L�une est tragique et l�autre inqui�tante. Celle d�abord d�un pays r�el que l�on vient de r�pudier apr�s avoir mis un terme � l�insens�e esp�rance d�mocratique qu�il caressa durant trois lustres. Ensuite, celle de l��mergence d�un pouvoir totalitaire, quand bien m�me il se voudra, par moments, bienveillant � l��gard des opposants. D�sespoir d�un c�t�, cynisme de l�autre : voil� les deux tares d�une nation o� soci�t� et pouvoir cohabitent tout en s�ignorant. Cet �tat des choses, jusque-l� latent, vient pr�cis�ment d��tre mis violemment en lumi�re par cette artificieuse �consultation�. Car ce 29 septembre inaugure un tournant historique pour le pays mais pas pour les m�mes raisons chez l�une et l�autre. Au sentiment de tromperie qui ronge la soci�t�, fait pi�ce la morgue du pouvoir qui se veut, tout � la fois, la conscience nationale, le d�positaire de la v�rit� et l�unique source de la d�cision. Les urnes, ce d�risoire �machin� qui l�gitime les impostures, sont d�abord les tombeaux de nos libert�s quand elles sont livr�es � la manipulation. Sans illusion aucune, nous savions que le pr�texte de la paix allait faire de nous des sujets quand nous croyions �tre des citoyens ma�tres de leurs destins. Qu�est-ce � dire, si ce n�est que l�on s�achemine � grandes enjamb�es vers un huis clos politique. L�on pourra ergoter sur ce pessimisme excessif et reprocher au scribe de trop caricaturer l��tat des lieux. Mais comment peut-on brosser un tableau idyllique, quand le pays r�el constate stup�fait qu�il est pris en otage et qu�au m�me moment, les troupes courtisanes embouchent les trompettes de la flatterie et �panth�onisent� le despotisme ? Le grand soir de cette paix ne signifie-t-il pas qu�un ch�que en blanc est d�livr� � celui qui, par avance, r�futait la contradiction et qu�il �tait en mesure de se passer de tous les avis ? Et que dire de l�agressivit� et de la surench�re des porte-voix de service ? Les avons-nous suffisamment regard�s � l��uvre au cours de cette campagne quand ils matraquaient la conscience des petites gens ? Avons-nous, par ailleurs, pris la v�ritable mesure du p�ril qui nous guette, et cela � travers les propos distill�s par le chef de l�Etat, lui-m�me ? C�est qu�au nom de la sacralit� de la cause, le r�gime d�poss�de la soci�t� de son pouvoir de m�diation et s�octroie de nouveaux moyens pour r�genter sans partage le pays. C�est de cela qu�il s�agit en v�rit� et de ce � quoi l�on nous pr�pare. Le sc�nario �crit le 14 ao�t ne devait servir qu�� cet usage. Celui d�engager une nouvelle phase destin�e � regarder le plus longtemps possible l�alternance, voire � modifier en profondeur le paysage politique. On aura donc compris que cette victoire de la paix �est aussi la d�faite des libert�s publiques et leurs enterrements � terme�, en ce sens qu�elle ne fut pas �bricol�e� pour en finir avec la mortif�re peur, mais pour servir d�alibi � d�inavouables man�uvres de pouvoir. Personne n�ignore qu�en ligne de mire, il y aura les amendements constitutionnels qui doivent lui ouvrir de nouvelles perspectives pour verrouiller � son profit la succession de 2009. Tout autant qu�il est dans la nature de ce r�gime de ne pas tol�rer une vie d�mocratique vigoureuse. Par inclination despotique, il est d�j� parvenu � briser la dynamique de la saine opposition dont il craignait la contagion dans l�opinion et il s�appr�te � mettre d�finitivement en friche tout le champ partisan, ne laissant � la culture d�mocratique que quelques arpents destin�s aux apparences. Si, par cons�quent, ce sont l� quelques sommaires le�ons � tirer de cette mascarade, le pouvoir � son tour n�a pas toutes les raisons de pavoiser. Car quoi qu�il dira, l�op�ration du 29 septembre ne fut pas un bluff bien ficel�. Le d�saveu que lui infligeait une fois encore la Kabylie met � nu la vanit� de sa gouvernance. Car toute la ruse d�un Premier ministre et ses relais n�ont pas suffi � rendre cr�dible le chef de l�Etat lors de son voyage dans cette province. En somme, le discours de Constantine a fini par ruiner tous les efforts d�ploy�s durant un an par Ouyahia. Estce � dire que ce dernier est d�j� en fin de mission � la t�te de la chefferie ? Nous ne le saurons que si le chef de l�Etat d�cide de consid�rer le dossier de la Kabylie comme clos et renvoyer les arouch de Abrika � leur contestation. De cette probabilit� il en d�coulera alors que Ouyahia a �chou� ou du moins n��tait pas en phase avec le pr�sident durant toutes les tractations qu�il avait engag�es et pour lesquelles il prit des engagements au nom de l�Etat. D�s le discours de Constantine, l�hypoth�se d�un changement a fait son chemin dans le s�rail surtout aupr�s des leaders de la coalition qui savent d�exp�rience que Bouteflika n�a aucune disponibilit� � reprendre � son compte ce dossier et qu�il est difficile de l�imaginer dans une disposition autre que celle d�aller vers l�affrontement. Ce qui est clair � travers ces �dommages collat�raux� d�une campagne, est le fait qu�il a fragilis� son Premier ministre au point de le contraindre � faire profil bas et ne ferrailler que dans les arcanes de l�intendance. Pour au moins cette raison, l�on ne peut exclure l��ventualit� d�un remaniement qui doit en principe r�tablir une pr�-s�ance partisane. Le FLN majoritaire serait alors tout dispos� � conduire l�attelage et pr�parer pour le pr�sident le terrain pour qu�il puisse succ�der � lui-m�me. Mais au sommet de l�Etat, ils n�en sont pas encore � ces calculs car il faudra � l�entourage du pr�sident plancher d�abord sur les d�crets et ordonnances qui doivent rendre �compr�hensible� cette r�conciliation encore opaque dans les esprits, qu�ils soient ceux des terroristes que la garde politique qui a fait campagne. Du PST � En Nahda, les interpr�tations et les lectures se sont t�lescop�es, et la campagne incoh�rente du pr�sident, loin de rendre compr�hensibles les objectifs de ce texte, a, au contraire, suscit� de nombreuses confusions. Sombrant dans l�incantation des tribuns, il fit plus pour la promotion de son messianisme politique que ex�g�se et la p�dagogie d�un texte qu�il voulait exclusivement refondateur de l�Etat. Or, c�est ce d�ficit de clart� ajout� � l�unilat�ralisme arrogant de la campagne qui a, par avance, disqualifi� la d�marche. Le �oui� massif qu�il sollicita ne porte pas la marque de l�adh�sion populaire. Il souligne plut�t le �ni�me malentendu avec la soci�t� dont il ne cesse de manipuler les sentiments et d�tourner son avis. C�est, l�, le propre des tyrannies qui avancent masqu�es. Elles qui jouent sur la peur et se jouent de la difficult� de convaincre en agitant le spectre du d�sordre et en brandissant le b�ton de la loi, s�installent fatalement dans une autre solitude qui les rend �mouvamment d�risoires. Face � Franco conqu�rant, en octobre 1938, le philosophe espagnol Unamuno eut cette sentence ind�passable � l��gard du caudillo : �Vous vaincrez s�rement, mais vous ne convaincrez jamais.� Le despotisme est d�abord une insupportable solitude...