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C'est la doctrine économique qu'il faut changer
Publié dans Le Soir d'Algérie le 14 - 10 - 2017

Les caractéristiques politiques, économiques, sociales et réglementaires d'un environnement donné déterminent, dans leur ensemble, la qualité du climat des affaires d'une économie et son attractivité.
Le climat des affaires influe considérablement sur l'économie d'un pays, notamment sur la création d'entreprises, sur l'implantation des projets et la création d'emplois. Selon ses spécificités, il favorise ou entrave l'acte d'entreprendre et d'investir.
L'impact de l'attractivité d'une région sur l'économie d'une nation est considérable. C'est pour cette raison que «rendre une économie attractive» est devenu une préoccupation primordiale et permanente de beaucoup de gouvernements.
Pour un territoire, être attractif, c'est avoir la capacité d'attirer des capitaux pour l'investissement, de créer de nouvelles possibilités de production, de lancer des activités de pointe ou d'accueillir une main-d'œuvre hautement qualifiée.
Il y a une rivalité entre les pays, imposée par une règle immuable qui met en confrontation les intérêts et les besoins recherchés par un territoire donné et les exigences et conditions des détenteurs de capitaux.
En effet, les pays ont besoin de capitaux pour assurer la croissance et l'emploi ; par contre, les détenteurs de fonds cherchent les conditions les plus appropriées à l'investissement et à la création d'entreprises. Ils apprécient un climat des affaires qui leur garantit la rentabilité des fonds engagés et la sécurité.
Cette préoccupation majeure, qui se donne comme objectif de rendre un pays attractif, a conduit beaucoup de pays à créer des pôles de compétitivité qui regroupent des entreprises, des institutions administratives et financières, des centres de recherche, des instituts de formation, afin de créer une synergie entre toutes les compétences qui favorisent la compétitivité et l'innovation.
Tenant compte de l'importance de la qualité du climat des affaires sur l'attractivité des capitaux, les décideurs algériens l'ont toujours inscrite parmi les objectifs prioritaires. Malheureusement, les résultats ont été souvent décevants. Le classement du pays n'évolue pas et se détériore dans certains domaines déterminants (comme par exemple le système bancaire, la réglementation, la qualité des services offerts aux entreprises, le climat de faire les affaires...).
Voyons donc les différentes approches qui nous aident à apprécier le climat des affaires, les causes qui empêchent le climat des affaires en Algérie à évoluer et à être attractif, les conséquences de cette incapacité sur l'évolution de l'économie nationale, quelles sont les solutions proposées par les spécialistes pour faire sortir le pays de cette léthargie. Une économie qui a, pourtant, beaucoup de potentialités, mais qui reste en dehors du processus de développement et de la croissance soutenue.
En effet, les détenteurs de capitaux ou d'expertise, les porteurs de projets qui cherchent des opportunités d'investissements, les exportateurs qui veulent pénétrer un nouveau marché, les d'entreprises qui, pour des raisons de rentabilité, optent pour la délocalisation, ont tous besoin de données pertinentes sur le marché qu'ils veulent atteindre, en détenir une partie, voire contrôler totalement.
En général, des conditions fondamentales constituent des préalables à tout investissement national ou étranger. Ces préoccupations sont liées aux lois sur les transactions et la flexibilité de l'emploi, à la taille du marché, à la stabilité macroéconomique, aux transferts de capitaux, aux infrastructures, à la qualification de la main-d'œuvre, aux coûts de facteurs, à la qualité des services, aux fournisseurs potentiels, à la protection des biens...
Le climat des affaires est apprécié sur la base d'indicateurs qualitatifs et quantitatifs donnant des informations sur un environnement d'un pays, d'une région ou d'un marché.
Ces indicateurs sont, dans la plupart des cas, mesurables pour favoriser la comparabilité entre les différentes situations.
Le porteur de projet peut ainsi, d'une part, détecter les marchés qui possèdent les capacités à attirer les capitaux, facilitent la création d'entreprises et permettent d'investir sans contrainte et, d'autre part, d'éviter les environnements contraignants où la bureaucratie, l'instabilité politique ou économique et la corruption sont endémiques.
