L'Association nationale des oul�mas alg�riens a r�uni � Alger, il y a une semaine, un colloque international de haute facture qui m�ritait certainement meilleure prise en charge m�diatique que les rares entrefilets conc�d�s par certains confr�res. La pr�sence, studieuse et assidue, d'un nombre impressionnant de jeunes faisait d'ailleurs anachronisme comparativement � l'indiff�rence m�diatique, alors que certaines filiations familiales ou politiques restreignaient, fort heureusement (il est des contraintes salutaires), les intervenants aux seuls aspects scientifiques, loin de tous discours laudatifs, apolog�tiques ou m�me biographiques. De nos jours, il est des parent�s qui gagnent � �tre tues. M�me circonscrite au petit amphith��tre feutr� de la Maison de la Culture, la c�l�bration du quaranti�me anniversaire du d�c�s de Cheikh Mohamed Bachir El-Ibrahimi (1889-1965) honore certainement notre pays. Abou El Kacem Sa�dallah a probablement touch� du doigt mieux que tous les autres intervenants ce que nous pouvons tirer comme enseignements majeurs et ind�l�biles de l'�rudition du Cheikh : son apport � l'histoire et � son �criture objective. A ce sujet, ses propos r�sonnent encore de nos jours comme une pr�monition : �L'histoire ne doit �tre �crite qu'une fois les �v�nements pass�s et les documents et moyens mis � disposition. � Il exigeait de l'historien �la clairvoyance et le sens de l'observation pour distinguer entre le superficiel et le fond des questions �. Plus fondamentalement, le propos tourne autour du r�le de l'islam dans la r�sistance et l'aboutissement de la lutte arm�e pour l'ind�pendance nationale. Au-del� de leur langue de travail, subjectivement et objectivement, les uns (d'expression fran�aise) par apriorisme id�ologique, les autres (d'expression arabe) du fait de l'orientation initiale des sources disponibles, les historiens semblent �tre pour la plupart des �l�ves de la 3e R�publique qui avait �nonc� l'id�al et le projet avort�s de l'assimilation. On h�site toujours � admettre que les Oul�mas �taient les seuls, avec le Parti du peuple alg�rien, � p�n�trer la soci�t�, dans une action parfaitement compl�mentaire. C'est l'action conjugu�e des deux mouvements qui donnera les moudjahidine de 1954 qui payaient de leur vie leur engagement au nom de �Allah Ouakbar�. On a alors tort de r�duire les oul�mas � des faqihs ou des �rudits en mati�re th�ologique, une image que leurs partenaires du PPA leur ont dans un premier temps conc�d�e (dans les manuels d'histoire de l'�cole alg�rienne), avant de les rattraper par leurs �fr�res ennemis� des zaou�as, instrumentalis�es pour de vulgaires consid�rations de maintien au pouvoir. Pourtant, le caract�re r�formiste d'hommes �clair�s des oul�mas se conjugue fort bien avec la qu�te de modernit�, tandis que le conservatisme des zaou�as autrement plut�t nocif. La r�habilitation des zaou�as n'est-elle pas alors un retour de balancier � 1947, lorsque Khider entreprit d'aider Belkebir � collecter l'argent n�cessaire � la construction d'une m�dersa propre au motif que les militants du PPA �taient alors exclus des �coles des Oul�mas ? Avant les zaou�as, c'est le Fis qui, dans les ann�es 90, acheva de pervertir l'h�ritage des oul�mas, alors qu'aucun rapport de cause � effet ne peut �tre �tabli entre eux. Alors, les zaou�as, Fis et la 3e R�publique, m�me combat ? Certainement oui si l'on en juge aux d�g�ts collat�raux persistants caus�s par les uns et par les autres. Les pr�suppos�s id�ologiques des �l�ves de la 3e R�publique ont particuli�rement occult� la volont� exterminatrice du colonialisme et souvent omis de relever, comme il se doit, que sans l'islam l'Alg�rie serait la Corse d'aujourd'hui. L'expression la plus manifeste de ces pr�suppos�s �rig�s en doctrine d'Etat est certainement l'article 4 de la loi 2005-158 du 28 f�vrier 2005 portant �reconnaissance de la nation et contribution nationale en faveur des Fran�ais rapatri�s�, une disposition qui rend un hommage appuy� � la colonisation et qui ne laisse planer aucun doute sur les intentions affich�es du l�gislateur fran�ais: �Les programmes de recherche universitaire accordent � l'histoire de la pr�sence fran�aise outre-mer, notamment en Afrique du Nord, la place qu'elle m�rite. Les programmes scolaires reconnaissent en particulier le r�le positif de la pr�sence fran�aise outre-mer, notamment en Afrique du Nord, et accordent � l'histoire et aux sacrifices des combattants