfacturations, l'évasion fiscale et autres infractions à la réglementation. Et dans la mesure où les Algériens résidents et non résidents ne sont pas concernés et que les émigrés ainsi que les pensionnés règlent leurs transactions d'une autre façon, l'impact sur le marché informel s'avèrerait donc assez limité. Mais qui sont justement les étrangers concernés ? A ce propos, Ferhat Aït-Ali observe que cette mesure ne concernera en fin de compte que les étrangers en déplacement en Algérie pour raisons d'«affaires». En effet, le nombre de touristes étrangers qui fréquentent la destination Algérie s'avère assez limité, même si certaines régions du pays dont le Sahara sont attractives. Mais sans effet... Divergeant d'avis, un autre expert financier et bancaire, Mohamed Ghernaout, — également contacté — considère que cette disposition n'est pas pertinente. C'est une mesure «inopérante», «sans effet», considérera-t-il. Certes, l'obligation s'imposera pour les personnes étrangères en déplacement temporaire, notamment les hommes d'affaires comme le constatera également cet analyste. A charge cependant que les concernés déclarent leurs avoirs et aient des velléités à recourir au change officiel. Ce qui reste incertain comme le considérera l'expert Ghernaout. Mais déclare-t-on réellement ?, s'interrogera-t-il, estimant que la réponse est loin d'être affirmative. Ceci au-delà de la question du taux de change parallèle. Notons, ce faisant, que les étrangers dont la durée de séjour sera plus longue seront tenus de se conformer aux obligations de la réglementation en matière fiscale, parafiscale et des changes, lorsqu'il s'agit notamment de la réalisation de prestations et travaux contractuels. Une disposition à la limite de la légalité ? Mais au-delà de son opérance, cette disposition «est à la limite de la légalité», considère Mohamed Ghernaout. Dans la mesure où la législation algérienne, l'Etat algérien ne reconnaît pas officiellement l'existence du marché parallèle de la devise, l'institution d'une telle obligation s'avère paradoxalement contradictoire. «C'est comme si on reconnaissait l'existence de ce marché informel», observera cet analyste. En invitant les étrangers à effectuer le change au niveau du circuit légal, les promoteurs de l'article 75 bis invitent indirectement et sciemment les concernés à recourir à l'informel, pourrait-on en effet, conclure. Une telle mesure ne serait alors qu'une estocade, un coup d'épée dans l'eau, semble considérer Mohamed Ghernaout qui estimera davantage opportun d' «appliquer» la réglementation déjà en vigueur. D'autres questions se posent Outre la question du respect de la liberté de tout un chacun d'user de son argent, l'application de cette mesure soulèvera par ailleurs la problématique du contrôle efficient des transactions financières qu'elles soient indues ou pas, l'absence de progrès dans le développement d'un marché financier et bancaire réellement moderne, l'incapacité effective à résorber le marché informel de la devise... Des considérants que les promoteurs de l'article 75 bis de la LF 2016 ont certainement et sensément pris en compte. Relevons par ailleurs que le volume des transferts de fonds de la communauté algérienne établie en Europe vers l'Algérie avoisinait les 2 milliards de dollars en 2014 selon le Fonds international pour le développement agricole qui estime le nombre des immigrés algériens en France à près de 1,5 million de personnes qui contribuent à hauteur de 90% dans ces transferts.