Tayeb Zitouni, ministre des Moudjahidine, se déplacera en France, a-ton appris d'une source non officielle, à la fin du mois de janvier. Qu'y a-t- il de singulier dans cette information dans la mesure où les déplacements de membres de l'exécutif d'un côté comme de l'autre sont légion? Il s'agit, il faut le relever, de la première fois qu'un ministre des Moudjahidine se rend en visite officielle chez l'ancien colonisateur. Estce à dire qu'entre les deux gouvernements, la lune de miel perdure jusqu'à avoir réussi à mettre un voile sur la demande de reconnaissance pleine et entière des méfaits du colonialisme, et jusqu'à occulter la question de la mémoire, de l'écriture de l'Histoire, de la restitution des archives... ? A-t-on, d'un côté comme de l'autre, balisé le terrain pour que les questions pendantes ne fassent plus problème ? Le ministre algérien, avons-nous appris, rencontrera le secrétaire d'Etat auprès du ministre français de la Défense, chargé des Anciens combattants et de la Mémoire avec lequel il examinera, entre autres questions celle de l'indemnisation des victimes algériennes des essais nucléaires français à Reggane et ailleurs dans le sud et le problème de la restitution des archives. Dans quel contexte politique en France cette visite intervient ? Un contexte dominé par la poussée de l'extrême droite, de la propagation considérable de ses idées extrêmes dans la société française pénétrée, comme jamais auparavant, par le rejet de l'autre et notamment des Algériens. Mieux encore, il est jusqu'à certains élus, nationaux ou locaux de plus en plus nombreux, qui réécrivent et travestissent aujourd'hui l'histoire coloniale de la France en multipliant, dans l'impunité totale, les commémorations et inaugurations de stèles à la mémoire de l'OAS. La porosité entre l'extrême droite et la droite classique dans laquelle baigne depuis quelques années la France est ce qui inquiète le plus. La ville de Nice a été l'une des premières villes de l'Hexagone à inaugurer, sous la présidence du maire Christian Estrosi, en compagnie d'autres membres de l'UMP, une stèle dédiée à l'Algérie française et avec les photos de nombreux membres de l'OAS. Notons, au passage, que c'est ce maire nostalgique de l'Algérie française qu'a soutenu, toute honte bue, Dalil Boubekeur aux dernières élections régionales. Nice n'est pas la seule ville qui travestit l'Histoire. Il y a eu, notamment depuis ces deux dernières années, une série de communes qui ont suivi dans les commémorations de ce type, se faisant ainsi complices de l'apologie du colonialisme et des crimes de l'OAS. Robert Menard (l'ex-patron de Reporters sans frontières, devenu maire de Beziers) a fait mieux en débaptisant la rue du 19 Mars 62 pour lui donner le nom de Degueldre, fondateur des sinistres commandos Delta. Aucun scrupule donc chez ces élus et d'autres et ce, dans l'indifférence quasi générale. Quant à l'indemnisation des victimes algériennes des essais nucléaires effectués par la France dans le Sud algérien, à moins de nouveaux développements non déclarés publiquement, la situation semble particulièrement bloquée et beaucoup de victimes ont été laissées pour compte par les fallacieux critères inscrits pour bénéficier de ces indemnisations. Certains sont morts sans avoir reçu le moindre soin ou perçu le moindre euro en compensation. L'ouverture des archives liées à la guerre d'Algérie constitue une demande d'historiens des deux pays qui en exigent l'accès libre. Quant à la restitution à l'Algérie de ces archives détenues à plusieurs niveaux en France, quelques progrès ont été enregistrés mais, la série de limites mises pour des archives comme celles de la défense, par exemple, souffrent du «secret défense» qui les caractérisent aujourd'hui. Sur ce point particulier, il faut croire que ce n'est que du bout de la langue que les autorités algériennes font cette demande, la restitution, si elle se libérait, pourrait faire craindre le pire dans certains cercles du pouvoir. C'est dans ces conditions que la visite du ministre des Moudjahidine, si elle est confirmée, se déroulera. Dans un climat loin et même très loin d'être apaisé quant aux questions de mémoire et de reconnaissance par la France, des crimes commis. Quelles que soient les déclarations de Hollande sur les avancées à faire sur ce plan-là, la société française traversée par l'extrémisme de droite d'une part, et de l'autre, le poids de plus en plus faible de Hollande en perte de vitesse, amèneront ce dernier à ménager les électeurs potentiels pour sa future candidature et donc à taire le devoir de mémoire. Les derniers propos de l'ambassadeur de France en Algérie Bernard Emié (entretien du 17 janvier 2016 avec Echourouk) en réponse à la question de savoir «jusqu'à quel point la relation bilatérale est-elle l'otage de l'histoire coloniale de la France ?» sont on ne peut plus clairs : «... Je comprends ceux qui demandent plus, mais il faut regarder vers l'avenir et garder le passé dans nos mémoires. Au sujet de la mémoire, je pense que le dialogue se poursuit et nous travaillons sur d'autres questions, comme celles des archives.» La limite est bien là et l'on se demande si cette limite n'arrange pas, au fond, beaucoup de responsables chez nous.