Plusieurs institutions spécialisées (FMI, Banque mondiale, Forum des chefs d'entreprises algériennes...) évaluent périodiquement le climat des affaires pour fournir aux détenteurs de capitaux des informations utiles sur les difficultés administratives, sur l'attractivité et la compétitivité de chaque environnement ciblé.
La Banque mondiale publie annuellement le Doing Business(1). C'est un rapport qui offre des informations très pertinentes sur le climat des affaires par pays, c'est une référence en la matière.
Il s'appuie sur des études et des bases de données assez sérieuses et crédibles pour évaluer des critères, notamment : la facilité de faire des affaires ; la création des entreprises ; l'octroi de permis de construire ; le transfert de propriété ; l'obtention de prêts ; la protection des investissements ; le paiement des impôts ; le raccordement à l'électricité ; le commerce transfrontalier ; l'exécution de contrat et le traitement de l'insolvabilité.
L'économie d'un pays est scrutée et appréciée sur les bases de données relatives à l'instabilité économique, au déficit, à la dette publique, au taux d'inflation, à l'instabilité politique, à la qualité des institutions financières, à la concurrence, à l'information sur l'insolvabilité, à l'efficacité ou non des services publics, au poids du secteur informel dans l'économie, à la corruption, au marché de l'emploi et à sa flexibilité...
Comme on peut le constater, ces indicateurs concernent de très près les créateurs d'entreprises et les investisseurs. Si les indicateurs d'un pays ne sont pas bons, le promoteur est informé sur les difficultés qui caractérisent l'environnement économique, politique et réglementaire de ce pays où il n'est pas intéressant d'investir.
Ces données permettent d'apprécier la situation globale et attribuer un classement par pays. Voyons si le classement de l'Algérie a évolué pour apprécier l'évolution du climat des affaires de notre économie.
Selon l'indicateur «facilité de faire les affaires», l'Algérie occupait en 2004 la 136e place, la 148e en 2012 et la 156e en 2017.
En ce qui concerne l'obtention d'un prêt, le classement du pays passe de la 138e place en 2004 à la 175e en 2017.
Cette difficulté à évoluer et à améliorer le climat des affaires est confirmée par l'indicateur «protection des investissements» qui indique une détérioration dans le classement de l'environnement algérien, au 73e rang en 2004, l'Algérie occupe, en 2017 le 174e rang.
La restructuration du capital de Djezzy, les blocages rencontrés par le groupe Cevital, l'annulation par les pouvoirs publics de la vente de l'usine Michelin, la règle 49/51 sont, sans aucun doute, des facteurs aggravants qui expliquent, en partie, cette situation.
En outre, le délai moyen de création d'une entreprise est estimé à plus de vingt (20) jours en Algérie et de 8.3 jours dans les pays membres de l'OCDE. Maroc (10 jours), Tunisie (11 jours).
Le nombre de documents exigés pour la création d'une entreprise est de 12 en Algérie, une légère amélioration par rapport aux années antérieures, 4.8 documents pour l'OCDE. 4 et 9 documents respectivement pour le Maroc et la Tunisie.
Il est évident que ces quelques chiffres confirment la gravité des difficultés et des blocages auxquels sont confrontés les créateurs et chefs d'entreprise et justifient l'ampleur des réformes à entreprendre.
Ces contraintes ont des répercussions négatives aussi bien sur le bien-être du citoyen que sur l'économie du pays. Le dollar investi en Algérie ramène entre 0.6 et 0.8 dollars, alors que dans certains pays émergents, le rapport est de 1 à 3.
Les indicateurs d'évaluation retenus par le Forum économique de Davos(2) sont le résultat d'études mettant l'accent sur trois grands domaines qui déterminent la vie économique d'un pays, sa gouvernance et la qualité de ses institutions.
Les facteurs de base (qui regroupent les institutions, les infrastructures, l'environnement économique, et l'éducation), l'efficience (qui concerne l'efficience du marché, l'efficience du marché du travail, le développement du marché financier, l'agilité technologique et la taille du marché) et enfin l'innovation et la sophistication des facteurs (l'innovation et le management).
