Puisque nous n'avons ni les moyens ni le pouvoir d'y mettre le hol�, parlons- en autant de fois qu'il le faudra pour nous donner l'illusion qu'en la d�non�ant, nous contribuons, � notre mani�re, � la combattre. La lutte contre la corruption devrait se prolonger dans le temps. Si elle n'�tait pas une simple campagne, � la bonne heure, serions-nous tent� de dire, et bon courage � ceux qui auront la charge de la mener � bon port ; car la route sera longue et les �cueils difficiles � �viter. Il y aurait, il ne faut pas craindre de le dire, un sacr� travail � abattre pour obtenir des r�sultats qui soient relativement satisfaisants. Mais avec quels moyens ? Quand on apprend que m�me des membres de la Commission nationale pour l'amnistie g�n�rale (Cnag), n�e � peine en d�cembre dernier pour pr�cher la "bonne parole'', se seraient empress�s de magouiller sur son dos afin d'en tirer profit, on r�alise la profondeur du ph�nom�ne qui veut que l'on se r�tribue d'abord et que l'on milite �ventuellement apr�s. Quoi d'�tonnant � ce que le sujet se r�v�le in�puisable ? Economie de bazar et r�publique banani�re sont pour l'heure les seuls qualificatifs dont on cr�dite l'Alg�rie � l'ext�rieur sauf quand on projette de caresser ses dirigeants dans le sens du poil pour des raisons d'int�r�ts strat�giques. Si nos dirigeants ne sont pas dupes, ils font toutefois mine d'ignorer le proc�d� par crainte d'interventions d�plaisantes qui g�neraient consid�rablement leur mainmise sur le pays. En qu�te permanente de cr�dibilit�, le syst�me alg�rien s�rieusement atteint a, en tout cas, une bien curieuse fa�on de tourner les situations les plus d�licates � son avantage. D�s qu'il y a des grincements de dents, des m�canismes sont aussit�t mis en place. A la justice ensuite de faire la chasse � l'insatiable vermine tapie dans l'administration et � ses vastes relais ext�rieurs. Le travestissement de la r�alit� �tant le point fort de nos gouvernants, les 55 milliards de dollars dont le pr�sident de la R�publique a dit qu'ils seraient affect�s � la consolidation de la croissance �conomique et � combattre le ch�mage ne courent-ils vraiment aucun risque d'aller enrichir un peu plus ceux qui le sont d�j� ? Qui peut en effet nous certifier aujourd'hui que tout cet argent ne va pas profiter � des transactions opaques ? Au rythme en effet o� s'op�rent depuis quelque temps les arrestations, quelqu'un peut-il pr�sentement jurer que celles-ci ont toutes les chances de d�boucher sur une moralisation de la soci�t� ? A l'exception du Premier ministre qui n'a jamais craint de se d�dire, personne n'est en mesure d'assurer que nous �voluons vers une fin de l'impunit�. Pour l'instant, tout ce qui bouge et personne � la fois, ceux qui travaillent et ceux qui se roulent les pouces, sont cibl�s comme potentiellement responsables de la gabegie. Pourtant, aucune mesure dissuasive n'est r�ellement prise pour stopper la d�rive. Et ce ne sera pas le chef du gouvernement qui affirme qu'il ne s'agit pas l� de campagne mais bel et bien d'une d�marche appel�e � durer dans le temps qui nous convaincra du contraire. Avant de nous faire ce genre de promesses, M. Ouyahia aurait d� commencer par nous livrer un premier bilan des travaux de l'observatoire de la corruption en Alg�rie. Au contraire, et peut-�tre pour mieux noyer le poisson, l'on s'achemine vers la cr�ation d'un "organe sp�cialis� dans la pr�vention et la lutte contre la corruption". Les autres organes de contr�le de l'Etat comme le contr�le parlementaire, l'Inspection g�n�rale des finances, la Cour des comptes, la police ou encore la