Par Boubakeur Hamidechi [email protected] En voulant manifester leur désapprobation face à l'incurie consécutive aux solutions préconisées par le gouvernement, des députés ne se sont-ils pas trompés de cibles en s'en prenant violemment au gouverneur de la Banque centrale ? De toute évidence, aucune raison n'est en mesure de justifier la salve de critiques adressées au fondé de pouvoir de l'Etat dont la mission est de veiller principalement aux règles prudentielles relatives aux ressources financières et à la solidité de la monnaie nationale. Quand bien même les auteurs de ces violentes charges, forts de leurs arguments, insistent sur le fait que les expertises de Laksaci falsifient la réalité et contribuent, in fine, à donner raison à la rhétorique gouvernementale, ne doit-on pas en retour leur rappeler que le Parlement avait préalablement toute la latitude de mettre en difficulté un gouvernement sans pour autant s'en prendre aux analyses techniques qui ne doivent pas être étayées par des considérations politiques ? Or, il suffit de consulter les annales de ce Parlement pour constater qu'à aucun moment de son existence, il n'est fait part d'une contribution politique de cette nature : celle de censurer le gouvernement. C'est d'ailleurs cette image peu engageante des deux Chambres qui caractérisent le mieux la relation de sujétion qu'elles entretiennent avec le pouvoir réel. Dans le même registre, l'on retrouve effectivement l'influence des appareils de recrutements qui se présentent sous le label de partis politiques. Condamnés à survivre grâce aux liens de stricte allégeance, ceux-là ont négligé l'impérative nécessité de remodeler le Parlement en l'affranchissant des tutelles. Reliquats de la culture du parti unique, ils demeurent dans le statut de réseaux intermédiaires. Une sorte de «transitaires» du pouvoir dispensateurs de prébendes. Avec un recul de 20 années, l'on constate que le pluralisme promis par la Constitution de 1996 n'a été, en définitive, qu'un miroir aux alouettes. D'une législature à la suivante, rien n'est venu, en effet, modifier la perception du mandat de parlementaire chez les impétrants eux-mêmes. Dire, à propos de ces derniers, qu'ils ont toujours privilégié le fleuve tranquille de la docilité aux incertitudes des respectables refus relève tout simplement de l'euphémisme. Ainsi, même le chahut auquel se prête de temps à autre un cortège de députés, comme cela a été le cas lors de l'intervention du gouverneur de la Banque d'Algérie, est vite mis sur le compte de l'humeur. C'est-à-dire une écume politicienne sans conséquence fâcheuse pour les actes du gouvernement. En somme, des agitations en chambre close qui ont fini par donner de l'APN l'image d'un forum d'opérette. Le discrédit que ce Parlement coltine désormais comme un stigmate est précisément à l'origine de la terrible désaffection des Algériens vis-à-vis de ce qui est politique. Le pluralisme, qui aurait dû valoir aux assemblées élues l'enviable statut de médiatrices, n'a-t-il pas été lamentablement dénaturé et détourné de sa vocation par le système corrupteur, d'une part, et, d'autre part, par l'absence d'une véritable culture militante au sein des appareils ? Les partis politiques et la faune de rentiers qui les contrôlent ont, en effet, succombé très tôt aux promesses avantageuses qui leur furent faites par le pouvoir en place. Peu regardants sur les méthodes et les objectifs de celui-ci jusqu'à rouler souvent pour son compte, bon nombre de partis représentés dans l'hémicycle expriment parfois quelques regrets. Sauf que ces derniers s'avèrent inutiles au moment où les institutions de l'Etat tombent par petits morceaux. Car, au-delà de leur mea-culpa, les courants politiques ont d'abord le devoir de réexaminer ce passé à travers le prisme des manipulations électorales ayant verrouillé toute possibilité d'alternance. Vaste questionnement qui renverrait alors le débat à la période charnière de 1996. Ce moment clé lorsqu'on a prétendu pouvoir reconstruire un nouveau système politique sur les ruines d'un Etat sans institutions. L'idée maîtresse, préconisée par les cabinets noirs de l'armée et à laquelle adhéra la classe politique, n'a-t-elle pas été l'accoucheuse d'un Parlement qui revendiquait le pluralisme pour sa représentativité et le bicamérisme pour ses structures ? Or, à l'épreuve du temps et des enjeux majeurs des pouvoirs, cette innovante ouverture se révéla dans les faits une subtile illusion d'optique politique. Car à l'usage, l'on s'aperçut que le pouvoir législatif étant cadenassé en amont par l'octroi des agréments et neutralisé en aval par la double lecture de l'APN et du Sénat. En définitive, le procédé autorisait le pouvoir exécutif à garder la main quelles que soient les procédures. C'est dire que les assemblées ne devaient constituer que des instruments de ratification même s'il leur était accordée une marge pour les débats critiques. Ainsi naquit et prospéra un faux parlement lequel fournira, à son tour, une descendance de députés et sénateurs peu scrupuleux quant à la manière dont ils acquirent leur maroquin. Mais alors que reste-t-il, après quatre législatures, d'un Parlement profondément culpabilisé autant par son illégitimité électorale que par les honteuses complicités à répétition qui firent de cette institution le fourrier des «coups d'Etat permanents» que le régime actuel commit par deux fois (2009 et 2014) ? Or, pour cette raison au moins, ceux parmi les locataires de cette chambre qui entreprirent de faire la leçon au banquier de l'Etat n'auraient-ils pas dû consacrer quelques instants à leur examen de conscience ? Ils auraient peut-être compris que l'on ne gagne pas en bonne visibilité médiatique lorsqu'on traîne de bruyantes casseroles à chaque agitation.