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Entretien avec M. Soufiane Djillali, président de jil jadid :
«Le pays est bloqué»
Publié dans Le Soir d'Algérie le 06 - 06 - 2016


Propos recueillis par Abla Chérif
Dans cet entretien, Soufiane Djillali s'explique sur les raisons qui l'ont poussé à quitter la CNLTD et analyse la situation de crise qui prévaut dans le pays.
Le Soir d'Algérie : De manière inattendue, vous vous retirez de la CNLTD. Qu'est-ce qui a motivé ce geste ?
Soufiane Djillali : Cette décision couvait depuis un bon moment. Elle aurait pu se produire en janvier 2015 lorsque le majliss ecchoura du MSP avait décidé d'ouvrir un dialogue direct avec le pouvoir sans prendre l'avis de la CNLTD, elle a failli être annoncée le 9 juillet de la même année lorsque M. Mokri avait rencontré M. Ouyahia sans que personne n'en soit averti au préalable. Personnellement, j'avais fait part de mon désaccord. Mais on avait tous alors décidé que la CNLTD était plus importante que ce geste qui officiellement était sans conséquences.
Mais Monsieur Mokri est revenu à plusieurs reprises dans les médias, sur plusieurs plateaux de télévision et lors de meetings, sur sa demande d'établir un «gouvernement d'union nationale» entre les partis de l'opposition et ceux du pouvoir. Il est évident que cette position devenait stratégique pour ce parti. Il faut dire que lui au moins a eu la franchise de soutenir sa position publiquement. Au sein de la CNLTD, il y avait une hostilité déclarée contre les positions de Jil Jadid et aucune de nos propositions ne passait : refus de s'engager à prendre une position commune concernant les élections avec option de boycotter en cas d'absence de garanties d'un vrai scrutin, refus de s'engager à ne pas négocier en solo avec le pouvoir, refus de discuter d'un programme commun, refus d'engager une discussion sur un modèle de constitution...
Puis au final, je vois que tout le monde s'accommode bien des élections. Le RCD et le MSP participent aux sénatoriales, et tout le monde vise les législatives, sans mettre, à mon avis, les conditions de transparence pour en finir avec la logique des quotas.
J'avais prévenu mes ex-partenaires qu'à ce rythme, Jil Jadid se trouverait en porte-à-faux avec ses principes et qu'il ne me sera pas possible de cautionner ces choix en tant que membre de la CNLTD. Je rappelle que celle-ci avait publié des communiqués, sans compter la plateforme de Zéralda, où elle disait que M. Bouteflika était illégitime, que ce gouvernement a mené le pays au désastre et à l'échec, que la corruption est de son fait, qu'en son sein pullulent des corrompus, etc. Maintenant on demande d'entrer au gouvernement de M. Bouteflika, de participer à ses scrutins frelatés, de cohabiter avec les «corrompus», de partager la gestion du pays et d'accepter à respecter les «lignes rouges» de M. Saâdani et consorts. Pour compléter le tableau, M. Ouyahia, comme en écho aux appels au gouvernement d'union, vient d'ouvrir une brèche et tend la main à l'opposition. J'ai le profond sentiment d'avoir raté quelque chose !
Je sais qu'au sein de la CNLTD, la position de Jil Jadid est désormais minoritaire, et que probablement elle est perçue comme trop radicale. Seulement, et nous ne l'avons jamais caché, notre objectif à nous est d'aider ce pouvoir à s'en aller et non pas à participer avec lui à la gestion du pays. Et s'il n'y a pas un vrai engagement pour la construction d'institutions crédibles et légitimes, je refuserai de cautionner un processus électoral dévoyé, même au prix de mon exclusion de la scène politique. Mais je ne suis pas là non plus pour obliger les autres à avoir les mêmes convictions que les miennes. En tout état de cause, il faut être réaliste : pour moi, la CNLTD a épuisé son potentiel et atteint ses limites.
Que voulez-vous dire par la cnltd a atteint ses limites ?
A Jil Jadid, notre intime conviction est qu'il faut préparer la prochaine phase pour le pays. La CNLTD a réalisé ce qu'elle pouvait faire. L'opposition en général et la CNLTD en particulier ont fait leur devoir moral : elles ont informé leurs concitoyens. Bien entendu, quand je dis «opposition», je parle des partis mais aussi de la société civile, des intellectuels, des syndicalistes, sans oublier les journalistes. Mais les enjeux de l'avenir nous exigent bien plus. Il faut une vision, un vrai projet, des positions claires. Les directions stratégiques des uns et des autres sont devenues inhibitrices pour le groupe. J'en ai tiré les conclusions. Peut-être qu'en me retirant, les autres membres se retrouveront plus à l'aise et en harmonie. C'est d'ailleurs ce que j'ai compris des premières réactions du RCD à la suite de mon retrait.
