La place Audin s'est transformée, samedi, le temps d'un après-midi, en un véritable music-hall à ciel ouvert à l'occasion d'un rassemblement de solidarité en soutien à un musicien de rue Mohamed-Dahah, alias Moh Vita, interpellé jeudi dernier par la police. Variété algérienne, chants andalous et rock se sont partagé le trottoir à proximité de la place Audin suite à l'appel lancé sur les réseaux sociaux invitant les jeunes musiciens d'Alger à venir occuper la rue en réponse à l'arrestation musclée de Moh Vita, guitariste et chanteur amateur, accusé par la police de «mendicité professionnelle » et «d'occupation de la voie publique sans autorisation». Samedi matin, un premier rassemblement s'est tenu en présence du jeune artiste qui a joyeusement repris ses activités au niveau de la Fac centrale mais des témoins rapportent que des agents de police sont encore intervenus en lui promettant une autorisation délivrée par les services de l'APC d'Alger-Centre à condition de ne pas «politiser» l'affaire. Mais à partir de 14h, le nombre de personnes affluant au lieu de rendez- vous a dépassé toutes les attentes : femmes et hommes ont joué de la guitare, du violon et de la derbouka, chanté et dansé devant le regard souvent amusé des passants qui s'arrêtaient longuement pour prendre des photos et des vidéos. Et comme pour souligner le caractère absurde de l'incident dont fut victime Mohamed, on a entonné la chanson Clandestino de Manu Chao ! De sensibilités variées, les jeunes artistes se sont répartis sur trois espaces : un rocker, un groupe reprenant les titres du répertoire algérien moderne et une mini-formation andalouse composée d'un violoniste, un mandoliste et une chanteuse à la voix suave qui a repris quelques incontournables de ce registre à l'instar de Ahramtou bik noua'assi et Ya Bellaredj... Hormis les badauds et les journalistes, de nombreuses figures du champ artistique algérien étaient présentes sur les lieux : cinéastes, éditeurs, écrivains et acteurs ont tenu non seulement à exprimer leur solidarité avec le guitariste harcelé par la police mais aussi à s'indigner du verrouillage de l'espace public en général et artistique en particulier aux expressions libres. D'aucuns soupçonnent d'ailleurs l'acharnement policier contre ce musicien de rue d'émaner davantage d'un excès de zèle rétrograde que d'une volonté de faire respecter une prétendue loi. Or, pratiquer la musique sur la voie publique n'est en rien une infraction et n'est même pas conditionnée par une autorisation car ledit espace appartient aux citoyens et c'est là l'une des libertés garanties par la Constitution. Quoi qu'il en soit, l'ampleur inattendue prise par l'incident et l'importance du mouvement de solidarité ont entraîné une réaction rapide des autorités : le P/APC d'Alger-Centre a en effet invité tous les musiciens désireux de jouer dans la rue à se présenter à la mairie pour récupérer les autorisations nécessaires. A souligner que le rassemblement s'est poursuivi jusqu'à 20h à la place Audin alors qu'hier, ce sont les stands commerciaux installés près de la Grande-Poste qui ont accueilli Moh Vita et ses amis. Cette affaire aura eu le mérite de faire entendre au pouvoir public des voix jusque-là capitonnées, celles de jeunes artistes pas forcément politisés mais qui considèrent cet incident comme une flagrante injustice, si ce n'est comme une volonté d'étouffer tout souffle artistique germant en dehors des circuits officiels. Une totale réussite en tout cas qui ne manquera pas d'encourager les nombreux hésitants à reconquérir leur espace urbain.