Depuis le colonel Abdelghani qui inaugura en 1979 la fonction est jusqu'� l'actuel Ouyahia, lequel en est � son cinqui�me cabinet, nos Premiers ministres connurent des long�vit�s diverses et des fortunes contrast�es. De l'�ph�m�re passage de Kasdi Merbah qui r�sista juste neuf mois � la bonhomie de Hamdani qui se contenta de jouer aux utilitaires pour assurer une transition, le poste est finalement moins gratifiant qu'on ne le croit. Fusible qui saute chaque fois que le sommet de l'Etat est gagn� par le doute, sa mission est en d�finitive al�atoire. En 25 ans, la R�publique n'en a-telle pas us� une douzaine ? Un record d'instabilit� qui r�duit � 24 mois la dur�e moyenne d'un gouvernement (1). C'est dire, par cons�quent, que la trag�die de l'Alg�rie s'est toujours nou�e dans le premier cercle. L� o� les dirigeants sont plus enclins � c�der au putschisme de palais qu'� privil�gier les int�r�ts bien compris de la chose publique. Or, de Chadli � Bouteflika en passant par le HCE et Zeroual, les modalit�s de fonctionnement de cet ex�cutif bic�phale n'ont gu�re chang�. Les Premiers ministres sont m�me r�vocables plus souvent aujourd'hui que par le pass�. En six ans de pr�sidence, l'actuel locataire d'El-Mouradia n'a-t-il pas fait appel � quatre et n'a-t-il pas chang� ou remani� six gouvernements ? Cette pr�carit� a fini par impr�gner les esprits de nos ministres au point de les soup�onner de "je- m'en-foutisme" en laissant entendre que leur d�signation signifie avant tout l'acc�s � une sin�cure plut�t qu'� une charge civique. Voil� pour le style de notre gouvernance : une combinaison de privil�ges mat�riels et de bri�vet� qui vaccine le b�n�ficiaire de toute implication efficace. Les lendemains �tant incertains et les humeurs politiques fluctuantes, nos ministres ont plus d'une raison de ne pas s'exposer, se contentant d'administrer "� minima" leurs d�partements sans ali�ner les r�seaux qui "comptent", qui p�sent. Cela s'appelle faire carri�re � l'ombre des princes, passant de l'un � l'autre sans para�tre se renier. L'arch�type de personnage sachant entrer dans toutes les bonnes gr�ces en d�pit des changements d'�poque est justement Ouyahia. Sa long�vit� au service de pouvoirs dissemblables est remarquable de la mani�re dont se con�oit chez nous la responsabilit� politique et se d�clinent les convictions. Succ�dant � Mokdad Sifi en 1995, il accompagnera Zeroual jusqu'� sa chute en septembre 1998, avant de d�couvrir en l'actuel chef de l'Etat un nouveau mentor. Les Alg�riens, qui apprirent � le conna�tre d�s 1994, alors qu'il n'�tait que conseiller, ne pouvaient naturellement pas deviner que le talentueux discoureur d�cortiquant le dossier de Abassi Madani et Ali Benhadj, cachait un futur "cannibale" politique pour qui les �tats d'�me passaient apr�s la carri�re. Ainsi, en dix ann�es de pleine lumi�re aux premiers postes, il en devint incontournable dans le s�rail puis expert dans les virages politiques. Une sorte de Talleyrand appel� � survivre � tous les r�glements de comptes et, mieux encore, � en sortir vainqueur. Ceux qui le d�sign�rent nagu�re comme le parfait joker dans le jeu trouble des cercles d'influence admettent dor�navant qu'ils se sont tromp�s lourdement dans leurs jugements. Et pour cause, il est de tous les fusibles, celui qui n'a pas disjonct� m�me quand la maison du pouvoir �tait dans le noir. Chef de gouvernement par d�faut et dans l'urgence quand il a fallu chasser Benflis, il semble, depuis, avoir convaincu Bouteflika de son talent � bien le servir. Du printemps 2003 � ce 1er mai 2005, les diff�rents r�am�nagements ne se sont-ils pas faits � son profit, jusqu'� �tre consid�r� comme une pi�ce ma�tresse de l'�chiquier du pr�sident ? Ce dernier a compris l'avantage qu'il y avait � ne pas sacrifier ce personnage m�me si les affaires publiques ne sont pas au mieux. Les propos d�senchant�s de Bouteflika le 7 avril ne s'adressaient curieusement pas � son Premier ministre. Et il n'y eut que ceux qui firent une lecture au premier degr� du discours- anniversaire qui pronostiqu�rent un vaste mouvement en mettant en avant la logique du r��quilibrage trans-partisan. Or, l'alliance en question, prise comme une donn�e de base dans les sp�culations autour de la recomposition, n'a aucune consistance dans les approches du chef de l'Etat. N'ayant jamais traduit une v�ritable r�alit� �lectorale, lui aussi n'admet son existence que comme relais formel. Artificielle et artificieuse, il ne la tol�re dans les faits que parce qu'elle sert de fa�ade et jamais comme un param�tre dans l'architecture de son pouvoir. Car les v�ritables alliances qu'il souhaite passer � l'avenir doivent ignorer cet appareillage et les v�ritables oppositions qui pourraient contrarier ses desseins futurs pourraient concerner l'�mergence de quelques ambitions issues de son entourage. En effet, qui peut r�futer par avance que Bouteflika n'a pas en t�te un troisi�me "plan de carri�re" ? Et par voie de cons�quence, comment peut-on oublier qu'il