En vous retirant, vous n'avez pas peur d'affaiblir l'opposition ?
Absolument pas. Imaginez que je sois resté à la CNLTD et que celle-ci participe aux élections puis entre au gouvernement. Qui aura gagné, le pouvoir ou l'opposition ? Là au moins il y a une voix discordante. Par ailleurs, n'oubliez pas qu'il y a la société civile et beaucoup de personnalités, sans compter d'autres partis politiques qui continuent à croire en un vrai changement. Enfin, l'Icso est toujours là, et c'est un rassemblement plus large !
Par ailleurs, une solution négociée ne veut absolument pas dire une participation à un gouvernement d'union. Nous voulions négocier des règles du jeu politique à respecter par tous, pas un partage du pouvoir. Je sais, pour le vivre moi-même depuis 27 ans, qu'il est difficile de faire de l'opposition en sachant que vous n'avez aucune chance d'arriver au pouvoir avec ce régime. Mon but est de contribuer à faire évoluer le régime politique vers l'Etat de droit et non pas de détenir une parcelle de décision à l'ombre du système actuel. Certains pourraient penser que c'est un idéalisme naïf, moi je reste persuadé qu'offrir à la nouvelle génération un vrai modèle d'une action politique honnête est plus profitable au pays qu'un siège de député ou de ministre dans ce système.
Que proposez-vous en échange ?
Nous sommes arrivés à une étape où il faut proposer aux Algériens un projet de société. Il ne s'agit pas d'énumérer des chiffres sur la croissance économique ou le nombre de logements et de postes d'emploi à créer. Non, il y a lieu d'expliciter une vraie vision d'avenir, un projet de construction d'une société qui est par ailleurs en plein bouleversement.
Nous avons, à plusieurs reprises, répété que c'est le «système» de gouvernance en entier qui doit être changé. Contrairement aux accusations à notre encontre, ce n'est pas le «siège présidentiel» qui nous importe. Pour ma part, je critique le président de la République parce qu'il est le parrain de ce régime depuis plus de 17 ans. Et ce régime est malsain, prédateur et sans morale. A l'avenir, il nous faut instaurer un Etat de droit et une démocratie de qualité dans le pays. Cela doit se faire progressivement mais résolument. Il faut une alternative crédible aux yeux de l'opinion nationale et internationale.
En tout état de cause, Jil Jadid présentera aux Algériens sa vision des choses dès la rentrée prochaine. Nous travaillerons en collaboration avec tous les démocrates du pays qui le désirent, pour proposer aux Algériens les voies et moyens pour remettre le pays sur la voie du développement. L'Algérie est mûre pour un projet de société porté par un courant d'idée démocrate.
Le pays traverse une crise sans précédent. Comment peuvent évoluer les événements, selon vous ?
Le pays est exposé à de graves difficultés. Pour se limiter au plan politique, les Algériens sont aujourd'hui convaincus que le président de la République est totalement absent. Il ne leur parle pas et ne dirige pas dans les faits et, même recevoir quelques convives, ne fait plus diversion, tout au contraire. Par ailleurs, les institutions sont bloquées, le Conseil des ministres n'est réuni que très rarement et juste pour la galerie et faire passer une fournée de lois. L'APN est une coquille vide, infestée de prédateurs et de petits ambitieux. Quant aux partis du pouvoir, ils sont devenus des appareils délabrés.
Pour illustrer mes propos, voyez ce qui s'est passé avec l'examen du baccalauréat et même auparavant avec l'examen de recrutement des enseignants. La fraude est devenue rédhibitoire et à large échelle. Qui en est responsable ? Les élèves ? Les enseignants ? Je vais vous le dire clairement : quand votre Etat n'a plus assez de dignité pour respecter le vote de ses citoyens, lorsqu'un candidat devient président de la République après avoir présenté au Conseil constitutionnel un dossier de santé frauduleux et tout le monde ferme les yeux, lorsque vous avez des ministres qui trichent avec le fisc, transfèrent de l'argent dans les paradis fiscaux sans que personne lève le petit doigt, lorsqu'un M. Chakib Khelil se pavane sous escorte dans les zaouïas sans conscience... quel message croyez-vous transmettre au peuple ? Tout est maintenant truqué, les matchs de foot, les CV des responsables, les comptes de Sonatrach...
Non, je vous l'assure, coopérer avec ce pouvoir pour lui donner même un semblant de légitimité n'est pas la solution. Il faut rester ferme et sans concessions : la seule chose qui vaille, même si cela devrait durer encore 20 ans, c'est de préparer le vrai changement.


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