Le classement global positionne l'Algérie à la 87e place, avec une note de 3.98, la Malaisie 25e, le Rwanda 52e. En 2010-2011, l'économie algérienne occupait la 86e place.
Dans les facteurs de base, l'Algérie est 88e (80e en 2010-2011), le Maroc est 51e, l'Arabie Saoudite 32e, la Jordanie 70e.
L'Algérie occupe le 99e rang dans la qualité des institutions, et le 100e rang dans la qualité des infrastructures, c'est moins que 2010/2011 où le pays occupait respectivement les 98e et 87e places. Pour les mêmes critères, le Maroc occupe les 50e et 58e rangs, la Jordanie, les 34e et 56e rangs.
Dans l'efficience qui regroupe une appréciation sur l'éducation, l'efficience des marchés, notamment le marché financier et le marché du travail, l'agilité technologique..., l'économie algérienne est 110e, 107e en 2010-2011. Le marché financier est classé à la 132e place.
En ce qui concerne «l'innovation et sophistication des facteurs», le pays occupe le 119e rang (108e en 2010-2011), le Qatar 18e, l'Inde 30e, l'Arabie 36e, la Jordanie 39e, le Rwanda 54e, le Sénégal 62e, le Ghana 67e.
Ces comparaisons font mal, mais elles sont nécessaires pour nous permettre de mesurer l'ampleur des échecs et l'urgence de réformes adéquates.
Le Forum des chefs d'entreprises algériennes a également retenu une approche pour évaluer les climats des affaires avec L' IFPE 40, conçu pour évaluer l'amélioration ou la détérioration concernant 40 préoccupations.
L'indice évalue quarante obstacles, notamment la visibilité dans la politique économique du gouvernement, la concertation, l'information, sa disponibilité et sa fiabilité, les contraintes et tarifs douaniers, l'environnement économique, la législation et les contraintes administratives liées aux importations et aux exportations, les procédures de création d'entreprises, la fiscalité et autres charges patronales, la gestion des zones industrielles, la bourse et la lutte contre la corruption.
En général, il y a concordance entre les résultats des différentes approches sur l'appréciation globale d'une économie, le pays est dans le groupe d'économies performantes ou dans un groupe caractérisé par des défaillances et des incohérences.
Par exemple, un pays mal classé dans la qualité des institutions se retrouve également mal classé dans la lutte contre la corruption. Une économie non compétitive se voit aussi mal classée dans la productivité des facteurs, dans les contraintes imposées aux investisseurs...
Ce qui est risqué pour une économie et pour son avenir, ce n'est pas d'enregistrer accidentellement des contre-performances ou des déséquilibres, mais de s'accrocher à la même politique avec les mêmes erreurs (le développement du sous-développement), de ne pouvoir tirer des conclusions et de prendre des mesures correctives.
Pourquoi cet échec ou cette incapacité à s'améliorer ? Quelles sont les causes profondes qui empêchent toute évolution ? Est-ce que c'est un problème lié à la nature de la gouvernance, à l'absence d'une visibilité à moyen et long termes, aux choix des options de développement ?
Le Dr Stéphane Monney Mourandjo(3) retient sept obstacles principaux qui s'opposent ou qui bloquent les réformes : la juxtaposition des réformes inachevées, l'absence de cohérence et d'harmonisation entre les lois, les changements constants de stratégie au niveau politique et des priorités conduisent à une perte de crédibilité de toute politique, des successions de gouvernements sans continuité dans les choix stratégiques, la survivance des formes diverses de clientélisme et de culture de l'informel, les conflits d'école, les conflits d'intérêts.
Malheureusement, l'environnement algérien accumule toutes ces causes.
Cette incapacité à se réformer durant des décennies éloigne sérieusement l'économie algérienne du niveau des pays émergents. Les résultats enregistrés sont très en deçà des niveaux des indicateurs retenus pour qualifier une économie d'émergente, notamment un taux de croissance en moyenne supérieur à 7%, le degré d'intégration au commerce international, la part du pays dans le PIB mondial supérieure à 1%, le niveau des investissements, la part des exportations des produits manufacturés dans le marché mondial.
