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LETTRE DE PROVINCE
Les oraux de Ramadhan Par Boubakeur Hamidechi [email protected]
Publié dans Le Soir d'Algérie le 14 - 10 - 2006

En rang d�oignons, ils attendent � la queue-leu-leu, chacun son tour avant d��tre convoqu� au sacro-saint du pouvoir. Ces ministrespotaches � qui l�on fait subir une �preuve orale d��valuation doivent renouer quelque part avec les petites angoisses oubli�es de l�adolescence. D�cid�ment, la noble servitude de l�Etat valorise de mani�re diff�rente les grands commis selon qu�ils se mettent au service d�une r�publique vertueuse ou qu�ils se commettent avec un pouvoir infatu� par son omniscience.
En termes de communication, la tr�s officielle agence de presse nous apprend que le chef de l�Etat s�est attel� ces jours-ci � �bilanter� chaque d�partement en prenant directement langue avec les vizirs s�par�ment. A priori, cette mani�re de faire vaut autant qu�une autre et parfois m�me elle aurait, comme on dit, plus �d�allure �, car elle pr�te des scrupules � son auteur, et bonifie son image en le rendant plus attentionn� aux probl�mes r�els. Il voudrait, dit-on, �plucher dans le d�tail tous les r�sultats, sous-entendu qu�il ne manquera pas de marquer son approbation ici et de sanctionner l�. Tout cela serait presque id�al et souhait� par l�opinion s�il n�y avait cette question qui revient sans cesse sur la mani�re qu�a le chef de l�Etat d�organiser son contr�le sur l�ensemble de l�ex�cutif ; et pourquoi il a tendance � se d�fausser sur l��quipe gouvernementale au moindre coup de grisou, alors qu�il est th�oriquement l�inspirateur de son action et le comptable de ses �checs. En effet, l�on ne peut ignorer l��norme hiatus qu�il a contribu� � instaurer entre cette curieuse interrogation �personnalis�e� et le cadre naturel du travail de ses ministres. Celui-ci s�appelle commun�ment le Conseil des ministres que les us universels de gouvernance ont consacr� comme le lieu idoine o� s��labore une politique et o� s��valuent les comp�tences et le dynamisme de chacun. L�Etat de Boumediene, qui n��tait cependant pas exemplaire en mati�re de libert� de ton et de d�bat interne, s�est pourtant pli� de bonne gr�ce � cette rigueur hebdomadaire qu�il parvint m�me � faire �voluer jusqu'� passer du rituel compass� � la prise de d�cision collective. Plus pr�s de nous, Zeroual s�effor�a de respecter cette p�riodicit� fusse-t-elle destin�e uniquement � rassurer un pays qui doutait. Or, c�est avec Bouteflika que se multipli�rent les entorses � la r�gle jusqu�� faire d�une r�union qui se rar�fiait un �v�nement exceptionnel. Cette f�cheuse d�sinvolture difficilement explicable par l�unique souci du pr�sident de se d�charger de l�intendance afin de se consacrer aux grandes r�formes a non seulement alt�r� d�finitivement la coh�sion des �quipages successifs, mais l�aura priv� d�une vision d�ensemble en permanence actualis�e de l�action publique. C�est ainsi que l�on peut comprendre pourquoi il donne souvent l�impression d�amender ses promesses du pass�, quand il ne pousse pas le cursus de la victimologie, jusqu�� imputer ses �checs ou ses d�faillances sur la �d�sinformation� qui l�encercle. Plus d�une fois, il s�est contredit et sur des questions diff�rentes au point qu�il h�site dor�navant � prendre des engagements fermes sachant qu�il n�en avait tenu aucun depuis son premier mandat. Or, les avanies subies actuellement par son pouvoir et l��rosion de son cr�dit personnel ont toutes les deux, pour raison principale, le d�ficit de m�thode. Au-del� de la personnalisation abusive de son r�gime, il a imprim� � ses mandats la marque d�testable de �l�g�ret� vis-�-vis de la fonction. Une absence de gravit� et de s�rieux dans l�accomplissement de sa charge et une sorte de morgue intellectuelle vont rendre path�tiquement p�nibles les trente mois qui le s�parent de 2009. Litt�ralement absent des d�lib�rations pratiques du gouvernement, l�on ne peut qu��tre dubitatif sur toutes ces innovations qui consistent � se mettre � jour en �pi�geant� les ministres � travers des interviews. Aupr�s de l�opinion, l�on ne pense gu�re autrement, m�me si, de temps � autre, il fait agir sa virtuosit� oratoire pour caresser dans le sens des poils les auditoires. Gouverner un pays consiste avant tout � lui expliquer �o� l�on va� et � quel rythme, et pour ce faire un ex�cutif n�a d�autre cadre que l�ind�passable conseil. Toutes les fois que celui-ci ne se tient pas apporte la preuve que les affaires publiques sont d�laiss�es. Plus