de l'arm�e fran�aise issus de ces territoires, la place �minente � laquelle ils ont droit�. On regrettera au passage que l'affront fait aux peuples anciennement colonis�s et longtemps martyris�s n'ait pas suscit� les r�actions officielles qu'il m�rite de la part de leurs jeunes Etats, y compris et surtout le n�tre. Les oul�mas ont donn� un contenu � la revendication d'ind�pendance par un militantisme d'envergure qui �tonne d'abord par sa dur�e. C'est en regardant un peu plus vers l'est et un peu moins vers le nord que les Alg�riens avaient trouv� leur salut au d�but du vingti�me si�cle. La visite de Cheikh Abdou � Alger en 1903, la d�couverte de Djamal Eddine Al Afghani, la parution d' Al Manar et d' Al Rissala ont certainement pes� davantage que les autres mouvements sur la maturation de la question nationale. Cheikh Bachir El-Ibrahimi ouvrit une �cole � S�tif et construisit une mosqu�e � Ras- El-Oued, avant de cr�er, avec l'imam Ibn Badis, l'Association des oul�mas musulmans le 5 mai 1931, avec pour objectifs �agr��s� par l'administration coloniale d'enseigner un islam affranchi de ses scories maraboutiques et de pr�server la langue arabe. Il s'agissait alors de briser ce qu'il appelait �la r�signation � l'assujettissement�, heureuse expression qui pr�c�de de plus de cinquante ans le rapport pertinent de domination-soumission �nonc� par Fran�ois Perroux pour traduire l'�volution de l'ancien rapport colonial de dominant-domin� en asservissement n�o-colonial consenti, voulu, voire revendiqu�. En 1940, il est arr�t� et plac� en r�sidence surveill�e � Aflou pendant trois ans. Sit�t lib�r�, en 1943, il prend une part active � la r�daction du Manifeste du peuple alg�rien, adress� aux dirigeants des Alli�s d�barqu�s fin 1942 � Alger. Le 15 novembre 1954, il prend personnellement le risque de soutenir la lutte arm�e. Personnellement, pour ne pas inqui�ter l'association, son personnel et ses biens. L'exercice du pouvoir construit sur des valeurs populistes �rig�es en id�aux nationalistes a fait la part belle � l'amn�sie, l'anath�me, la calomnie, le d�nigrement et la d�lation. La tentation parricide qui guette les tenants de ce pouvoir dans leur rapport � l'histoire s‘est souvent par�e d'une coll�gialit� de coquins, de despotes cens�s �tre ��clair�s� parce qu'empreints d'une cruaut� relative. Comme lui, Messali et Ferhat Abbas en feront �galement les frais. Tous les trois sont les figures embl�matiques du nationalisme alg�rien ; ils ont �merg� ensemble dans les ann�es 30 en r�action au mythe colonial de la sup�riorit� raciale c�l�br� en grande pompe dans le cadre du centenaire de la colonisation. Tous les trois incarnent l'islamit� f�conde de la personnalit� alg�rienne. Cheikh El-Ibrahimi se trouve en d�tention dans la m�me cellule avec Ferhat Abbas lorsqu'il apprend les massacres de mai 1945 � S�tif. Le drame lui inspire un commentaire d'une �tonnante projection sur l'avenir : �Dans la lutte contre le r�gime colonial, nous avons respect� la loi fran�aise. Mais puisque le drame est l� et qu'il a frapp� durement nos fr�res, consid�rons-le comme le pr�sage de jours meilleurs, comme un bien. Le sang des innocents fera m�rir nos probl�mes et h�tera leur solution, mieux que nous le ferons nous-m�mes. Il faut donc continuer � agir et � pers�v�rer.� Ferhat Abbas y voyait l� un des levains de l'islam : �Ne jamais renoncer lorsqu'il s‘agit de d�fendre ce qui est juste.�*. Quelques mois avant sa mort, Cheikh El-Ibrahimi faisait parvenir au congr�s du FLN d'avril 1964, tenu sous le signe inavou� d'un despotisme av�r�, un message tout aussi pr�monitoire. Il �crivit : �Je me vois contraint de rompre le silence car l'heure est grave : notre pays glisse de plus en plus vers une guerre civile inexpiable, une crise morale et des difficult�s �conomiques insurmontables.� L'Association des oul�mas est dissoute de son vivant et les imams passent sous la tutelle du minist�re des Affaires religieuses. L'islam de pouvoir succ�de � l'islam tout court. Ferhat Abbas dira : �Comme au temps de la colonisation on essayait aussi de faire de la religion un instrument du pouvoir.� Il reste � esp�rer que le vœu �mis par Cheikh El-Ibrahimi dans El Bassaier le 25 juillet 1947 se r�alise aujourd'hui: �O Dieu, Toi le protecteur des faibles, apporte-nous ton aide, guide nos pas vers le droit chemin, pr�serve-nous de la fitna, arme-nous de courage et �claire-nous de ta sagesse.� A. B. * Ferhat Abbas, Autopsie