C'est le cas des pays formant le groupe BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) ou de la Turquie, du Chili, de la Malaisie...
Que faire pour améliorer le climat des affaires ? Beaucoup d'experts, notamment ceux des institutions internationales (FMI, Banque mondiale), recommandent en premier des réformes structurelles, des réformes qui visent des mesures en profondeur, voire radicales des règles de fonctionnement de l'économie pour corriger les déséquilibres, créer de meilleures conditions de relance de la croissance et réduire l'endettement.
Mais ces changements à caractères profonds ne se réalisent pas sans conséquences sur l'emploi et la protection sociale. Pour éviter les conséquences négatives d'un ajustement structurel sur les plus démunis, des économistes suggèrent des politiques macroéconomiques.
Ils mettent l'accent sur le dégagement progressif de l'Etat de la sphère économique en tant qu'acteur et de limiter son rôle à la régulation des marchés ou conseillent la création de pôles de compétitivité offrant des conditions remarquables pour l'investissement... D'autres privilégient la réflexion sur les facteurs-clés de succès de toute réforme et insistent sur la formation et le développement des ressources humaines, facteur qui garantit la réussite de toute réforme ou action corrective.
Par ailleurs, la Cnuced(4), institution spécialisée, entre autres, dans le suivi de la promotion et la facilitation des investissements, propose une série d'actions et de mesures pour attirer les capitaux et favoriser l'investissement.
Une feuille de route(5) a été établie pour orienter les pays en développement. Elle comprend un ensemble de mesures et d'options visant à améliorer l'attractivité d'une économie et attirer les capitaux, notamment par la simplification des procédures, l'amélioration de leur efficacité, la mise en place de mécanismes de soutien aux investisseurs en leur accordant des avantages, de la cohérence dans l'application des politiques d'investissement, la désignation d'un organisme facilitateur des investissements, un peu plus de coopération internationale...
Dans le cas algérien, les mesures correctives ne suffisent pas à améliorer le climat des affaires et créer les conditions d'une croissance équilibrée et soutenue.
Le blocage est plus profond et touche la doctrine économique qui a prévalu au cours de ces deux dernières décennies ; sa remise en question s'impose. En effet, les principes sur lesquels elle reposait demeurent des obstacles fondamentaux à toute réforme approfondie. L'omniprésence de l'Etat dans la sphère économique a conduit à une centralisation excessive, à une bureaucratie paralysante et à une exclusion de toute initiative.
Par ailleurs, la méfiance envers l'investissement tant national qu'étranger, le recours exclusif aux ressources engendrées par l'exportation des hydrocarbures réduisant ainsi l'apport de tous les autres secteurs d'activité à un rôle insignifiant dans le financement de l'économie (le syndrome hollandais), l'absence d'une vision permanente à moyen et long terme se soldant par des incohérences et une instabilité dans les démarches, dans les réformes et les plans d'action, toutes ces erreurs ont contribué fortement aux blocages actuels. C'est pour cela que nous demeurons persuadés que la réussite des réformes économiques pour améliorer le climat des affaires passera nécessairement par une remise en question des principes d'une doctrine, aujourd'hui dépassée, qui a toujours déterminé les choix économiques et le mode de leur application.
B. L.
Email : [email protected]
(*) Brahim Lakhlef, ancien dirigeant et administrateur d'entreprise, auteur de La bonne gouvernance, 2006 (éditions El Khaldounia), Qualité des institutions, réformes et résultats économiques, 2013 (Alger livres édition), La gestion d'une entreprise en difficulté (Dar El Djazaïria 2017).
Sources
1. Doing Business 2017 groupe Banque mondiale.
2. Rapport mondial sur la compétitivité : The Global Competitiveness Report 2016-2017. Et de 2010-2011.
World Economic Forum.
3. Obstacles et défis des nouvelles tendances de gestion des services publics et des institutions de l'Etat par le docteur Stéphane Monney Mourandjo (Cafrad mai 2009).
4. Rapport sur l'investissement dans le monde 2016, nationalité des investisseurs, enjeux et politiques, repères et vue d'ensemble Cnuced.
5. Menu d'action globale pour la facilitation des investissements Cnuced.


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