gendarmerie auraient-ils montr� leurs limites en la mati�re pour que l'on �prouve le besoin d'en cr�er d'autres ? Ils seraient une majorit� � ne pas croire en la volont� du syst�me de combattre ses propres corrompus m�me si, de temps � autre, il en abandonne quelques-uns mais ils seraient aussi de plus en plus nombreux � vouloir donner un coup de pouce � l'op�ration dite mains propres. Il y en aurait, effectivement, que les derni�res arrestations auraient encourag� � porter plainte et � aider � pi�ger le cadre, le fonctionnaire ou l'agent "ripoux". La sacro-sainte loi du silence est ainsi de plus en plus rompue par des citoyens qui se rebellent contre la pratique qui consiste � ‘'cracher au bassinet'' sans souffler mot. Mais faut-il pour autant crier victoire ? Certains des fonctionnaires v�reux pensent, pour leur part, que tant qu'ils se maintiendront � leur poste et qu'ils fileront doux, ils ne seront pas inqui�t�s. Si les gros accumulent sur les contrats, les petits le font par le biais de menus services qu'ils monnayent au quotidien. Incroyable mais vrai, on vous raconte que de simples inspecteurs des imp�ts ou des douanes se construisent des palais sur des 2000 m2 et plus. S'ils r�ussissent � �chapper au contr�le — si contr�le il y a — ce serait aussi parce qu'ils serviraient parall�lement d'interm�diaires � des chefs qui auraient autant sinon plus � se reprocher. Et quand on vous confie qu'il y en a parmi ces inspecteurs qui ne pourraient se r�soudre � n'engranger que de petites sommes — tout est relatif — et qu'ils accumuleraient jusqu'� 30 millions de centimes par jour, vous d�sesp�rez de voir le syst�me se d�cider � mettre au trou tout ce monde qu'il aura prot�g�. C'est que la pieuvre a �tendu ses tentacules au-del� des limites de l'imaginable ! Et on comprend de mieux en mieux pourquoi les �trangers ne s'empressent pas d'investir en Alg�rie. Les conditions y sont tellement d�courageantes car, d�s le d�part, le partenaire est somm� de se plier � la r�gle en vigueur. On n'arrive presque pas � croire qu'apr�s tant d'ann�es � d�tourner le regard, le pouvoir se soit enfin d�cid� � s�vir. On n'arrive m�me pas � se repr�senter les m�canismes prioritaires � mettre en place pour neutraliser les criminels en question, tellement le syst�me qui les a aid�s � prosp�rer est gangren�. La preuve du contraire ayant pourtant �t� faite, la morale de cette histoire reste que rien ne semble d�courager ceux qui complotent et qui sont d�cid�s � s'en mettre plein les poches. Et on se rend compte, au fur et � mesure que tombent des t�tes, que le mal a gravement atteint les rouages de l'Etat. Il en deviendrait presque incurable. Jugez-en par vous-m�me. Comment r�agissez-vous quand vous apprenez qu'untel, que vous pensiez au-dessus de tout soup�on et auquel vous auriez donn� le Bon Dieu sans confession, a plong� pour trafic d'influence, et autre d�tournement ? Vous tombez tout simplement des nues quand vous n'abandonnez pas l'id�e de croire qu'il puisse encore exister des hommes qui soient honn�tes et propres dans ce pays. Et pourtant, ils existent m�me s'ils ne sont pas les mieux cot�s d'un syst�me qui leur pr�f�re ceux qui lui sont chaudement recommand�s. On serait tent� de croire, au regard des r�v�lations de plus en plus scandaleuses qui jettent l'opprobre sur l'administration, que les cadres et agents honn�tes ne sont pas tr�s nombreux. Ils sont pourtant l�, tant il est vrai que tout le monde ne conjugue pas le verbe corrompre au m�me temps et que tout le monde ne voit pas les moyens de combattre la d�linquance �conomique sous le m�me angle.