d�une fois cela est arriv�. M�me si l�on ne peut avec exactitude chiffrer le nombre de conseils des ministres qu�il pr�sida nous ne serons cependant pas loin de la v�rit� en estimant sa pr�sence une fois tous les 60 jours et cela depuis 1999 ! Quelques subtils technocrates trouveront malsain ce mis�rable d�compte au pr�texte que ce genre de messe gouvernementale est archa�que puisque d�sormais l�action publique peut se d�ployer par d�autres m�canismes que ces conclaves. Ils auraient certainement raison de jouer aux d�mythtificateurs s�ils pouvaient au moins expliquer comment potentialiser son efficacit� sans la coordination humaine. Quand bien m�me l�inclination de Bouteflika de se d�charger de cette corv�e sur son Premier ministre leur para�t op�ratoire et suffisante, ils ne peuvent par ailleurs ignorer les limites qui sont assign�es � son assistant. Ignore-t-on que les conseils de gouvernement servent uniquement � enregistrer des avant-projets et qu�ils ne sont pas qualifi�s en mati�re d�arbitrage ? C�est de la raret� de cet exercice que souffre pr�cis�ment l�action de l�ex�cutif quand il est d�sert� par le chef de l�Etat et que les cafouillages se multiplient. Quotidiennement la presse, toute la presse cette fois, rel�ve les incoh�rences et rend compte des impacts n�gatifs sur le terrain. Le marasme social, g�n�r� par les manifestations de retrait�s, illustre � quel point la d�fection du chef de l�Etat est devenue insupportable. Seul d�positaire du pouvoir d�arbitrer, n�aurait-il pas d� accompagner sa promesse par le texte r�glementaire afin de donner � son ministre du Travail les moyens d�agir tout en respectant l�orthodoxie des proc�dures ? De la m�me mani�re, n�a-t-il pas laiss� la bride sur le cou de son ministre des Finances afin qu�il assume seul une d�culott�e sur une loi que lui-m�me � inspir�e en claironnant qu�elle �tait une premi�re riposte � l��conomie informelle. Une loi sur la tra�abilit� des transactions, dont on diff�re l�application, n�est rien d�autre qu�un cinglant �chec. Et qu�ajouter de plus � l�aveu public de ce ministre des Travaux publics qui reconna�t clairement qu�il subit les �pressions des lobbies� int�ress�s par les march�s de l�autoroute Est-Ouest ? En v�rit�, ces ministres qui �passent � table� en ce Ramadhan auraient plus de reproches polis � faire au pr�sident qu�il n�a lui de r�ponses satisfaisantes � exiger d�eux. Mais, pour avoir �t� malmen�s, certains en public et parfois soup�onn�s de lui faire des rapports inexacts, l�on imagine mal qu�ils changent de mode d�emploi juste pour satisfaire � un oral qu�ils appr�hendent d�ailleurs avec philosophie, eux qui ne sont pas � une humiliation pr�s. Ils r�citeront alors ce qu�il souhaitera entendre et donneront des bilans maquill�s comme il se fait d�habitude. Il y aura m�me parmi eux les parangons de la flagornerie qui ajouteront � leurs virtuelles performances la r�f�rence � ses conseils �clair�s. A l�exemple de cet in�narrable affabulateur qui, dit-on, est quand m�me ministre de la Solidarit� et de l�Emploi. Apr�s s��tre distingu� l�an dernier par la bouffonnerie ramadanesque de gommer � lui seule la pauvret�, il revient cette ann�e avec la formule magique capable de cr�er des emplois. Pr�s d�un million et demi seraient, selon lui, le fait de son d�partement ! Le jour o� le pr�sident l��l�vera au rang de grand chambellan charg� de l�esbroufe, ce jour-l�, peut-�tre, il commencera par parler vrai. Ersatz d�une gouvernance notoirement inefficiente, ces t�te-�-t�te d�une soir�e avec chaque ministre signifient, dans la meilleure des explications, que c�est bien le pr�sident qui est en panne de religion politique m�me si ceux qu�il interroge feignent d�attendre de lui qu�il les �claire. Il y a de la fausset� de toutes parts : les uns passent sous silence tout ce qui les dessert dans leur carri�re et lui, en retour, ne fait que leur cacher ses propres incertitudes. Au point o� en est son magist�re, ce qui est vaniteusement pr�sent� comme profitable � l�action future du gouvernement n�est en fait que du marketing d�image. Dans les faits, on lui demande de se servir de sa f�rule pour mettre la pression sur le s�rail et mesurer les docilit�s. Plus qu�une fac�tie de monarque oriental, c�est une farce politique destin�e � donner provisoirement le change, quand tout concourt � dire que le pouvoir est en perte de vitesse. Jamais les temps n�ont �t� aussi durs pour ce r�gime, rattrap� par huit ann�es de turpitudes.

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