sait toujours prendre de l'avance sur les pr�tendants virtuels ? C'est cette "suite dans les id�es" qui explique sans doute pourquoi il persiste � garder aupr�s de lui ce Premier ministre. Mais le maintiendra-til jusqu'� 2009 ? L'hypoth�se est envisageable dans la mesure o� elle pourra, d'ici l�, constituer le sc�nario id�al d'une neutralisation r�ussie. C'est-�dire pour postuler sans adversit� marquante dont Ouyahia pourrait se pr�valoir s'il n'y avait le compromettant compagnonnage. En effet, l'on ne partage pas impun�ment une complicit� politique couvrant un mandat pour ensuite en venir � solliciter le corps �lectoral contre le mentor d'hier. Car le dispositif en place exclut toute notion de cohabitation des "contraires" et ne reconna�t que la convergence totale, d'o� l'inconfortable h�ritage de la fonction de Premier ministre dans une comp�tition �lectorale. Les p�rip�ties de Benflis cherchant � se d�marquer politiquement du pr�sident tout en assumant des responsabilit�s gouvernementales �taient une grossi�re erreur et rien d'autre que du funambulisme de casse-cou. Solidement reconduit � son poste, Ouyahia est dans les faits "ex�cut�" politiquement dans la mesure o� il n'a plus de ligne d'horizon sauf celle de son commanditaire. De surcro�t, son maintien constitue d�sormais le bon alibi de la stabilit� qui faisait d�faut et que l'on reprochait au pr�sident. Coup double donc pour celui-ci. Mieux encore, en dopant ses pr�rogatives — la plupart des minist�res techniques sont occup�s par un personnel acquis � l'autorit� de Ouyahia —, le chef de l'Etat vise � long terme � le rendre coupable des tous les �checs. Les r�cents arbitrages qui ont abouti � l'�limination de Benachenhou entre autres et la d�stabilisation de certains organismes — le Cnes et la d�mission de Mentouri — n'ont d'autres buts que de lui imputer seul toutes les mauvaises factures de la gouvernance. D'une mani�re ou d'une autre, le renforcement de son autorit� n'affaiblit pas le pr�sident, mais l'immunise contre les errements de l'intendance. Ouyahia devra un jour ou l'autre se rendre � l'�vidence que cette surexposition qu'il sollicitait de tous ses vœux sera le cul-de-sac dans lequel il aura engag� sa carri�re. Le moment venu, il ne lui sera plus possible de faire �tat de sa "diff�rence". Avec cette troisi�me reconduction en 24 mois (juin 2003, avril 2004, mai 2005), Bouteflika vient de sceller d�finitivement le destin politique de son chef du gouvernement. En 2009, il ne sera probablement pas candidat � la candidature pr�sidentielle pour au moins cette raison. Lui qui ne pense qu'� cette perspective depuis dix ans et dont on disait que le syst�me travaillait � sa promotion devra se contenter d'�tre un besogneux intendant de la R�publique, quand bien m�me il veuille rappeler � l'opinion qu'il est aussi un chef de parti capable de se d�marquer � son tour. Mais en la mati�re, Bouteflika est parvenu, au-del� de ses pr�visions, � disqualifier ces vaniteuses postures. D'abord en r�cup�rant par la trique un FLN dont le SG est un falot sans profondeur doctrinale, puis en agitant la carotte aux islamistes de pacotille dont le leader est reconnaissable � ses dons d'exorciste plut�t qu'� sa subtilit� politique et enfin � arrimer � lui l'officine du RND dont la notori�t� de son secr�taire g�n�ral tient en un mot : "l'impopularit�" qu'il revendique paradoxalement comme une vertu de pouvoir ! � la diff�rence de ses pr�d�cesseurs au cours de ce quart de si�cle (1979-2005), il incarne jusqu'� la caricature, l'image du politicien avec ce que connote p�jorativement le vocable. Si, avec les autres nous avons eu affaire � des ex�cutants ou � des hommes de devoirs respectables, avec lui nous sommes en permanence dans la falsification sordide des faits et dans les interpr�tations sp�cieuses de la r�alit�. Le pr�sident n'ignorant rien de son inclination � faire de la politique politicienne ainsi que de son aspiration � lui succ�der un jour n'est-il pas parvenu � faire de lui la propre victime de ses app�tits ? En l'assurant de ses appuis, il le d�pouille de tout pr�texte lui permettant de reprendre sa libert� et se pr�parer � la comp�tition majeure. Ouyahia inamovible � son poste n'est-il pas d�j� un personnage politique sans avenir hors de la servitude ? Pour envieux que soit, son sort dans l'imm�diat il ne lui restera au mieux que quatre ann�es de compagnonnage et de lumi�re des hautes charges avant de retrouver fatalement les coulisses et les modestes maroquins d'un �lu de circonscription. Quand deux destins se croisent et que l'un postule � une troisi�me investiture et au grand livre de l'histoire, l'autre ne peut que s'accommoder des entrefilets anecdotiques de la presse. B. H.( 1) Les Premiers ministres ou chefs de gouvernement qui se sont succ�d� sont : Abdelghani, Brahimi, Kasdi Merbah, Mouloud Hamrouche, Sid-Ahmed Ghozali, Bela�d Abdesselam, R�dha Malek, Mokdad Sifi, Ahmed Ouyahia, Sma�l Hamdani, Ahmed Benbitour, Ali Benflis et � nouveau Ouyahia.